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L’illusion de moins en moins tranquille

Je sentais depuis déjà quelque temps que beaucoup de gens au Québec avaient entrepris une remise en question fondamentale. J’en ai eu la confirmation en visionnant le documentaire de Joanne Marcotte intitulé l’Illusion tranquille.

D’une durée de 72 minutes, ce film fait des vagues dans la région de Québec où il est diffusé depuis le 10 novembre. Les Montréalais ne peuvent toujours pas le voir, car aucune salle de cinéma et aucun diffuseur n’a jusqu’à maintenant trouvé le courage de le présenter. Il faut dire que l’Illusion tranquille est différent des documentaires auxquels nous sommes habitués et qui sont généralement conçus pour amener le spectateur à s’apitoyer sur le sort des uns ou à admirer les réalisations des autres.

Au contraire, ce film se penche sur le «modèle québécois» et cherche à déterminer si les valeurs de solidarité, de justice et d’équité dont nous nous enorgueillions sont réalité ou fiction. Les réalisateurs ont questionné des experts de la situation économique et sociale ainsi que la relève québécoise et ont réalisé une production non partisane qui émet des constats, les explique de manière rationnelle et intelligente et d’identifie des pistes de solutions.

Évidemment, quiconque ose remettre en question le sacro-saint «modèle québécois» est sévèrement jugé et accusé, de traître à la nation ou d’antiquébécois. Or, c’est justement l’amour de notre Belle Province qui incite à l’autocritique. Et à moins de jouer à l’autruche, il est impossible de nier le constat qu’émettent les experts interviewés, à savoir que notre taux de chômage est élevé, que nous payons trop d’impôts, que nous sommes relativement pauvres, que notre croissance économique est relativement lente, que notre dette est colossale et que nos infrastructures sont déficientes.

À qui la faute? Les spécialistes n’hésitent pas à incriminer l’interventionnisme étatique et notre dépendance collective à l’État, une dépendance dont les racines remontent à la Révolution tranquille. Le documentaire se penche sur les systèmes de santé et d’éducation, les garderies à sept dollars, l’assurance médicament, la régie des rentes et le gel des frais de scolarité. Avec des explications claires et logiques, les experts attribuent les ratés observés à la «culture de la plainte et de la revendication» qui trouve écho dans l’étatisme.

Exaspération des jeunes

Mais ce documentaire est particulièrement intéressant, car les jeunes interrogés y expriment une réelle exaspération face à la «pensée unique étatiste et syndicale». À l’unisson, ils insistent sur la nécessité d’un changement de cap. Si leurs interventions reflètent l’opinion ne serait-ce que d’une fraction de la génération montante, le mouvement syndical et les supporters d’un modèle social-démocrate paternaliste rencontreront une résistance croissante au cours des prochaines années. D’ailleurs, ne serait-ce pas parce que le syndicalisme et l’étatisme trouvent de moins en moins d’adeptes que les syndicats ont ressenti le besoin de distribuer dans les cégeps la brochure «Parlons Politique!», un outil de propagande qui véhicule des dogmes et des mythes pour faire avancer leur cause?

Certains diront que l’Illusion tranquille ne trouve pas de diffuseur parce qu’il présente des idées «de droite». Vu les défis que doit relever le Québec, il est nécessaire de sortir du clivage gauche/droite, de juger les idées à leur mérite et de remplacer les dogmes par le gros bon sens. Ce film est l’équivalent d’une brèche dans le modèle québécois. On peut l’ignorer en espérant que le malaise qui habite les jeunes disparaîtra. Mais, là encore, ce ne sera qu’une illusion. Quand un modèle ne fonctionne plus, le ciment social qui le maintient finit par craquer, ce n’est qu’une question de temps!

* This column was also published in Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.

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