Transport du pétrole: la sécurité d’abord
Comme la plupart des Québécois, je me suis senti directement touché quand j'ai appris la nouvelle de l'accident ferroviaire à Lac-Mégantic. J'ai plusieurs fois visité cette charmante petite ville au mois d'août à l'occasion d'une visite à l'Observatoire du Mont-Mégantic pour y observer les Perséides.
Le fait que cette tragédie nous touche de si près devrait d'autant plus nous motiver à trouver des solutions pour éviter que cela se reproduise, que ce soit chez nous ou ailleurs en Amérique du Nord. Et justement, nous sommes depuis plusieurs mois au cœur d'un important débat continental sur l'opportunité de construire de nouveaux pipelines.
Pour le militant écologiste Steven Guilbeault, il serait déplacé de discuter de ce genre de question alors qu'on compte encore les victimes. M. Guilbeault ne se gêne pourtant pas dans le même article pour faire de façon opportuniste la promotion de sa « solution » à lui au problème de sécurité que pose le transport du pétrole. Il propose, sans grande surprise, de « nous libérer de notre dépendance au pétrole ».
Pour ma part, ce que je trouve déplacé, c'est de pelleter des nuages alors que nous sommes confrontés à une problématique bien réelle qui nécessite des solutions à court et moyen terme. Et cela, pour assurer non seulement notre sécurité énergétique, mais aussi notre sécurité sur le plan environnemental et notre sécurité physique tout court.
La réalité est que même au Québec, paradis de l'hydro-électricité, où 40 % de nos besoins énergétiques sont comblés par l'électricité, le pétrole remplit des besoins pratiquement aussi importants à 39 %. Même si tous les Québécois, pour qui c'est possible de le faire, se mettaient à prendre l'autobus et le métro, à pratiquer le covoiturage ou à conduire une voiture électrique, il faudrait toujours importer des quantités considérables de pétrole pour faire fonctionner notre économie.
Il ne faut d'ailleurs pas oublier que la consommation d'essence pour les voitures ne représente que 43 % des produits pétroliers raffinés au Canada. Le diesel, qui sert par exemple à faire fonctionner la machinerie agricole ou minière, compte pour un autre 27 %, le kérosène qu'on met dans les avions pour 6 % et l'huile à chauffage pour 4 % (ministère des Ressources naturelles du Canada, p. 21).
De plus, il serait carrément impossible de se «libérer de notre dépendance au pétrole» sans se passer de ces objets de la vie quotidienne. Les fibres synthétiques, le plastique et les nombreux types de polymères fabriqués à partir de pétrole sont littéralement partout, des iPhone aux verres de contact, en passant par les jouets d'enfants, les vêtements en polyester, nylon et acrylique, les bouteilles en plastiques et le dentifrice. Même le vélo de Steven Guilbeault roule sur des pneus dont la fabrication nécessite plusieurs litres de pétrole!
À court et moyen terme, le pétrole va donc continuer de faire partie de nos vies. Le transport du pétrole va toujours se faire de diverses façons (par train, par bateau, par camion-citerne, etc.) et ce, avec ou sans l'autorisation des controversés oléoducs. Tous les modes de transport du pétrole vont demeurer pertinents et nécessaires pour encore un certain temps.
Les oléoducs ont toutefois l'avantage d'être de loin le mode de transport le plus sécuritaire. Diana Furchtgott-Roth, une spécialiste américaine de la question, a rappelé les chiffres officiels de l'organisme responsable de la sécurité au ministère américain du Transport dans un article du Globe and Mail paru au lendemain de la tragédie de Lac-Mégantic.
Les dernières données disponibles montrent qu'entre 2005 et 2009, c'est le transport routier qui a connu le plus haut taux d'incidents sérieux aux États-Unis, avec 19,95 par milliards de tonnes-milles (c'est-à-dire des tonnes de fret transportées sur une distance d'un mille). Le transport par train arrive en deuxième place avec 2,08 incidents, alors que le transport par pipeline ne connaît que 0,58 incident par milliards de tonnes-milles.
Le nombre de blessures et de décès montre une tendance similaire. Le transport par train était 37 fois plus susceptible de mener à des blessures, et 25 fois plus susceptible de mener à des décès que le transport par pipeline. Quant au transport routier, il était 143 fois plus susceptible de mener à des blessures et 70 fois plus susceptible de mener à des décès que le transport par pipeline.
On le voit, le niveau de sécurité est considérablement plus élevé lorsqu'on transporte du pétrole par pipeline que par les autres modes de transport. Tous les moyens de transport ont évidemment leurs coûts et leurs inconvénients, y compris les oléoducs, mais ces derniers sont beaucoup moins susceptibles de mener à des accidents sérieux comme celui des derniers jours.
C'est ce genre de données qu'il faudra garder en tête lorsque viendra le temps de décider si les projets comme ceux d'Enbridge et de TransCanada devraient être approuvés ou non.
Michel Kelly-Gagnon is President and CEO of the Montreal Economic Institute. The views reflected in this column are his own.