Les faits s’accumulent en faveur des avantages du privé en santé
Dans un texte paru le 6 août dans Le Devoir, la professeure en droit Colleen M. Flood de l’Université de Toronto souhaite mettre en garde les Canadiens contre les risques qu’entraînerait un rôle accru confié au secteur privé dans le domaine des soins de santé. À son avis, « l’aspect le plus précieux du système de santé canadien est son engagement à restreindre l’offre privée de soins hospitaliers et médicaux qui sont nécessaires sur le plan thérapeutique ».
La santé est un enjeu qui suscite beaucoup d’émotions, ce qui pousse parfois certains commentateurs à se réconforter avec de beaux principes plutôt que d’adopter une vision pragmatique des choses axée sur les résultats.
À l’aide d’une habile rhétorique, Mme Flood cherche à convaincre les lecteurs que la piètre performance relative du système de santé canadien s’expliquerait par l’importante quantité de soins privés offerts au pays. Son argumentaire s’appuie sur une étude récente du Commonwealth Fund (CWF) portant sur 11 pays développés qui montre que le système canadien arrive en queue de peloton au chapitre de la qualité des soins (9e), de l’efficacité (10e), de l’équité (9e), de l’état de santé de la population (8e) et bon dernier en ce qui concerne la rapidité d’accès aux soins (11e).
Distinction
Concédons d’abord un point à Mme Flood : l’information selon laquelle la couverture publique des soins de santé s’élève à 70 % au Canada n’est pas fausse. Cette statistique est cependant trompeuse. Mme Flood omet de faire une précision fort importante, à savoir que les dépenses pour les soins jugés nécessaires d’un point de vue médical — soit la quasi-totalité des soins dispensés dans les hôpitaux et dans les cabinets de médecins — sont couvertes intégralement par le régime public. Quant aux dépenses qui sont financées de façon privée, elles concernent essentiellement les services de dentisterie, d’optométrie, de massothérapie, de physiothérapie, de psychologie, ainsi que les dépenses de médicaments effectuées en dehors des établissements hospitaliers.
Cette distinction est cruciale puisque ce sont précisément les services jugés médicalement requis que le système public au Canada peine à offrir efficacement aux patients et qui ont fait l’objet de l’analyse du CWF. En effet, sur les 80 indicateurs de performance utilisés par l’organisme de recherche, moins de cinq concernent des services de santé qui échappent à la couverture du régime public.
Il est vrai, comme le mentionne Mme Flood, que la plupart des pays européens prévoient la couverture universelle publique des médicaments d’ordonnance, contrairement au Canada. Fait intéressant cependant, le rapport du CWF montre que le Canada s’en tire mieux que la majorité des pays évalués au chapitre de l’accès des moins nantis à ces produits. Seulement 8 % des Canadiens à revenus inférieurs à la moyenne reconnaissent avoir renoncé en 2013 à prendre un médicament en raison du coût, ce qui place le Canada au 4e rang du classement du CWF à cet égard. En comparaison, ce pourcentage s’élève à 18 % en Nouvelle-Zélande, un pays pourtant doté d’une couverture publique universelle des médicaments d’ordonnance.
Le Canada devrait suivre l’exemple des plus performants.
La Colombie-Britannique
Enfin, Mme Flood affirme qu’« [au] lieu de chercher à adopter les politiques des systèmes les plus performants, le Canada semble reculer ». Elle donne pour preuve le recours devant les tribunaux intenté par une clinique privée et un groupe de patients en Colombie-Britannique, ce qui, selon elle, ferait en sorte de nous rapprocher du modèle américain.
Or rien n’est plus éloigné de la réalité. Les quatre sections de la Loi sur les services de santé que contestent les plaignants concernent l’interdiction de souscrire une assurance privée duplicative (section 45), l’interdiction de la pratique médicale mixte (section 14) et l’interdiction aux médecins de s’entendre mutuellement avec leurs patients à l’égard de certains tarifs (sections 17 et 18).
Le système canadien est une anomalie par rapport à ceux des autres pays industrialisés en ce qui concerne ces politiques de santé. Le Canada fait figure d’exception en limitant le rôle de l’assurance-maladie privée à la seule couverture des services non assurés par le régime public. Le Canada est également seul à interdire à ses médecins de pratiquer à la fois dans le secteur public et le secteur privé.
Alors que 99 % des hôpitaux sont publics au Canada, tous les autres pays accordent un rôle de premier plan aux établissements privés dans la prestation de services hospitaliers. Plus du tiers des hôpitaux sont privés à but lucratif en Allemagne (42 %), en France (39 %) et en Australie (36 %). Ainsi, contrairement aux prétentions de Mme Flood, si les plaignants devaient obtenir gain de cause, le système canadien se rapprocherait non pas du modèle américain, mais plutôt des systèmes universels les plus performants au monde, en Europe et en Australie. Les patients seraient incontestablement les premiers à en profiter.
Yanick Labrie is an Economist at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.