Les questions d’une syndicaliste sur le congédiement des enseignants
L’Alliance des professeures et professeurs de Montréal, le syndicat des enseignants de la CSDM, me fait l’honneur de parler de ma dernière Note économique sur la valorisation de la profession enseignante dans son bulletin d’information syndical. C’est même le premier sujet!
L’auteure de l’article, la présidente de l’Alliance, pose plusieurs questions dans le résumé qu’elle présente de mes travaux. Je me suis dit que la bienséance élémentaire serait de répondre à ces questions, plusieurs tout à fait légitimes. Et, un coup parti, pourquoi pas partager ces réponses avec les fidèles lecteurs de ce blogue, toujours curieux des débats publics?
Voici donc ce que j’aimerais répondre à Mme Catherine Renaud.
Pourquoi l’IEDM se mêle-t-il de ce qui se passe en éducation?
Pour trois raisons. D’abord, parce qu’il y a peu de thèmes plus importants que l’éducation dans les décisions de politiques publiques, ce pourquoi l’IEDM s’intéresse à l’éducation depuis ses débuts. C’est un combat sacré pour moi aussi de lutter pour l’amélioration du système d’éducation, depuis mon militantisme étudiant à la FEUQ jusqu’à ce jour.
Ensuite, parce que j’aime les enseignants, je les admire et plusieurs d’entre eux m’ont marqué pour la vie.
Enfin, parce qu’il y a un véritable problème dans les écoles publiques du Québec dont les élèves, mais aussi les enseignants, subissent les conséquences. Les mauvais enseignants qui n’ont aucune volonté de s’améliorer sont tolérés. Leur permanence les rend pratiquement inamovible. Au mieux, une direction scolaire peut espérer l’inciter à un transfert vers une autre école. Vous dites que « les directions disposent de tous les outils nécessaires (…) pour s’assurer de la qualité de l'enseignement ». Comment expliquer alors que seulement sept enseignants permanents, parmi 58 000!, ont été congédiés pour incompétence ces cinq dernières années?
Les « outils » qui existent se révèlent inadéquats, justement. Quiconque a eu maille à partir avec un enseignant incompétent, qu’il s’agisse d’un parent d’élève, un collègue enseignant ou une direction d’école, en est conscient. Les directions d’écoles, débordées, devraient être mieux pourvues. Qui plus est, la profession enseignante dans son ensemble bénéficierait d’un lien de confiance ainsi renforcé parce que les incompétents sont une très faible minorité, mais le tort qu’ils causent ne doit pas être sous-estimé.
Quelle connaissance ai-je du milieu de travail des enseignants?
Je suis intimement convaincu que vous savez de quoi je parle, dans ma Note économique, soit sur le plan personnel parce que vous avez côtoyé de mauvais enseignants, soit parce que vos représentants syndicaux doivent parfois se demander s’il vaut la peine de défendre l’indéfendable. Il est bien possible que vos propres membres vous disent à quel point, au sein d’une équipe-école, un enseignant incompétent peut nuire aux efforts déployés pour favoriser l’apprentissage des élèves.
Vous n’avez donc pas à vous fier à moi. Demandez autour de vous. Comme je ne travaille pas dans le milieu scolaire, c’est ce que j’ai fait afin d’étoffer mon analyse : j’ai parlé avec des professionnels travaillant au sein d’écoles et de commissions scolaires. Eux ont toute la connaissance voulue du milieu enseignant. Leur analyse ne faisait pas de doute : le problème existe, il est largement connu, mais aucune solution ne se pointe encore le bout du nez.
L’IEDM analyse-t-il les services publics dans une perspective de rentabilité?
Cette perspective, c’est vous qui nous l’attribuez. Il est dommage qu’on tombe parfois dans la caricature grossière, et fausse. Je le déplore d’autant plus que, sur le fond, il n’est pas question de rentabilité mais d’efficacité. Or, vous et moi et tous ceux qui se préoccupent de la qualité de nos écoles veulent qu’elles soient efficaces. Maintenant, est-ce que les mécanismes de l’économie peuvent contribuer à l’amélioration des façons de faire, à l’obtention de meilleurs résultats, à une expérience scolaire plus enrichissante pour les élèves? Je le crois sincèrement.
J’ajoute que la capacité des écoles publiques d’atteindre leur mission, soit l’éducation des jeunes générations, est une question d’importance primordiale. Trop importante pour qu’on tolère le gaspillage, la négligence ou la bureaucratie à outrance. Trop importante pour que l’effort des enseignants soit miné par des collègues incompétents. Trop importante pour que des syndicats perdent de vue leur mission sacrée d’appuyer la réussite de l’école publique sous prétexte qu’un membre cotisant, par ailleurs incompétent, a toujours droit à une défense absolue. Les directions d’école ont parfois raison de s’inquiéter de la compétence d’un enseignant. Et si elles trouvaient un allié dans le syndicat, plutôt qu’un adversaire toujours acharné à leur mettre des bâtons dans les roues? Ne serait-ce pas beaucoup plus humain et utile à l’école publique?
Pourquoi tant d’enseignants quittent-ils la profession?
Vous vous posez cette question fort pertinente et c’est tout à votre honneur. Outre les éléments de réponse que vous soulevez, il y a aussi les collègues avec lesquels on travaille qui peuvent avoir une influence. Quant aux ressources financières insuffisantes, je ne partage pas votre analyse pessimiste. Peut-on dépenser davantage en éducation parce que c’est une mission de l’État parmi les plus importantes? Peut-être.
Encore faut-il savoir reconnaître que le gouvernement a mis davantage d’argent en éducation année après année. Une croissance des dépenses d’éducation plus rapide que la croissance économique. Depuis 10 ans, les écoles primaires et secondaires reçoivent 2000 $ de plus PAR ÉLÈVE! Mais où est passé tout cet argent? Dans les classes plus petites (un facteur qui a peu d’effet sur la qualité de l’apprentissage), l’aide aux élèves en difficulté, les lubies du ministère de l’Éducation… ainsi que la rémunération des enseignants et les coûts automatiques liés aux conventions collectives rigides.
Les profs qui se sentent incompétents le sont-ils vraiment?
Quelle analyse juste vous faites des profs qui se sentent débordés, peu appuyés, mal outillés parfois. Je suis entièrement d’accord avec vous pour dire que plusieurs enseignants peuvent se sentir incompétents à l’occasion, mais que cela ne signifie pas qu’ils le sont vraiment. Au contraire, ceux qui se rongent les sangs pour trouver ce qu’ils peuvent faire de plus font montre du dévouement immense indissociable de la vocation d’enseignant.
La solution à ce problème, qui peut entraîner un découragement et même menacer la santé mentale de plusieurs, ne serait-elle pas de donner un « feedback » de temps en temps? D’évaluer la qualité de l’enseignement et d’outiller davantage ceux qui en ont besoin? Je suis certain que ça peut contribuer à améliorer la situation. Pour l’immense majorité des gens (les syndicalistes compris), l’évaluation de notre travail est chose commune. De plus, qu’il est bon de recevoir quelques bons mots de temps en temps, n’est-ce pas?
En plus, l’évaluation périodique permettra de détecter les rares cas d’incompétence irrémédiable chez des enseignants qui refusent de s’améliorer. Il me semble qu’on n’est pas si loin de pouvoir s’entendre… Suis-je trop optimiste?
Youri Chassin is Economist and Research Director at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.