Les arguments bidon de l’Association des véhicules électriques du Québec
Dans un texte publié sur son site, l’Association des véhicules électriques du Québec (AVÉQ), un groupe de pression, remet en question les résultats de deux de nos récentes études sur le programme de subventions à l’achat de voitures électriques et sur les quotas de vente récemment imposés par le gouvernement.
Pour remettre en contexte, le gouvernement du Québec a annoncé récemment que les ventes de voitures électriques, qui font déjà l’objet d’un programme de subventions à l’achat, seront aussi soumises à des cibles dès l’arrivée des modèles 2018. Les fabricants qui n’atteindront pas les cibles devront débourser pour l’acquisition de crédits.
L’AVÉQ n’est pas d’accord avec nos conclusions, qui sont essentiellement que ces objectifs de vente, qui ne seront probablement pas atteints, entraîneront des coûts additionnels pour les fabricants, qui les refileront aux consommateurs. Examinons leurs affirmations.
L’AVÉQ nous reproche d’abord de façon un peu confuse de ne tenir compte que des ventes de voitures, alors qu’il est question de crédits liés à ces ventes. C’est précisément ce que nous expliquons dans notre publication, que je les invite à relire attentivement. (Voir en particulier le 3e paragraphe et la note 5.)
Deuxièmement, selon l’AVÉQ, il y aura surplus de ces crédits dès le départ, en raison des ventes de voitures électriques des années précédentes. Or, il s’est vendu 465 143 véhicules neufs au Québec en 2016. De ce nombre, 5005 étaient des véhicules électriques (VÉ).
L’AVÉQ note que « les véhicules vendus entre 2014 et 2017 auraient droit (sic) à une moyenne de 1,2 crédits (sic) ». Si l’on suppose qu’il se vendra 480 000 véhicules non électriques en 2018 (une estimation conforme à l’évolution des ventes depuis 6 ans, selon les chiffres de Statistique Canada), la quantité de crédits nécessaires sera de 16 800 (3,5 % de 480 000) en 2018, 28 800 en 2019 (6 %), etc. Les quelque 12 000 crédits accumulés entre 2014 et 2017 selon l’AVÉQ ne feront donc pas long feu. Malgré la possibilité en 2018 de retourner dans le passé pour comptabiliser des crédits, les problèmes seront apparents dès le départ. Et la hausse fulgurante des cibles (jusqu’à 22 % en 2025) ne fera qu’empirer le problème.
Troisièmement, toujours d’après l’AVÉQ, les véhicules électriques donnent en moyenne droit à 2,6 crédits par véhicule. Or, cette moyenne ne s’applique qu’aux véhicules zéro émission, qui ne représentent que 0,4 % des ventes. Les véhicules hybrides rechargeables font monter le taux de vente des VÉ à 1,08 %, mais ne donnent droit que de 0,4 à 1,3 crédit. On doit donc s’attendre à ce que les ventes de VÉ génèrent beaucoup moins de crédits que le prévoit l’AVÉQ, qui admet d’ailleurs étrangement que trois des plus grands détaillants de voitures ne vendent pas de VÉ et n’atteindront donc pas leur cible – comme s’il s’agissait d’un point qui leur donnait raison.
Quatrième affirmation de l’AVÉQ : le prix d’un crédit sera bien inférieur à 5000 $. Ce point est un peu technique, mais il est fondamental, puisque c’est ce qui fait que le prix d’une voiture à essence pourra augmenter de 175 $ dès l’an prochain et de plus de 1000 $ en 2025.
Si un crédit est acheté au gouvernement, le prix sera bien de 5000 $, qui est le montant fixé dans le règlement. Mais s’il est acheté d’une entreprise en surplus de crédits, quel en sera le prix? Cela dépend. S’il y a surplus, le prix sera en effet plus faible que 5000 $. Dans le cas beaucoup plus probable où n’y aura pas suffisamment de crédits dans le marché, le prix se rapprochera de celui du vendeur de dernier ressort (le gouvernement), soit 5000 $ par crédit. La raison ? L’enchère va pousser le prix à la hausse, car la quantité demandée sera supérieure à la quantité offerte. Le prix ne pourra cependant pas dépasser 5000 $ par crédit, sinon on ira les acheter auprès du gouvernement. (Voir n’importe quel manuel de microéconomie ou de finance à ce propos.) Notons que le gouvernement a prévu cette éventualité en devenant explicitement le vendeur pour les crédits manquants.
Cinquième affirmation : « Il ne s’agit pas d’une taxe ». Sur le strict plan du vocabulaire, l’AVÉQ a raison. Mais, concrètement, cette politique a le même effet qu’une taxe et l’argument de l’AVÉQ démontre encore une fois une méconnaissance de la théorie économique de base.
Une politique publique peut avoir les mêmes effets qu’une taxe (en augmentant le coût de production), sans que le gouvernement ne collecte de revenus. La réalité, c’est que tant que des producteurs seront en deçà des cibles, chaque voiture non électrique supplémentaire nécessitera un certain nombre de crédits additionnels, que les fabricants devront acquérir d’autres fabricants ou du gouvernement. D’une façon ou d’une autre, cette politique crée des revenus et augmente le coût des vendeurs. Il s’agit donc bel et bien d’une taxe dans la logique économique élémentaire.
Subventionner les riches
Sixièmement, l’acheteur médian de VÉ habite dans un grand centre urbain et gagne 65 000 $ par année (salaire médian), toujours selon l’AVÉQ. Les véhicules électriques sont encore perçus comme étant chers et peu pratiques par la plupart des consommateurs. L’AVÉQ semble croire que le quota de 22 % qui devra être atteint en 2025 pourra l’être grâce aux subventions massives offertes présentement. Et que les habitants des régions, ceux qui n’ont pas d’entrée pour leur véhicule et les moins nantis achèteront des voitures électriques en masse. Or, comme le rappelle Michael Lord, un dirigeant de Toyota pour l’Amérique du Nord : « It’s a mandate for us to produce vehicles, but there is no mandate for customers to buy them ».
Pour illustrer le propos plus clairement, notons seulement que GM vient d’arrêter temporairement la production de la Chevrolet Bolt, une voiture tout électrique relativement abordable, en raison d’un problème de surplus d’inventaire.
L’AVÉQ avance aussi que le système fonctionne bien en Californie. Mon billet sur le site du HuffPost répond à cette affirmation, en montrant les énormes différences entre les contextes québécois et californien. Accessoirement, les VÉ stagnent à 3 % des ventes en Californie depuis 2014. Dans ce marché pourtant plus favorable, là aussi, les constructeurs vont peiner à atteindre leurs objectifs.
Le dernier point du texte de l’AVÉQ est tellement confus qu’il est difficile d’y répondre. Quoi qu’il en soit, nous avons déjà répondu au texte du chroniqueur dont il est question.
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Dans notre étude de juin 2017, nous calculions un coût de 288 $ par tonne de gaz à effet de serre (GES) évitée grâce aux subventions aux VÉ. Il s’agissait d’un calcul délibérément prudent, qui a été notamment confirmé par une étude de la Commission de l’écofiscalité du Canada (395 $ la tonne)
et même par une étude du ministère de l’Environnement du Québec (461 $ la tonne en 2025).
Il s’agit d’un coût gigantesque pour faire plaisir à un groupe de consommateurs relativement riches. Les subventions versées par le gouvernement du Québec ont déjà coûté 116 millions aux contribuables et pourraient se compter en milliards d’ici quelques années. Pourtant, comme l’ont noté l’étude de la Commission de l’écofiscalité et la nôtre, cela ne changera à peu près rien aux émissions de GES du Québec (entre autres parce que les voitures électriques génèrent beaucoup de GES lorsqu’on les fabrique).
Contrairement à l’AVÉQ, dont la raison d’être est de faire la promotion des voitures électriques, l’IEDM ne travaille pas pour les fabricants ou les concessionnaires automobiles, ni pour l’industrie pétrolière. Nous sommes un think tank indépendant, financé principalement par des fondations à but non lucratif, qui s’intéresse aux politiques publiques et propose des solutions de marché visant à rendre ces politiques meilleures. Si nous sommes à la solde de quelqu’un, c’est celle des contribuables, qui doivent trop souvent contribuer à financer des projets inefficaces et coûteux.
L’IEDM n’a rien contre les voitures électriques, qui seront peut-être adoptées un jour à grande échelle, ou pas (la voiture à hydrogène s’en vient aussi…).
Nous en avons seulement contre le gaspillage monumental que constituent les subventions gouvernementales à l’achat et les autres politiques malavisées, que nous continuerons de dénoncer.
Germain Belzile is a Senior Associate Researcher at the MEI and the author of “Electric Vehicle Sales Quotas: A Tax in Disguise.” The views reflected in this op-ed are his own.