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Le gaspillage de Noël

Trois-Rivières-Ouest, le soir du 25 décembre. Mon oncle Louis, qui arbitrait encore, il y a peu, trois matchs de hockey par semaine malgré ses 70 ans et deux genoux amochés, déballe le cadeau que je viens de lui remettre. Ses mains déchirent l’emballage et, sous les lambeaux de papier, apparaît un DVD. Un documentaire sur la Série du siècle de 1972 au hockey entre le Canada et l’URSS.

«Merci David, mais… je n’ai pas de lecteur DVD.» Oups. «Ni d’ordinateur, d’ailleurs.» Re-oups. Et Louis n’a aucune intention de s’encombrer de l’un ou l’autre. Bon. Il trouvera sûrement une façon de regarder le documentaire. Enfin, j’espère. Mais une chose apparaît certaine: Louis aurait fait un meilleur usage du 15 $ que ce DVD a coûté, si je lui avais donné l’argent.

Ce «gaspillage» – l’écart entre le prix payé pour un cadeau et sa valeur aux yeux de la personne qui le reçoit – atteint des sommets à Noël. Pensez aux cadeaux qu’on vous a achetés (ou à vos enfants) et qui finiront dans une boîte au sous-sol. À ceux que vous avez offerts, qui passeront l’année à ramasser la poussière. Un sondage dévoilait il y a deux semaines que 60% des Québécois disent recevoir des cadeaux «sans intérêt» à Noël. Ces cravates jamais portées, ces livres jamais lus finissent au fond d’une armoire, ou en vente sur l’internet grâce à des sites d’annonces classées. La plupart d’entre nous avons pourtant payé ces cadeaux à la sueur de notre front. Et au prix d’une excursion pénible dans la jungle d’un centre commercial bondé.

L’économiste Joel Waldfogel, de l’Université de Pennsylvanie, a réussi à mettre un chiffre sur ce gaspillage. Il a sondé un groupe d’étudiants afin d’estimer l’écart entre le prix payé pour un cadeau qu’ils avaient reçu et sa véritable valeur (en dollars) à leurs yeux. Sa conclusion: les destinataires accordent, en moyenne, une valeur monétaire équivalant à 80% du prix payé par les donateurs. En d’autres mots, l’ensemble de chaudrons offert à votre belle-mère vous a peut-être coûté 100 $, mais votre belle-mère n’aurait jamais payé plus de 80 $ pour ça. La différence de 20 $ représente ce que les économistes appellent une perte sèche: un gaspillage de ressources que l’on pourrait éviter sans nuire au bien-être de quiconque. Si, par exemple, vous aviez offert en argent le prix du cadeau à votre belle-mère, elle aurait pu se procurer un bien auquel elle accorde une plus grande valeur. L’étude suggère qu’en Amérique du Nord, où l’on débourse plus de 65 milliards de dollars en cadeaux de Noël, nous gaspillons ainsi 13 milliards de dollars chaque année pendant la période des Fêtes.

Pourquoi une telle perte? Parce qu’offrir un cadeau, c’est essayer de deviner les préférences de l’autre. Et cet exercice se révèle ardu. Il existe autant de préférences que d’individus, et ces préférences évoluent. Seule la personne concernée connaît ce dont elle a vraiment besoin. Et même lorsqu’on réussit à dénicher un bon cadeau, dans bien des cas la personne aurait acheté quelque chose de plus utile à ses yeux si elle avait pu dépenser l’argent elle-même. (Note aux politiciens qui aiment dépenser l’argent des contribuables: relisez ce paragraphe.)

Doit-on se résoudre à offrir d’insipides cartes-cadeaux, ou pire, de l’argent? Non, heureusement. D’une part, nous ignorons parfois nos propres préférences. Par exemple, en donnant un CD de jazz on peut faire découvrir un monde insoupçonné à un ami – lui permettre de se découvrir une «préférence cachée». Mais surtout, l’action de donner ajoute une valeur, difficile à inclure dans un simple calcul financier. Celui qui donne, les circonstances qui entourent l’acte… tout ça compte. Demandez à n’importe quelle fille: une bague de mariage recèle plus de valeur à ses yeux qu’à ceux du bijoutier! Et bien sûr, le don procure une satisfaction à celui qui donne. On retire souvent autant de plaisir à donner qu’à recevoir.

La leçon de M. Waldfogel: pour Noël prochain, travaillez fort pour deviner les préférences de chaque personne sur votre liste. Et tentez de choisir un cadeau ayant une valeur sentimentale élevée. Dans mon cas, je crains avoir échoué sur les deux plans avec DVD à oncle Louis. Je vais surveiller les sites d’annonces dans les mois qui viennent pour vous le confirmer.

David Descôteaux is an Economist at the Montreal Economic Institute.

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