Faire fuir les emplois sans réduire les GES !
Avec l’élection de Doug Ford comme prochain premier ministre de l’Ontario, le marché du carbone est en danger. Le gouvernement du Québec envisage d’ailleurs de lancer une opération charme afin de convaincre l’Ontario de continuer à en faire partie. Mais que se passera-t-il si le nouveau gouvernement remplit sa promesse de se retirer ?
Entre 1990 et 2015, le Québec et l’Ontario n’ont réduit que de 9 % leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) et la Californie les a augmentées de 0,7 %. Aucun n’est en voie d’atteindre ses objectifs de réduction, qui sont de 37 à 40 % pour 2030, et de 80 % pour 2050.
Le principe qui sous-tend la Bourse ou marché du carbone est simple : les entreprises doivent réduire leurs émissions de GES ou acheter un « droit » de polluer au prix du marché. À mesure que les plafonds d’émission diminuent, les droits d’émission se font plus rares et leur prix augmente, ce qui encourage les entreprises à innover.
En théorie, le mécanisme a du sens. C’est dans la pratique que ça se gâte.
Comme certains secteurs (l’agriculture et la gestion des déchets) en sont exclus, d’autres devront faire plus. Au Québec, cela équivaut à faire passer les cibles de réduction à 45 % en 2030 et à 96 % en 2050 pour les secteurs assujettis. C’est d’autant plus illusoire que les entreprises qui subissent la concurrence internationale reçoivent des droits d’émission gratuits.
De plus, les prix sur le marché du carbone devront augmenter de façon très importante pour que les individus et les entreprises soient incités à adopter de nouveaux comportements ou de nouvelles façons de faire.
Même le gouvernement le sait
Les principales études qui ont examiné la question prévoient que le prix du carbone sera de 30 à 100 $ la tonne en 2030, ce qui ne sera pas suffisant pour que les gens changent leurs comportements. Ils continueront à émettre presque autant de GES, mais paieront un peu plus cher qu’aujourd’hui pour avoir le droit de le faire.
Une évaluation du ministère des Finances du Québec estime par exemple qu’une hausse du prix du carbone à 93 $ en 2030 (il est présentement d’environ 20 $) ne permettrait d’atteindre qu’un cinquième de la réduction souhaitée. Concrètement, le litre d’essence coûterait environ 20 cents de plus qu’aujourd’hui. Choquant, mais pas assez pour vous pousser à vendre votre voiture.
La seconde conséquence de l’évolution actuelle du prix du carbone est que l’argent qui sert à acheter les droits d’émission nécessaires sera envoyé… en Californie.
Simple question de logique : si les prix du carbone demeurent peu élevés, c’est qu’il y aura d’importants surplus de droits. Et si le Québec et l’Ontario ont besoin d’acheter plus de droits d’émission, c’est forcément la Californie, un marché beaucoup plus grand, qui en aura à vendre.
La vérificatrice générale de l’Ontario croit ce scénario probable. Elle évalue que les fuites vers la Californie seront de 470 millions de dollars pour l’année 2020 et de 2,2 milliards en 2030. Le Québec sera vraisemblablement dans la même situation. Des milliards dépensés pour la bonne conscience, sans réduire les émissions au Canada.
Et si ça coûtait plus cher?
La solution serait-elle alors d’augmenter le prix des émissions, quitte à imposer une taxe très élevée sur le carbone si le prix du marché est trop bas ? Cela ne réglerait pas plus le problème.
Si le prix du carbone est plus élevé que ce que les entreprises québécoises, ontariennes ou californiennes peuvent payer, elles déplaceront leurs activités vers des endroits où la réglementation est moins sévère. Celles qui ne pourront pas le faire réduiront leurs activités ou fermeront leurs portes. À ce moment, ce seront des emplois qui disparaîtront.
Pour qu’un mécanisme tel que la Bourse du carbone réussisse à faire diminuer les émissions de GES, il devrait couvrir plus que trois territoires qui ne représentent qu’une petite partie de l’économie nord-américaine. Le retrait possible de l’Ontario soulève des questions quant à la pertinence même d’y prendre part.
Si l’objectif est de s’attaquer aux problèmes causés par les changements climatiques, les gouvernements du Québec et de l’Ontario devraient adopter une approche globale. L’approche locale actuelle ne mène qu’à deux mauvaises alternatives. Ce n’est pas en envoyant des capitaux ou des emplois à l’étranger qu’on réduira les émissions de GES.
Germain Belzile is a Senior Associate Researcher at the MEI and the coauthor of “The Carbon Market: Chasing Away Jobs and Capital without Reducing GHGs.” The views reflected in this op-ed are his own.