fbpx

Op-eds

Le piège de la taxation numérique

L’automne dernier, le gouvernement fédéral envisageait de taxer à hauteur de 3 % le chiffre d’affaires des géants du web réalisé au Canada, à l’instar de la France. Pour l’instant, il a fait une pause et dit attendre la fin des travaux de l’OCDE sur ce sujet, en juin.

Les répercussions d’une taxe sur le numérique méritent d’être analysées en détail. L’expérience française montre qu’une telle taxe cause plus de problèmes qu’elle n’en résout et risque de nuire aux consommateurs, aux entreprises canadiennes et à l’économie du pays dans son ensemble.

On doit d’abord rappeler que les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) paient déjà beaucoup d’impôt, contrairement à ce que l’on entend souvent. L’étude de leurs données financières montre en effet que ces entreprises ont assumé des impôts à des taux égaux ou supérieurs à ceux des grandes entreprises canadiennes.

Depuis dix ans, le taux d’imposition effectif des GAFA a été de 24 % en moyenne. Celui des entreprises du TSX 60 a été de 17 à 24 %, selon la méthode de calcul, pour un écart de 0 à 7 % en faveur des entreprises canadiennes. L’écart s’accroît si on ne considère que les entreprises formant le TSX 30 (2 à 11 %). Les GAFA n’ont donc pas bénéficié d’un avantage indu.

Contrairement à l’impôt sur le revenu d’une entreprise — qui est en réalité perçu sur son profit —, une taxe sur le chiffre d’affaires est calculée sur l’ensemble de ses activités, que celles-ci soient profitables ou non. Une telle taxe peut donc rendre une entreprise déficitaire et complètement bouleverser son modèle d’affaires. À titre d’exemple, la marge brute d’Amazon a été en moyenne de 2,5 % au cours des dix dernières années, soit moins que le taux de 3 % de la taxe française ou de celle envisagée par Ottawa.

La taxe posera les mêmes problèmes aux acteurs du numérique canadien qui tentent de se tailler une place parmi les grands. Un rapport récent du gouvernement fédéral a noté qu’en 2016, treize entreprises canadiennes actives dans le numérique présentaient des revenus annuels supérieurs à 1 milliard de dollars (le seuil d’application de l’éventuelle taxe), et 46 autres des revenus s’élevant entre 500 millions et un milliard. Ce sont autant d’entreprises qui pourraient être soumises à la taxe et voir leur profitabilité diminuée ou anéantie.

Même du point de vue des finances publiques, la taxe pourrait ne pas engendrer les résultats espérés. En diminuant la profitabilité des entreprises touchées, la taxe sur le numérique réduit aussi l’impôt sur leur profit. En France, cela a forcé le gouvernement à revoir ses prévisions à la baisse. C’est sans compter le signal que l’on envoie aux entreprises, qui équivaut à une invitation à ralentir le développement de leurs activités ou à déplacer celles-ci dans des marchés plus favorables, avec des effets sur l’emploi et l’économie en général.

Les démarches entreprises par l’OCDE ne donneront pas nécessairement de meilleurs résultats pour le Canada. Ottawa aurait avantage à évaluer précisément si les recettes fiscales additionnelles découlant de l’imposition des revenus des entreprises étrangères compenseront la diminution de celles provenant d’entreprises canadiennes oeuvrant dans le reste du monde.

Les taxes sont rarement payées par celui que l’on souhaite taxer. Les grands acteurs mondiaux, en raison de leur position de force, ont la capacité de reporter l’essentiel de ce coût sur leurs clients ou leurs partenaires commerciaux.

C’est ce qui se produit en France. En octobre dernier, Amazon a annoncé une augmentation des commissions qu’elle facturait aux revendeurs utilisant son marché virtuel. Certaines de ces entreprises seront forcées d’absorber la hausse, et celles qui le pourront repasseront l’augmentation à leurs clients. Les consommateurs risquent d’être les grands perdants.

Les géants numériques américains ont suivi les règles fiscales applicables à l’ensemble des entreprises, dont celle qui veut que les impôts soient généralement payés dans le pays d’origine. La différence principale entre les GAFA et d’autres multinationales est que leur croissance a été plus explosive, et leur succès plus perturbant pour les modèles d’affaires établis. Leur domination, récente, n’est pas garantie.

Par contre, un alourdissement de la charge fiscale des entreprises du numérique pourrait décourager d’autres entreprises d’entrer dans ce secteur afin de concurrencer directement les GAFA. C’est probablement l’argument le plus fort contre cette taxe : en freinant tant l’arrivée que la croissance des nouveaux acteurs, la taxe sur le numérique pourrait représenter un mur contre la concurrence.

Peter St. Onge and Gaël Campan are Senior Economists at the MEI. They are the authors of “Taxing the Tech Giants – Why Canada Should Not Follow the French Example” (with Nicolas Marques) and the views reflected in this op-ed are their own.

Back to top