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Mémoire présenté dans le cadre de la consultation publique de l’OCPM sur l’avenir de Griffintown (in French only)

Brief submitted by the Montreal Economic Institute as part of the OCPM’s public consultation on the future of Griffintown.

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L’avenir de Griffintown

La question de l’avenir de Griffintown(1) et de son développement ne peut pas être abordée sans reconnaître le manque de logements et ses effets sur les ménages montréalais. Dans un contexte où la demande résidentielle est en forte croissance, il est crucial que l’offre de logements suive une forte croissance – elle aussi – afin d’éviter que se loger convenablement ne devienne hors de la portée des ménages montréalais.

Jusqu’à présent, l’administration municipale semble avoir appliqué cette vision(2) dans le secteur de Griffintown, autorisant la construction de 9600 unités dans le secteur, permettant de loger autant de ménages montréalais. Dans l’intérêt des familles montréalaises et de ceux qui désirent emménager dans notre belle ville, il est nécessaire que l’administration municipale maintienne le développement de Griffintown et y autorise la construction de nouvelles unités.

La nécessité d’augmenter le nombre de mises en chantier

Le logement, comme tout autre bien, obéit aux lois de l’offre et la demande. Plus l’offre est restreinte par rapport à la demande, plus le prix de marché sera élevé. Dans un contexte où les coûts liés au logement connaissent une tendance à la hausse, et que les prévisions indiquent qu’ils continueront à grimper dans les années à venir – avec une augmentation prévue de 30 % dans la grande région de Montréal selon la SCHL(3) –, chaque projet de construction revêt une importance indéniable.

La littérature économique est très claire sur ce point d’ailleurs. Une revue de littérature réalisée en 2019 par le professeur Edward L. Gleaser de l’Université d’Harvard est sans équivoque :

« Une littérature abondante montre aujourd’hui que les restrictions de l’offre de logements ont le pouvoir d’augmenter les prix des logements, diminuer la construction et même fausser la productivité nationale(4). »

Bloquer les nouvelles constructions – que ce soit à Griffintown ou ailleurs – à l’aide de restrictions artificielles a un impact sur les prix du logement. À l’inverse, les nouvelles constructions aident à « contrôler » les prix, car elles permettent d’ajuster et d’augmenter l’offre pour répondre à la demande.

Malheureusement, les données sur les mises en chantier sur le territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) vont dans la mauvaise direction. Pour les six premiers mois de 2023, seules 5927 unités(5) ont été mises en chantier dans la région, une diminution de 42 pour cent par rapport à l’an dernier. C’est aussi bien en deçà de l’objectif annuel(6) de 35 000 mises en chantiers que la CMM s’est fixée afin d’aider à restaurer l’abordabilité. Devant la chute du nombre de mises en chantiers et l’écart croissant entre la réalité et les cibles fixées par les municipalités de la région, il serait insensé de se priver d’un développement potentiel de 8000 unités supplémentaires à Griffintown tel qu’il est prévu dans le plan actuel de développement du secteur(7).

Les occasions d’accroître le nombre de logements du parc immobilier montréalais doivent être saisies afin de permettre aux familles de trouver un logement décent, à un niveau de prix respectant leur capacité de payer.

L’effet positif de Griffintown sur l’abordabilité du logement

Des études économiques(8) sur la question montrent que, peu importe le niveau de prix des unités bâties, l’impact de l’accroissement de l’offre de logement se fait sentir dans chaque catégorie de prix.

Une étude récente du professeur Evan Mast de l’Université Notre-Dame(9) a mis en évidence que le fait de construire 100 logements, même haut de gamme, se traduit en une réduction de la demande d’au moins 45 unités dans les quartiers où le revenu moyen est inférieur au revenu médian, dont 17 situées dans les quartiers où le revenu moyen se situe dans le quintile le plus bas. Cette dynamique indique que l’augmentation de l’offre de logements, quelle que soit la gamme de prix, permet de libérer des unités dans les quartiers les plus populaires.

Cette tendance s’explique par le fait que le déménagement d’un ménage vers un nouveau logement libère une unité, ce qui engendre une suite de déménagements en cascade alors que d’autres choisissent de s’établir dans le logement rendu vacant par le déménagement précédent. Les choix en matière de logement sont intrinsèquement liés à la capacité de paiement des individus. Lorsqu’une personne opte pour un logement plus luxueux, elle libère ainsi un logement plus abordable, qui devient disponible pour d’autres. L’étude précédemment mentionnée montre précisément que bon nombre d’unités abordables sont actuellement occupées par des ménages ayant la capacité financière de se procurer un logement plus cher et le désir potentiel d’y emménager.

En outre, ces effets de déplacement se déploient à court terme, exerçant rapidement une influence tangible sur le marché du logement. Ainsi, la construction de nouveaux logements, même haut de gamme, génère un effet de déplacement bénéfique pour les familles résidant dans des quartiers populaires, leur offrant la possibilité de reconsidérer leurs options plus rapidement que dans les circonstances actuelles.

Cet effet de déplacement, lorsqu’appliqué au cas précis de Griffintown, nous permet de calculer que les 9600 logements(10) bâtis dans le quartier depuis 2007 ont contribué à libérer pas moins de 4320 unités(11) dans les quartiers dont le revenu moyen est inférieur au revenu médian. De ce nombre, 1632 unités de logement(12) ont été rendues disponibles dans les quartiers où le revenu moyen se situe dans le dernier quintile.

Si l’effet qu’a eu le développement de Griffintown sur la disponibilité de résidences dans le Grand Montréal est notable, il importe de considérer l’effet que pourrait avoir le développement subséquent sur la disponibilité et l’abordabilité du logement dans la région. Après tout, selon les estimations de la ville, il resterait un potentiel de 8000 logements(13) à développer dans le quartier.

En calculant l’effet de déplacement qui découlerait d’un développement du potentiel restant de Griffintown, on comprend que la création de ces unités contribuerait à mettre à disposition un minimum de 3600 unités de logement abordable dans les quartiers où le revenu moyen est inférieur au revenu médian(14). Pour les ménages vivant dans les quartiers dont le revenu moyen se situe dans le dernier quintile, le nombre de logements libérés serait d’au moins 1360(15). L’impact positif découlant de la construction de ces nouveaux logements y est donc très clair pour l’ensemble des ménages montréalais, notamment ceux et celles dont le revenu se situe dans les plus bas quintiles.

L’administration municipale doit permettre au secteur d’atteindre tout son potentiel, autorisant la construction de 8000 unités supplémentaires dans un quartier en demande, près du centre-ville et d’axes de transport importants. Non seulement cet ajout permettrait d’augmenter à 17 600 le nombre de logements construits dans le secteur depuis 2007, mais permettrait aussi un effet cumulatif rendant disponibles 7920 logements(16) dans les quartiers dont le revenu moyen est inférieur au revenu médian, ce qui correspondrait à 2992 logements pour le quintile le moins fortuné(17).

Les entraves au développement résidentiel du phénomène du « pas dans ma cour »

Le phénomène du « pas dans ma cour » (l’acronyme anglais NIMBY, pour « Not In My Backyard ») exerce une influence néfaste sur l’offre de logements à Griffintown, pouvant aggraver la situation dans un environnement déjà caractérisé par la rareté du logement et l’augmentation des prix qui en découle. Certains citoyens de Griffintown voyant le développement et le changement de leur quartier décident de monter aux barricades, s’opposant à la construction de nouveaux logements pour les Montréalais et Montréalaises qui désireraient y emménager. Par exemple, le référendum qui a rejeté le projet Eleanor(18) – visant à accroître de plus de 100 logements le parc immobilier du secteur – montre bien la montée de cette attitude du « pas dans ma cour », malgré la nécessité d’accroître l’offre de logements.

À la question d’une opposition locale, nous aimerions opposer l’intérêt supérieur de l’ensemble des Montréalais et Montréalaises qui, dans un contexte de rareté du logement, voient les prix augmenter à vitesse grand V.

Dans un contexte plus large de rareté du logement, l’impact du phénomène « pas dans ma cour » peut être particulièrement préjudiciable. Alors que la demande de logements dépasse largement l’offre dans de nombreuses régions, la non-réalisation de projets résidentiels peut contribuer à intensifier la pénurie de logements en entraînant une insuffisance chronique d’unités disponibles. Cela se traduit par une augmentation continue des prix du logement, rendant l’accessibilité financière de plus en plus difficile, en particulier pour les ménages les moins nantis.

La nature cumulative de l’impact du phénomène « pas dans ma cour » est d’autant plus critique à Griffintown, où le potentiel de construction de nouveaux logements – s’élevant selon l’administration à 8000 – pourrait jouer un rôle crucial pour répondre à la demande croissante de logements.

Conclusion

La rédaction de ce mémoire a été guidée par une revue approfondie de la littérature économique centrée sur le développement immobilier et ses effets sur l’accessibilité du logement. Cette démarche a non seulement validé une intuition des plus rationnelles, à savoir que la disponibilité des logements est l’élément clé pour réduire les prix dans le secteur immobilier, mais a également mis en lumière certaines dynamiques sous-jacentes.

Il est impératif de reconnaître qu’au cœur de ce processus se trouve l’importance cruciale d’éviter toute mentalité de repli (« pas dans ma cour ») qui pourrait entraver la concrétisation de milliers de logements potentiellement réalisables dans le secteur Griffintown. La pénurie de logements que vivent les Montréalais et Montréalaises exige une action prompte afin d’enrichir l’offre de logements disponibles sur l’ensemble de l’île de Montréal.

Dans ce contexte, l’administration se doit d’adopter une approche proactive, reconnaissant que chaque nouveau logement est une arme de plus dans la lutte contre l’érosion de l’abordabilité du logement.

References

  1. Office de consultation publique de Montréal (OCPM), Avenir de Griffintown, consulté le 10 août 2023.
  2. Mario Girard, « Griffintown doit avancer », La Presse, 1er avril 2022.
  3. Quentin Dufranne, « La hausse des loyers pourrait atteindre 30 % d’ici trois ans », Journal Métro, 5 juin 2023.
  4. Traduction libre; Edward L. Glaeser, « The Macroeconomic Implications of Housing Supply Restrictions », Springer, 2019, p. 99.
  5. Statistique Canada, Tableau 34-10-0143-01 : Société canadienne d’hypothèques et de logement, logements mis en chantier, en construction et achèvements dans les centres de 10 000 habitants et plus, pour Canada, provinces, et certaines régions métropolitaines de recensement.
  6. Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), « Politique métropolitaine d’habitation : Agir pour un Grand Montréal inclusif, attractif et résilient », novembre 2022, p. 22.
  7. Office de consultation publique de Montréal (OCPM), « Bilan de la mise en œuvre du programme particulier d’urbanisme – secteur Griffintown », Le Sud-Ouest de Montréal, mars 2023, p. 74.
  8. Evan Mast, « JUE Insight: The effect of new market-rate housing construction on the low-income housing market », Journal of Urban Economics, vol. 133, janvier 2023, p. 4.
  9. Idem.
  10. Office de consultation publique de Montréal (OCPM), op. cit., note 7, p. 33.
  11. Calcul de l’auteur.
  12. Calcul de l’auteur.
  13. Office de consultation publique de Montréal (OCPM), op. cit., note 7.
  14. Calcul de l’auteur.
  15. Calcul de l’auteur.
  16. Calcul de l’auteur.
  17. Calcul de l’auteur.
  18. Lila Maitre, « Griffintown : un projet immobilier rejeté par référendum », Journal Métro, 15 juin 2022.
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