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L’orchestre du Titanic

Barack Obama s’était engagé à créer ou à préserver des emplois. C’est d’ailleurs sur la base de cette promesse que le Congrès a adopté un plan de relance de 787 milliards $US, le plus important de l’histoire de l’humanité. Certes, le président Bush s’était également lancé dans d’importantes dépenses, toutefois ce sont les mesures prises par son successeur qui ont fait quadrupler le déficit, et qui feront doubler la dette au cours des prochaines années.

Mais cet endettement était un mal nécessaire, nous dit-on. Pour nous en convaincre, on invoque la hausse des cours boursiers, la baisse de l’indice des prix à la consommation, la hausse des mises en chantier, ou encore le regain de confiance des consommateurs. Quant à la hausse du taux de chômage, il ne faudrait pas s’en inquiéter puisque, selon de nombreux observateurs parmi lesquels figure le Fonds monétaire international (FMI), l’Oncle Sam connaîtrait une «reprise sans emploi».

Une reprise sans emploi????? Quel magnifique oxymoron! C’est comme avancer sans bouger. Pour que la production augmente en dépit des pertes d’emplois, il aurait fallu que la productivité décuple, ce qui n’a pas été le cas. À 9,8%, le taux de chômage est à son plus haut niveau depuis 26 ans. Selon le Bureau of Labor Statistics, une agence gouvernementale américaine, le véritable taux de chômage atteint 17% si l’on tient compte du temps partiel involontaire et des chômeurs découragés qui échappent aux calculs officiels. Parler de «reprise sans emploi», ce n’est pas uniquement une contradiction dans les termes, c’est carrément une fraude intellectuelle pour masquer une réalité qui dérange.

Et la réalité est que l’économie américaine va bien mal. Certes, les consommateurs dépensent plus, mais leurs revenus ont stagné, ce qui signifie nécessairement qu’ils se sont endettés. Or, endettement n’est pas synonyme de croissance!

D’ailleurs, plusieurs signaux trahissent la précarité de l’économie américaine. Par exemple, la suprématie du dollar US est de plus en plus contestée. Depuis 2002, le billet vert a perdu 33% de sa valeur, tandis que l’injection astronomique de monnaie attribuable aux récents plans de relance fait craindre une recrudescence de l’inflation et une dépréciation encore plus marquée du dollar américain. Aujourd’hui, le prix de l’or augmente de façon soutenue, plusieurs chefs d’État réclament l’abandon du dollar US comme monnaie de réserve, et de nombreux pays planifient de mettre fin à la facturation du pétrole en dollars. Bref, c’est la déconfiture totale!

Malgré tout, on nous parle de reprise. Le parallèle avec l’histoire du célèbre Titanic est incontournable. Pendant que le navire coulait, l’orchestre continuait à jouer pour rassurer la foule. Alors que le dollar US perd ses plus loyaux supporteurs et qu’il est devenu clair que cette devise vaudra bientôt autant que l’argent de Monopoly, on persiste à nous dire que tout va mieux. Mais le moment viendra où la vérité ne pourra plus être dissimulée. C’est alors que le Canada pourrait être gagnant.

En effet, l’économie canadienne montre des signes encourageants : l’emploi et les salaires augmentent, et on peut espérer une croissance de la production pour le 3e trimestre. Ceci signifie que la Banque centrale du Canada pourrait bientôt être contrainte d’augmenter ses taux d’intérêt malgré son engagement à les maintenir constants jusqu’en avril 2010. Prospérité économique et taux d’intérêt alléchants au Canada, voilà autant de raisons pour inciter les Américains à fuir leur économie moribonde, et à venir placer leur argent chez nous! Après la bulle technologique et la bulle immobilière, assisterons-nous à la bulle canadienne?

Nathalie Elgrably-Lévy is Senior Economist at the Monreal Economic Institute.

* This column was also published in Le Journal de Québec.

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