L’après-Piketty
Cela fait un peu plus d’une décennie que le nom de Thomas Piketty domine la discussion sur les inégalités. Pourtant, dans la profession, de plus en plus d’économistes remettent en question la qualité des données construites dans ses travaux.
Des chercheurs de toutes les grandes familles idéologiques ont produit des révisions de ses travaux, suggérant que Piketty a systématiquement surestimé le niveau et la vitesse de progression des inégalités. Si bien qu’aujourd’hui, les meilleures revues de la profession, telles que Journal of Political Economy, Econometrica et l’Economic Journal, ont publié des travaux (dont ceux de l’auteur de ces lignes) remettant en question la qualité des données de Piketty.
Contrairement au tableau dépeint par Piketty et ses acolytes, ces travaux trouvent plutôt que la Grande Dépression, et non l’impôt des plus fortunés, est le principal facteur expliquant le déclin des inégalités au cours de la première moitié du siècle dernier. Ils observent aussi que, lorsqu’on tient compte des taxes et des transferts, les inégalités demeurent inchangées depuis 1960.
Il n’est plus possible de parler d’une force inexorable qui pousse les inégalités vers le haut. Il n’est plus possible de défendre l’importance de l’imposition sur les fortunés pour égaliser et il n’est certainement plus possible de blâmer la faillite de l’État-providence.
Or, au cours des dernières années, ce sont ces conclusions aujourd’hui invalidées qui ont fait couler le plus d’encre. Afin d’avancer, il devient pertinent d’imaginer « l’après-Piketty ».
De nouveaux travaux, se penchant plutôt sur la mobilité sociale, devraient devenir les bases de cette prochaine discussion collective. Le portrait que dresse cette littérature de plus en plus importante dans la profession est que, plutôt que de sombrer dans la réglementation, l’imposition et l’interdiction, une plus grande liberté économique contribuerait à réduire les inégalités et accroître la mobilité sociale.
Aucune caste ou aucun privilège « légalisé »
Cette liberté économique consiste en des institutions encourageant l’entrepreneuriat au lieu de l’entraver et augmentant le rendement de l’effort. Elle vient ôter les différentes règles qui complexifient et découragent les tentatives de grimper l’échelle de revenu.
Par-dessus tout, elle ne protège pas les privilèges des joueurs établis en restreignant la concurrence ou en leur versant des subventions, mais permet plutôt à tous et toutes, peu importe leur statut social, de tenter leur chance dans le marché.
Cela revient à dire qu’aucune caste ou privilège « légalisé » ne devrait exister. Ces castes et privilèges cimentent les statuts socio-économiques existants et – évidemment – limitent la mobilité intergénérationnelle et augmentent les inégalités. La capacité à contester les acteurs en place – ce que la liberté économique garantit – est donc un ingrédient clé pour une plus grande mobilité intergénérationnelle des revenus et moins d’inégalités.
Cette même littérature suggère aussi qu’il est possible d’avoir un État-providence qui pose des gestes ciblés, précis et modestes afin d’augmenter les opportunités disponibles pour les moins fortunés.
Un mélange qui produirait ce que l’économiste canadien Marcel Boyer nomme « la social-démocratie concurrentielle » ou ce que l’économiste suédois Andreas Bergh surnomme « l’État-providence hayékien » en référence à l’économiste libéral Friedrich Hayek (lauréat du prix Nobel d’économie de 1974). Un mélange qui, aussi, ne nécessite pas un État lourd financé par des impôts prohibitifs.
Comment produire un tel mélange devrait être le prochain sujet de notre discussion collective sur les inégalités. Nous pouvons laisser M. Piketty, ses acolytes et leurs estimations bâclées derrière nous. Nous ne nous en porterons que mieux.
Vincent Geloso is Senior Economist at the MEI. The views reflected in this opinion piece are his own.