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Valoriser la profession enseignante en congédiant les enseignants incompétents

La qualité du personnel enseignant est considérée par la population québécoise comme le critère le plus important de la réussite des élèves. Cependant, des problèmes persistants marquent cette profession : faiblesse des dossiers scolaires de plusieurs étudiants en éducation, abandon de la profession par les jeunes enseignants, découragement ou perte de motivation, etc. Ces problèmes peuvent affecter la qualité de l’enseignement aux élèves et préoccupent bien naturellement les parents.

Communiqué de presse : L’avenir des élèves québécois hypothéqué par les enseignants incompétents
 

En lien avec cette publication

Lettre d'amour aux enseignants québécois (Blogue de l'IEDM du Journal de Montréal, 21 janvier 2016)

Les questions d'une syndicaliste sur le congédiement des enseignants (Blogue de l'IEDM du Journal de Montréal, 29 janvier 2016)

It's way too hard to weed out bad teachers (Montreal Gazette, 8 février 2016)

Entrevue avec Youri Chassin (Dutrizac, 98.5FM, 18 janvier 2016)

Entrevue avec Youri Chassin (Normandeau-Duhaime, FM93, 18 janvier 2016)

Entrevue avec Youri Chassin (Solide comme le Roch, 104.7FM, 18 janvier 2016)

Entrevue avec Youri Chassin (Midi actualité, 107.7FM, 18 janvier 2016)

Reportage (en anglais) avec Youri Chassin (Global News, 19 janvier 2016)

Entrevue (en anglais) avec Youri Chassin (News at Noon Montreal, 26 janvier 2016)

Valoriser la profession enseignante en congédiant les enseignants incompétents

La qualité du personnel enseignant est considérée par la population québécoise comme le critère le plus important de la réussite des élèves(1). Cependant, des problèmes persistants marquent cette profession : faiblesse des dossiers scolaires de plusieurs étudiants en éducation, abandon de la profession par les jeunes enseignants, découragement ou perte de motivation, etc. Ces problèmes peuvent affecter la qualité de l’enseignement aux élèves et préoccupent bien naturellement les parents.

Pour y remédier, de nombreuses propositions concrètes ont été mises de l’avant au cours des dernières années, qui visent toutes à valoriser davantage la profession enseignante, tout en exigeant davantage des enseignants eux-mêmes. On a ainsi discuté abondamment de l’évaluation des enseignants(2), de la sélection des étudiants universitaires en éducation, du niveau salarial des enseignants(3), de la création d’un ordre professionnel(4) et de la rémunération au mérite(5).

En fin de compte, aucune de ces mesures n’a été mise en œuvre à grande échelle. Les syndicats d’enseignants se sont systématiquement opposés à toutes les propositions qui ne se traduisaient pas simplement par une augmentation inconditionnelle de la rémunération ou un plus grand pouvoir décisionnel pour eux-mêmes ou leurs membres(6).

Une autre piste de solution qui semble évidente serait de pouvoir congédier les enseignants dont les compétences sont déficientes. Il y a fort à parier que les enseignants eux-mêmes souffrent plus souvent qu’autrement de la présence d’un collègue incompétent et profiteraient d’une reconnaissance sociale accrue si les cas problématiques étaient mieux pris en charge. Même si la carrière d’enseignant est déjà généralement bien perçue au sein de la population québécoise(7), un tel mécanisme renforcerait la relation de confiance entre les parents, les directions d’école et les enseignants en garantissant que la qualité de l’enseignement prodigué dans le système public répond à des normes élevées. En théorie, ce mécanisme existe, mais comme nous le verrons, il n’est pas simple et on n’y a presque jamais recours.

Procédure de congédiement d’un enseignant incompétent 

Les conventions collectives locales prévoient différents motifs de renvoi(8). En s’appuyant sur les conventions collectives, mais aussi sur les cas de renvoi et les témoignages de professionnels œuvrant dans le milieu scolaire, il est possible de tracer les contours de la procédure pouvant mener au congédiement d’un enseignant incompétent.

L’évaluation d’un enseignant avant l’obtention de sa permanence 

Avant d’obtenir sa permanence, un enseignant sera évalué à au moins deux reprises par la direction de son école. À la Commission scolaire de Montréal (CSDM), la plus importante commission scolaire du Québec, on utilise une grille d’évaluation comptant 43 indicateurs qui couvrent notamment les aspects de la pédagogie, de la contribution à la vie scolaire et du niveau de maîtrise de la langue française(9).

Selon le résultat obtenu à cette évaluation, l’enseignant se qualifie soit pour faire de la suppléance, soit pour un poste à temps partiel, soit pour un poste à temps plein menant à la permanence(10). Si la direction n’a pas le temps d’évaluer un enseignant parce qu’elle est débordée, comme cela arrive parfois, ou si elle omet de produire l’évaluation, cette omission est réputée équivaloir à une évaluation positive(11).

Dès qu’un enseignant obtient sa permanence, la qualité de son enseignement n’est plus évaluée dans de nombreuses commissions scolaires, particulièrement francophones. Les pratiques varient en effet d’une commission scolaire à l’autre. Les commissions scolaires anglophones, quant à elles, semblent recourir à l’évaluation périodiquement(12).

Les plaintes 

En l’absence d’une évaluation régulière de la qualité de l’enseignement, ce sont essentiellement les plaintes qui peuvent mettre la puce à l’oreille d’une direction scolaire. Ces plaintes peuvent provenir des élèves ou des parents. Parfois, ce sont des collègues qui se plaignent que les élèves qu’ils reçoivent ne maîtrisent pas adéquatement la matière censée avoir été transmise par l’enseignant d’un cours antérieur.

Avant d’en arriver à un congédiement formel, de nombreuses étapes doivent être suivies pour prouver hors de tout doute l’incompétence d’un enseignant. La direction commence par rencontrer l’enseignant individuellement pour s’enquérir de son état ou lui demander s’il éprouve des difficultés particulières. À cette occasion, la direction doit lui offrir de l’aide, des formations, lui proposer d’aller le voir en classe s’il le souhaite, lui prodiguer des conseils ou suggérer le support d’un conseiller pédagogique, voire de ses pairs. Toutefois, compte tenu de sa permanence, aucune évaluation de sa compétence n’est possible à cette étape, qui vise uniquement à épauler l’enseignant.

La supervision pédagogique 

Si la direction reçoit de nouvelles plaintes, elle peut recourir à la supervision pédagogique, qui implique un suivi régulier sur une longue période, soit plusieurs mois, voire plus d’une année scolaire. Durant cette période, l’enseignant doit atteindre un certain nombre d’objectifs précis. Des formations seront offertes, la direction pourra faire des visites en classe annoncées à l’avance et des rencontres régulières seront tenues. L’enseignant démontrant une volonté de s’améliorer aura tous les outils à sa disposition pour y parvenir.

Ce long processus est considéré comme exigeant en temps et en énergie pour la direction et c’est souvent à cette étape que le personnel de direction baisse les bras malgré l’incompétence d’un enseignant et les plaintes reçues. Cependant, les commissions scolaires offrent des formations aux directions scolaires sur la supervision pédagogique et les supportent tout au long du processus.

L’évaluation et le congédiement 

Si la supervision pédagogique se révèle un échec quant à l’atteinte des objectifs précisés, la direction peut alors mener une évaluation(13). Si les résultats de cette évaluation ne sont pas non plus satisfaisants, le syndicat peut en demander la révision et contester chaque évaluation négative pour chaque indicateur. Si l'évaluation négative est maintenue, la direction peut alors entamer un processus de congédiement en en faisant la proposition à la commission scolaire. La décision de congédiement doit être adoptée à une séance du Conseil des commissaires ou du Comité exécutif de la commission scolaire « après mûres délibérations » pour cause d’incapacité ou de négligence à remplir ses devoirs(14).

Tout au long du processus, le syndicat accompagne l’enseignant et ne manque pas de contester les démarches entreprises, notamment par le dépôt de griefs. Ce qui peut ressembler à un abus de procédures rend d’autant plus complexe et pénible l’ensemble du processus. Ainsi, chaque étape, chaque rencontre, chaque détail doit être consigné afin de pouvoir répondre à toutes les questions de toutes les instances, parfois des années après qu’un événement se soit produit.

L’ensemble du processus de congédiement pour incompétence demande au minimum des mois de travail, parfois des années, et résulte en un dossier volumineux. L’enseignant continue d’avoir la responsabilité d’élèves durant ce processus.

Les stratégies d’évitement 

Un processus de congédiement aussi ardu favorise des stratégies d’évitement de la part des enseignants, qui ne souhaitent pas être congédiés et reconnus comme incompétents. Dans plusieurs cas, les enseignants qui voient la qualité de leur enseignement contesté partent en congé de maladie, par exemple pour dépression ou épuisement professionnel. On paie alors à la fois la rémunération de l’enseignant en arrêt de travail temporaire et la rémunération du suppléant. Cependant, pour une direction d’école, ce résultat règle le problème en classe, ne serait-ce que temporairement.

Une autre stratégie d’évitement de la part des enseignants consiste à changer d’école au sein de la même commission scolaire en demandant une mutation(15). Ce déplacement du problème peut être considéré comme un soulagement pour la direction qui, dès lors, n’a plus à le gérer elle-même. Certaines directions d’école plus consciencieuses transmettent le dossier de l’enseignant à la nouvelle direction en indiquant les difficultés vécues dans leur établissement.

Les enseignants ne sont pas les seuls à recourir à des stratégies d’évitement puisque les directions, souvent débordées, se concentrent parfois sur les résultats à court terme en plaçant l’enseignant problématique dans un contexte où il n’est plus seul en classe, en suggérant une retraite anticipée si l’enseignant est âgé, ou en favorisant sa mutation.

Les congédiements d’enseignants pour incompétence de 2010 à 2015 

On ne trouve pas de statistiques officielles sur les congédiements d’enseignants et leurs motifs au ministère de l’Éducation(16). Ces données sont publiques, mais difficiles à trouver puisqu’elles doivent être compilées à partir des procès-verbaux du Conseil des commissaires de chaque commission scolaire.

Pour obtenir les données, nous avons donc envoyé une demande d’accès à l’information à 72 commissions scolaires québécoises. Nous avons ainsi obtenu les congédiements d’enseignants pour les années scolaires 2010-2011 à 2014-2015, ainsi que les extraits de procès-verbaux correspondants (voir Tableau 1). Dans la plupart des cas, nous avons ainsi pu déterminer le motif du congédiement, bien que le détail de chaque cas demeure généralement confidentiel. À notre connaissance, un tel exercice constitue une première.

On compte en tout 57 998 enseignants permanents dans les commissions scolaires du Québec. Au total, il y a 102 874 enseignants si l’on prend en compte tous les statuts d’emploi(17). Durant la dernière année scolaire, en 2014-2015, un seul congédiement pour incompétence a été relevé. La période de cinq ans couverte par notre demande d’accès à l’information montre que les congédiements sont excessivement rares, au nombre de sept. En proportion des enseignants permanents, ce nombre apparaît dérisoire et correspond à 0,012 %.

Est-il possible que la compétence des enseignants québécois soit telle qu’elle explique ces résultats? Il ne s’agit pas d’une explication plausible selon des professionnels du milieu. Les congédiements d’enseignants incompétents sont aussi rares que les congédiements d’enseignants violents ou criminels, ou encore pour des agissements de nature sexuelle, des motifs qui comptent aussi sept congédiements (voir Figure 1). Ce très petit nombre, sur une période de cinq ans, indique plus probablement la difficulté de parvenir à congédier un enseignant incompétent s’il jouit de la permanence.

Conclusion 

Il est important de mentionner que les enseignants ont le droit d’être assistés et qu’il est parfaitement normal et souhaitable qu’ils puissent faire appel à leurs syndicats pour les défendre dans ces circonstances. Ce sont les excès bureaucratiques faisant en sorte de rendre le processus de congédiement pour incompétence long et complexe qui posent problème.

Les procédures habituelles font actuellement en sorte qu’après l’octroi de la permanence, une majorité d’enseignants ne sont plus évalués pour ce qui est de la qualité de leur enseignement. Les moyens de remédier à cette lacune sont connus. Les écoles pourraient instituer des évaluations statutaires et périodiques des enseignants, par exemple aux cinq ans, comme en Ontario(18). Des épreuves uniformes plus fréquentes permettraient aussi de mieux mesurer la qualité de l’enseignement et des apprentissages. La rémunération au mérite basée sur des évaluations régulières serait aussi une solution prometteuse(19).

Le concept même de permanence dans l’enseignement paraît absurde. La compétence d’un enseignant devrait constituer la meilleure garantie de sa sécurité d’emploi. Par exemple, ne serait-il pas normal que, peu importe son ancienneté, lorsqu’un enseignant débute un emploi dans une nouvelle école, son travail soit évalué par la direction de cette école?

Valoriser la profession enseignante commence certainement par s’assurer de la compétence de ses membres. La qualité de l’apprentissage et la lutte au décrochage en dépendent aussi. Il serait donc important de s’y intéresser et de répondre à cet égard aux attentes légitimes des parents et des citoyens en général.

Cette Note économique a été préparée par Youri Chassin, économiste et directeur de la recherche à l’Institut économique de Montréal, et titulaire d’une maîtrise en sciences économiques de l’Université de Montréal. La Collection Éducation de l'IEDM vise à explorer dans quelle mesure une plus grande autonomie institutionnelle et la liberté de choix pour les étudiants et les parents permettent d'améliorer la qualité des services d'éducation.

Références 

1. Conseil supérieur de l’éducation, Un nouveau souffle à la profession enseignante, Avis au ministre de l’Éducation, septembre 2004, p. 36.
2. Divers auteurs, « Évaluer les enseignants? », La Presse, 6 septembre 2011.
3. Lia Lévesque, « Les enseignants opposés à l’idée de lier rémunération et résultats des élèves », Le Devoir, 21 février 2012.
4. Office des professions du Québec, Avis de l’Office des professions du Québec sur l’opportunité de constituer un ordre professionnel des enseignantes et des enseignants, décembre 2002; Pascale Breton, « Enseignants : De très rares congédiements », La Presse, 3 septembre 2011.
5. Nathalie Elgrably-Lévy, « La rémunération au mérite : un outil pour améliorer le système d’éducation », Note économique, IEDM, septembre 2011.
6. Monique Richard, « Ordre professionnel des enseignants – Un accès à la profession contrôlé », Le Devoir, 11 mai 2002; Lisa-Marie Gervais, « Le débat sur l’évaluation au mérite des enseignants refait surface », Le Devoir, 15 septembre 2011; Louise Leduc, « Évaluation des enseignants : un syndicat réagit aux propos de Bolduc », La Presse, 4 septembre 2014.
7. Cette perception est à peu près aussi positive que celle des médecins pour les sondages menés entre 1994 et 2004.
8. Voir Conseil supérieur de l’éducation, op. cit., note 1, p. 34. Voir l’article 5-7.00 des conventions collectives locales.
9. Commission scolaire de Montréal, Service des ressources humaines, « Formulaire T110 : Grille d’évaluation du personnel enseignant – Formation générale des jeunes ».
10. Idem.
11. Alliance des professeures et professeurs de Montréal, « Fiche syndicale : Liste de priorité – Formation générale des jeunes », avril 2015.
12. Association des enseignantes et enseignants de Montréal, Manuel des délégués 2014-2015, p. 53; Marie-Andrée Chouinard, « Évaluation des enseignants – L’inspiration anglophone », Le Devoir, 19 septembre 2011.
13. Convention collective locale CSDM, Annexe IV, 2012, disponible sur le site de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal.
14. Ibid., Chapitre 5-0.00 Conditions d’emploi et avantages sociaux, Article 5-7.06.
15. Si l’enseignant change de commission scolaire, le processus menant à la permanence doit être repris du début.
16. Voir Daphnée Dion-Viens, « Difficile de gérer l’incompétence des professeurs », Le Soleil, 5 septembre 2009.
17. Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du Québec, Statistiques de l’éducation : Éducation préscolaire, enseignement primaire et secondaire – Édition 2014, 2015, p. 86 et 92. Les données disponibles les plus récentes concernent l’année scolaire 2012-2013.
18. Ministère de l’Éducation de l’Ontario, Évaluation du rendement du personnel enseignant : Guide des exigences et des modalités, 2010, p. 21.
19. Nathalie Elgrably-Lévy, op. cit., note 5.​

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