Est-ce que «le Père Noël est une ordure» pour les économistes?
Lorsqu’on entend les économistes parler de Noël, c’est la plupart du temps pour parler des bienfaits des achats durant cette période pour les commerçants. Il y a quelques années, Statistique Canada montrait que le secteur de la vente au détail réalisait plus de 11 % de son chiffre d’affaires durant le mois de décembre. Mais ce n’est pas la seule chose que les économistes ont à dire à propos de Noël. Une théorie économique soutient que Noël fait… diminuer le bien-être économique.
L’idée est simple. Les étrennes que les gens reçoivent à Noël ne leur plaisent pas toujours. Par exemple, un article récent à propos des cadeaux insolites que certains enseignants et éducateurs avaient reçus listait du « chocolat périmé, un centre de table de Noël avec des chandelles qui puent, un antisudorifique, des sous-vêtements, une statue de la Sainte Vierge, un ange, un cygne, des cure-oreilles, une boîte de bouillon de poulet, un sous-verre à café (à une prof qui n'en boit pas), même un objet poussiéreux, coquerelle en prime! ».
Même lorsque les cadeaux plaisent aux gens qui les reçoivent, bien souvent ils ne les auraient pas achetés eux-mêmes, ou du moins ils n’auraient pas été prêts à les payer le plein prix. Une étude montre qu’en moyenne, les gens auraient été prêts à payer seulement 80 % du prix des cadeaux qu’ils reçoivent. Le 20 % restant, ce surplus payé par la personne faisant le cadeau, correspond à une forme de perte économique. Et il s’agit d’une moyenne, les cadeaux faits par les grands-parents seraient encore bien pires! Aux États-Unis où l’étude a été réalisée, ce serait 85 milliards de dollars qui seraient ainsi gaspillés à chaque saison des Fêtes sur des cadeaux mal choisis.
Ça ne veut toutefois pas dire qu’on devrait tous arrêter de se faire des cadeaux. Par exemple, le Père Noël peut éviter de faire erreur en donnant de l’argent, ou limiter la portée de ses erreurs en offrant des certificats cadeaux. Mais aussi, quand une personne nous connaît bien, ou qu’elle nous veut du bien, elle peut nous offrir un objet qu’on n’aurait jamais pensé s’offrir, ou même nous faire découvrir quelque chose. Par exemple, j’ai reçu ma première cassette de Led Zeppelin quand j’étais adolescent et que je ne connaissais pas ce groupe, qui est plus tard devenu un de mes groupes préférés.
Une autre raison est que grâce aux cadeaux, on peut parfois recevoir des choses achetées loin d’ici, auxquelles on n’a pas accès. Par exemple, quand je vais en voyage j’essaie de ramener en cadeau à mon père une bouteille de vin qui n’est pas disponible au Québec.
Mais parfois, aussi, certains cadeaux valent plus à nos yeux justement parce qu’ils nous ont été donnés. Les dessins offerts par les enfants n’ont presque aucune valeur monétaire, mais ont habituellement une grande valeur sentimentale aux yeux de celui qui le reçoit.
On doit simplement faire attention lorsqu’on connaît mal la personne à qui on fait un cadeau. Lorsqu’on la connaît mal, qu’on n’a pas d’information particulière à propos de ce qu’elle souhaite et qu’on n’a pas de moyen de le découvrir, on devrait faire bien attention de ne pas offrir de cadeau qui pourrait s’avérer être du gaspillage.
On peut faire un parallèle avec les interventions économiques de l’État. Il prend à sa charge une part très importante de l’activité économique. En 2009 au Québec, les gouvernements fédéral et provincial dépensaient une somme équivalente à 47 % de toute l’activité économique. L’État remplit beaucoup de services et fait beaucoup de bonnes choses. Mais si vous deviez payer vous-même tous ces services, seriez-vous prêt à donner l’équivalent de tout ce que vous payez déjà en taxes et impôts pour les obtenir? Ou est-ce que vous en donneriez un peu moins, compte tenu de la qualité du service, mais aussi peut-être du fait que vous n’utilisez pas certains de ces services? L’État aussi crée sûrement du gaspillage à cause de « cadeaux » mal choisis, ou mal adaptés aux souhaits des contribuables.
Tout comme la personne qui nous connaît mal, l’État n’a la plupart du temps que peu d’information à propos de ce qu’on préfère et de la façon dont on voudrait gérer notre budget. Pourtant, il n’hésite pas à vous faire des « cadeaux » qu’on ne souhaite pas forcément recevoir. Clairement, le Père Noël n’est pas une ordure et l’État non plus, mais tous les deux gagneraient à laisser plus de choix aux gens à qui ils font des cadeaux. D’autant plus que, dans le cas de l’État, les « cadeaux » que reçoivent les contribuables ont été payés avec leur propre argent!
Mathieu Bédard is Economist at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.