Imitons la Suède
Depuis plusieurs décennies, il ne se produit pas un débat public sans qu’on cite en exemple le modèle suédois où l’État-providence prend en charge l’individu du berceau jusqu’à la tombe.
À plusieurs égards, s’inspirer de l’expérience suédoise est approprié tant les similitudes avec notre belle province sont nombreuses. À l’instar du Québec, ce pays a traversé une grave crise économique dans les années 1990: hausse du taux de chômage, importante détérioration des finances publiques, augmentation vertigineuse de la dette publique, dégradation du système de santé et d’éducation, etc.
Certes, la Suède a depuis réussi à renflouer son Trésor public, à maîtriser sa dette et à enregistrer un taux de croissance économique enviable, autant de prouesses qui contribuent à l’élever au rang de modèle à reproduire. Récemment, le ministre des Finances, Raymond Bachand, invoquait le modèle suédois pour justifier l’étatisation du jeu en ligne. Claudette Carbonneau, présidente de la CSN, a également fait appel à la célèbre social-démocratie scandinave pour défendre l’idée d’une hausse de l’impôt des particuliers à revenus élevés. M. Bachand et Mme Carbonneau souhaitent qu’on imite le modèle suédois? Excellente idée! Mais pourquoi se contenter d’émuler quelques mesures? Adoptons-le au complet.
Par exemple, on pourrait reproduire la manière dont fonctionne le marché du travail suédois. S’il est vrai que le taux de syndicalisation avoisine les 80%, il reste que les négociations salariales ont été radicalement décentralisées, si bien que 93% des travailleurs suédois couverts par une convention collective négocient maintenant leurs conditions de travail à l’échelle locale. Notons aussi que la rémunération des employés de l’État, jadis calculée selon l’ancienneté, est maintenant déterminée en fonction de leur rendement. Quant à la sécurité d’emploi, elle a carrément disparu. Mme Carbonneau souhaite qu’on imite la fiscalité suédoise, mais serait-elle disposée à appliquer leurs réformes relatives au marché du travail?
Quant à M. Bachand, il pourrait recourir à l’expérience suédoise lors de l’élaboration de son prochain budget. Alors qu’il espère éponger son déficit en haussant la TVQ, la Suède a opté pour une série de réformes majeures à son régime fiscal afin de réduire substantiellement le fardeau supporté par les travailleurs et les entreprises. En date du 1er janvier dernier, 99% des travailleurs à temps plein ont bénéficié d’une réduction d’impôts variant de 1000 à 1500 couronnes suédoises par mois (soit entre 141$ et 212$ par mois). La fiscalité des entreprises, quant à elle, a fait l’objet de changements si importants qu’elle figure maintenant parmi les plus concurrentielles au monde.
Pour les gouvernements suédois qui se sont succédé, la «réduction de la taille de l’État» était plus qu’un slogan. Ils ont procédé à une importante décentralisation des pouvoirs au niveau des autorités locales et à une réorganisation totale des composantes du gouvernement. Ils ont ouvert à la concurrence, et donc au secteur privé, le secteur de la santé. Ils ont libéralisé à divers degrés l’industrie de l’électricité, du taxi, des télécommunications, des services postaux, de la vente d’alcool et du transport aérien et ferroviaire.
Les réformes adoptées depuis 1995 ont permis au pays des Vikings de redresser son économie. Aujourd’hui, le modèle suédois ne fait pas référence à la concrétisation d’un paradis socialiste. C’est plutôt le symbole d’une classe politique qui a eu l’humilité de reconnaître la banqueroute de l’État-providence, la sagesse de remettre en question les vaches sacrées qui handicapent l’économie, et le courage de sortir des sentiers battus et de procéder à des changements contraires aux dogmes. Nos élus invoquent souvent le modèle suédois… mais auront-ils l’audace de le mettre en pratique?
Nathalie Elgrably-Lévy is Senior Economist at the Monreal Economic Institute.
* This column was also published in Le Journal de Québec.