Trompeuse et impardonnable
La Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM a dévoilé la semaine dernière les résultats d’une recherche sur les impôts payés par les entreprises canadiennes.
Pour ses auteurs, il faut revoir la fiscalité des entreprises, car 45% des 200 plus grandes sociétés ouvertes canadiennes ont payé moins de 20% d’impôts sur leurs profits en 2005.
Alors que le Canada compte plus de 3000 entreprises qui emploient plus de 500 travailleurs, l’étude ne retient que 200 d’entre elles, soit à peine 6,6% des grandes entreprises. C’est plutôt maigre!
Et comme il existe au total plus de 2 millions d’entreprises au Canada, dont 59% comptent moins de 5 employés, l’échantillon microscopique qui sert de base à l’étude est nettement insuffisant pour tirer la moindre conclusion sur l’ensemble de la fiscalité corporative.
Pourtant, les statistiques exhaustives abondent et les auteurs devraient au minimum se référer au document intitulé Statistiques fiscales des sociétés et publié par le ministère des Finances du Québec.
Impôt minime
L’étude dénonce le fait que des entreprises qui ont enregistré des profits n’aient payé qu’un impôt minime, sinon nul. Elle omet toutefois de préciser que cela se produit quand (1) une entreprise déduit de ses profits des pertes antérieures, une pratique admise par les lois fiscales du monde entier; ou quand (2) les bénéfices proviennent de dividendes reçus d’une autre entreprise dont les profits ont déjà été imposés.
Charges sous silence
Mais surtout, l’étude est trompeuse car elle ne recense que l’impôt sur les bénéfices et passe sous silence la taxe sur le capital, les diverses taxes d’affaires, les taxes de mutation, la taxe sur la formation professionnelle, les droits associés à l’émission de divers permis, les charges sociales au titre de l’assurance-emploi, des régimes de retraite publics, des commissions des normes du travail, et des caisses de santé et de sécurité au travail, sans oublier les droits de douane.
Cette omission est impardonnable dans la mesure où ces charges, qui ont considérablement augmenté au cours des 40 dernières années, accroissent nettement la contribution de l’employeur.
La Chaire d’études socio-économiques suggère également de taxer davantage les entreprises pour les obliger à payer leur «juste» part.
L’idée est attrayante, mais elle repose sur une erreur grossière qui consiste à considérer les entreprises comme des entités autonomes et indépendantes des êtres humains. Or, une entreprise ne peut exister qu’à travers les individus qui la possèdent, ceux qui y travaillent ou encore ceux qui achètent ses produits.
Par conséquent, alourdir le fardeau fiscal des entreprises entraîne automatiquement l’une des conséquences suivantes: (1) les propriétaires reçoivent moins de dividendes sur leurs actions, auquel cas l’impôt corporatif se travestit en impôt sur les dividendes; (2) les travailleurs obtiennent des augmentations de salaire moins élevées, ce qui signifie que l’impôt corporatif est l’équivalent d’un impôt sur le revenu; ou (3) l’entreprise augmente le prix de vente de ses produits ou services, ce qui veut dire que l’impôt corporatif prend la forme d’une taxe de vente.
Ce sont donc toujours les individus qui paient l’impôt et il est, au mieux naïf, au pire tendancieux, de suggérer le contraire. La Chaire d’études socioéconomiques a le mérite de relancer le débat sur la fiscalité des entreprises.
Dommage qu’elle nous propose une étude qui fait abstraction des notions les plus élémentaires en matière de fiscalité corporative!
* This column was also published in Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.