Le cartel du lait
Le prix minimum du litre de lait a augmenté de 5 cents lundi. Cette hausse a suscité bien peu de réactions, car payer quelques sous de plus n’a pas de quoi éveiller les passions. Or, le fardeau imposé aux consommateurs québécois est bien plus lourd qu’on ne l’imagine.
Selon les estimations de l’Organisation de coopération et de développement économiques, les prix canadiens du lait ont été de deux à trois fois plus élevés depuis 1986 que les prix mondiaux. Depuis 1995, le prix du lait a augmenté de 53%, soit deux fois plus que l’inflation et ce, en dépit d’une réduction de 3,8% des coûts de production.
L’augmentation du prix du lait décrétée lundi est l’œuvre de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, un organisme qui fixe le prix minimum des produits laitiers. Mais si les buveurs de lait paient des prix si élevés, c’est également en raison du système de gestion de l’offre que la Commission canadienne du lait (CCL) impose depuis bientôt 40 ans. En vertu d’un tel système, les producteurs de lait (mais également de volaille et d’œufs) limitent délibérément leur production afin de maintenir les prix artificiellement élevés.
On dénonce souvent le comportement des pays de l’OPEP qui se concertent pour réduire la production de pétrole et faire flamber les prix du brut, mais on reste impassible face au système de gestion de l’offre. Pourtant, ne s’agit-il pas d’un cartel lorsque les producteurs de lait se regroupent pour convenir ensemble de limiter le volume de production et, ainsi, d’augmenter les prix?
Pourquoi donc tant de complaisance envers l’industrie laitière alors que les cartels sont formellement interdits? L’article 45 de la Loi sur la concurrence indique que «quiconque complote, se coalise ou conclut un accord ou un arrangement avec une autre personne» pour réduire ou empêcher la concurrence indûment commet un acte criminel et est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement. Pourtant, la CCL contrôle le volume de production, augmente les prix et réduit la concurrence grâce à des tarifs douaniers qui varient de 200% à 300%. La CCL n’est donc rien d’autre qu’un cartel entretenu par des instances gouvernementales. Or, si ce type d’organisation est jugé nuisible et répréhensible lorsqu’il est le produit d’une initiative privée, pourquoi serait-il bénéfique et souhaitable lorsqu’il est orchestré par une société d’État?
Certains défendent le système de gestion de l’offre parce qu’il permettrait d’augmenter le revenu des fermiers. Toutefois, ce système exige que les fermiers respectent des quotas de production. Distribués gratuitement lors de leur mise en place en 1970, ils sont maintenant échangés sur des bourses centralisées si bien que quiconque souhaite opérer une ferme laitière doit débourser près de 28 000$ uniquement pour acheter le droit d’exploiter une vache et d’en vendre le lait. Comme une ferme compte en moyenne 53 vaches, son propriétaire jouit d’un actif d’environ 1,5 million de dollars sans compter la valeur de sa ferme!
En décrétant une augmentation artificielle du prix du lait, l’État impose un fardeau injustifié à des familles à faible revenu, uniquement parce que nos élus ont choisi d’augmenter les recettes de producteurs qui sont, en réalité, bien mieux nantis que les familles et les contribuables qui les aident. Ce n’est pas de la solidarité que d’enlever aux pauvres pour donner aux riches, c’est de l’indécence!
* This column was also published in Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.