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Les erreurs de Thomas Piketty

Le livre Le capital au 21è siècle, de l’économiste français Thomas Piketty, fait beaucoup jaser. Notamment depuis que le Financial Times y a trouvé des erreurs de formules et de transcriptions de données qui viendraient fausser les conclusions de l’auteur. Le professeur Piketty a toutefois répondu à certaines de ces critiques

Rappelons que le livre de M. Piketty défend la thèse selon laquelle le capitalisme doit être encore plus contrôlé qu’aujourd’hui, car il générerait des inégalités grandissantes. Entre autres, Piketty suggère que les gouvernements instaurent un (autre) impôt, celui-là sur le « capital ».

Mais au-delà des allégations d’erreurs factuelles, c’est la compréhension de base de l’économie, notamment son caractère dynamique, qui fait défaut dans l’analyse de Piketty. Comme le souligne le chercheur et économiste Herbert Grubel, la quantité de statistiques utilisées par M. Piketty a beau être impressionnante, celles-ci sont au final assez peu pertinentes pour étayer la conclusion à laquelle il arrive.

D’abord, ces statistiques montrent une « photo instantanée » de la redistribution de revenus d’une population à un moment donné. Or, la composition de cette population change constamment. Pour bien mesurer l’accroissement ou non des inégalités, il faut plutôt tenter de suivre les revenus d’une « cohorte » d’individus dans le temps. Et tel que souligné dans une Note économique de l’IEDMloin d’être confinés à une classe de revenus toute leur vie, les ménages voient leur position relative dans l’échelle des revenus changer continuellement. D’ailleurs, Statistique Canada a publié une étude exhaustive portant sur l’évolution des revenus des mêmes ménages canadiens sur une période de cinq ans. Les données montrent que c’est chez les 20 % les plus pauvres qu’on retrouve la plus forte mobilité économique à la hausse. En effet, 43 % des personnes qui faisaient partie du quintile inférieur de revenus en 2005 se sont retrouvées dans un quintile de revenus supérieur avant la fin de la période de cinq ans.

Cette mobilité des revenus joue aussi à l’autre extrême du spectre des revenus. Par exemple, aux États-Unis, de 1992 à 2009, 73 % des individus présents sur la liste des 400 plus riches (selon leur déclaration d’impôt à l’IRS) ne l’ont été que pendant une seule année.

Fait également très important, il faut tenir compte de la nature changeante des ménages, sinon on risque de surestimer l’ampleur des inégalités. Les mesures d’inégalité économique sont calculées le plus souvent à partir de données sur les ménages plutôt que sur les individus. Mais si la composition de ces ménages change (par exemple s’il y a soudainement plus de ménages comprenant une seule personne, donc un seul revenu), cela aura des conséquences notables sur le calcul des écarts de revenus. Aux États-Unis par exemple, l’inégalité de revenu pour les individus n’a presque pas bougé depuis 50 ans, alors que l’inégalité de revenu chez les ménages a augmenté. Et ce sont des facteurs démographiques et sociaux, plutôt qu’économiques, qui ont mené à cette augmentation. Et un impôt de plus imposé par l’État n’y changerait absolument rien.

On pourrait ajouter qu’il existe d’autres façons de mesurer les inégalités qu’en comparant simplement les niveaux de revenus. Et que ces autres types d’inégalités n’évoluent pas de la même façon, et qu’ils montrent que notre société est peut-être moins inégale qu’on pourrait le croire.

Finalement, ceux qui voudraient trouver dans l’œuvre de Piketty une justification ou un appui du rejet capitalisme en tant que système économique seront déçus. Dans une entrevue au Globe and Mail, Piketty lui-même affirme qu’abandonner le capitalisme serait une très mauvaise idée. Il soulignait que la propriété privée et le système de marché sont non seulement bons pour promouvoir l’innovation et la croissance, mais aussi bons pour protéger notre liberté individuelle. Et que chaque économie planifiée (command economy) dans l’histoire s’est avérée « un désastre en termes de croissance économique, mais aussi de liberté individuelle ».

Michel Kelly-Gagnon is President and CEO of the Montreal Economic Institute. The views reflected in this column are his own.

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