Détruire et créer
Boisbriand, 21 h 15. Une soirée froide et humide. Je referme la portière de ma voiture et regarde autour de moi. La dernière fois que j’ai mis les pieds ici, c’était il y a 20 ans.
Devant moi, des arbres s’élèvent et balancent au vent. Des lampadaires en fer forgé éclairent de grands bâtiments aux toits rouges, jaunes, bruns. Tout est neuf. Même l’asphalte sur lequel je pose mes pieds. J’ai l’impression de déambuler dans un jeu de Lego fraîchement déballé.
Si je pouvais franchir le continuum espace-temps et revenir 20 ans en arrière, à l’endroit exact où je me trouve, un gros type en salopette bleue me percerait la tête. Et m’enfoncerait un boulon dans le crâne.
Je suis au Faubourg Boisbriand. Une oasis commerciale-résidentielle coincée entre deux autoroutes, la 15 et la 640. On y trouve condos, restaurants et magasins grande surface. Même un lac artificiel!
Vingt ans plus tôt, une usine General Motors régnait sur ces lieux. Les bruits de soudure et de métal perforé résonnaient entre ses murs, longs comme des kilomètres. L’usine, d’un gris désolant, crachait des centaines de bagnoles chaque jour. Les employés cordaient les Camaro et Firebird dans un stationnement gros comme dix terrains de football.
Cette usine a fermé ses portes il y a sept ans. Si je vous en parle, c’est que son destin est un exemple parfait de «destruction créatrice». Cette dynamique par laquelle l’économie parvient à se réinventer. Des entreprises et des industries disparaissent (destruction), et de nouvelles, plus performantes et mieux adaptées aux besoins des consommateurs, les remplacent (créatrice). Je vous en parle parce qu’avec l’économie qui piétine, nos gouvernements – provincial et fédéral – seront tentés de dépenser des millions (encore!) pour maintenir en vie des entreprises en déclin. Pour « sauver » tout ce qui bouge. Ce serait une erreur.
Stoppez la destruction créatrice, et vous stoppez l’évolution
L’économie américaine illustre à merveille le concept de destruction créatrice. Après des années de bulles gonflées par le crédit, cette économie doit se réajuster. Les banques, lourdement endettées, doivent réduire leurs activités. Trop de maisons ont été construites pour le nombre d’acheteurs solvables. Des milliers de travailleurs doivent quitter les secteurs de la finance et de l’immobilier, entre autres, et se trouver une autre occupation. Offrir des biens ou services dont les consommateurs ont vraiment besoin. Ce réajustement est essentiel pour rebâtir l’économie sur une base solide.
Malheureusement, le président Obama – comme son prédécesseur George W. Bush – préfère regonfler les bulles spéculatives. Pour y arriver, il lance des milliards à droite et à gauche. Il remet le problème à plus tard. Mais ces politiques produisent le contraire du but visé. En essayant de sauver tout ce qui bouge, Obama freine le processus de destruction créatrice. Il permet aux entreprises en déclin (ou mal gérées) de continuer à gaspiller des ressources – travailleurs qualifiés, terrains, acier, caoutchouc, pétrole, cuivre, etc. Du coup, ces ressources ne sont plus disponibles pour les entrepreneurs qui possèdent de bonnes idées et de bons projets – et qui pourraient créer des emplois.
Un exemple: les voitures. La demande a chuté de plus de 30% en Amérique du Nord. Le secteur automobile doit réduire le nombre de ses usines et réduire sa production. Or, quand Obama donne des milliards à GM et Chrysler pour «sauver des emplois», non seulement il endette les citoyens américains, mais il permet à ces fabricants inefficaces (s’ils étaient efficaces, ils n’auraient pas besoin de subventions) de continuer à consommer ces ressources. Résultat: l’argent, les travailleurs et les matières premières deviennent indisponibles ou trop chers pour les autres entrepreneurs.
Et qu’y a-t-il de mal à ce que des industries disparaissent? Aurions-nous dû maintenir en vie à coups de subventions les fabricants de machines à écrire? De polaroids? Les magasins Eaton ou Woolco? Bien sûr que non. À long terme, la destruction créatrice, en éliminant les entreprises inefficaces pour laisser place à de nouvelles entreprises à l’écoute des besoins des consommateurs, incite les entrepreneurs à utiliser les ressources de façon optimale. Elle stimule l’innovation, et permet de créer de meilleurs produits, ce qui hausse notre niveau de vie. Dans ce scénario, le gouvernement a un rôle: celui de faciliter la transition des travailleurs mis à pied.
Perdre GM, une bonne affaire
Revenons à Boisbriand. À l’époque de GM, je jouais encore au hockey bottines dans les rues de cette ville. Je me rappelle, les gens disaient: «Si l’usine disparaît, le chômage va exploser. Les restaurants vont faire faillite, Boisbriand va devenir une ville fantôme… Le gouvernement doit intervenir!»
Or, au tournant des années 2000 une entreprise américaine, Cherokee Investment Partners, a racheté le terrain de l’usine GM. Elle l’a décontaminé, et y a fait pousser des boutiques et des condos. Comment se porte Boisbriand aujourd’hui? Mieux. Selon la mairesse, Faubourg Boisbriand a payé à la Ville 3 millions de dollars en impôts fonciers en 2008. C’est plus que les 2,5 millions par année que payait GM. Et la ville s’attend à recevoir jusqu’à 10 millions en taxes annuelles quand le projet sera complété. Les emplois? Faubourg Boisbriand fournit déjà plus d’emplois que l’usine GM à sa fermeture (plus de 2000), selon la mairesse.
Les salaires et avantages sont-ils à la hauteur de ce qu’offrait GM à l’époque? Non. Mais devinez quoi? GM est en faillite. Une des raisons: les salaires et avantages étaient trop élevés.
Le gouvernement aurait-il dû sauver GM? Non.
Pour la même raison, nos gouvernements doivent cesser de dépenser pour faire le bouche-à-bouche à des canards boiteux – que ce soit GM en Ontario ou une papetière au Québec, pour ne citer que deux exemples. Car ce faisant, non seulement nos gouvernements nous endettent, mais ils retardent la reprise économique.
Prenez avec un grain de sel les discours apocalyptiques des groupes d’intérêts – de connivence avec les politiciens – qui cherchent à protéger leurs avantages au détriment de votre portefeuille. Rappelez-vous que lorsqu’une entreprise tombe, un entrepreneur ramasse les morceaux, et bâtit quelque chose de mieux. L’économie a horreur du vide.
David Descôteaux is an Economist at the Montreal Economic Institute.