Un mea-culpa collectif
Près de deux semaines après l’écroulement du viaduc de la Concorde, le Québec est encore consterné et nous tentons chaque jour de comprendre ce qui a pu se produire. Le gouvernement Charest a ouvert une commission d’enquête pour trouver les causes et les circonstances du tragique événement et proposer des mesures pour éviter que cela se reproduise.
Une commission d’enquête? Pour enquêter sur quoi au juste? Elle aurait était justifiée si notre réseau routier était impeccable. Or, ce n’est un mystère pour personne que nos routes, parsemées de nids de poule, sont dans un état lamentable. Tout le monde sait que l’entretien des routes est nettement déficient, et nous devrions être surpris qu’un viaduc s’effondre? Ce qui est surprenant, c’est qu’une telle tragédie ne se soit pas produite plus tôt. Est-il vraiment nécessaire de dépenser des centaines de milliers de dollars, sinon davantage, pour que Pierre-Marc Johnson nous dise ce que nous savons déjà?
Si les problèmes du Québec se limitaient aux routes tiers-mondistes, nous pourrions nous estimer heureux. Or, les médias nous rapportent quotidiennement les ratés dans d’autres secteurs contrôlés par l’État. Notre réseau de la santé affiche des listes d’attente interminables, un manque chronique de personnel et des équipements désuets. Nos universités n’ont plus les moyens d’embaucher des profs, et le réseau des écoles publiques manque de fonds. Des professeurs, des chercheurs et des professionnels de haut niveau quittent chaque année notre belle province, la sécurité aéroportuaire laisse à désirer et le réseau d’aqueducs est une passoire. Il semblerait donc que l’effondrement du viaduc ne soit que la manifestation la plus frappante et la plus bouleversante d’un problème plus fondamental.
Le modèle québécois
Ce n’est pas tant la construction du viaduc qu’il faut mettre sous enquête que l’édification de tout notre système économique. Il faut avoir le courage de remettre en question l’ensemble du modèle québécois, car c’est la mentalité qui l’inspire qui est responsable de la tragédie du viaduc.
Cette mentalité est celle de dépendance. Depuis la Révolution tranquille, le Québec entretient l’idéal d’un État nounou qui s’occupe des individus et pourvoit à tous leurs besoins. C’est dans cet esprit qu’est défendu le gel des frais de scolarité, l’universalité des soins de santé, les garderies à 7$, l’assurance médicament, l’équité salariale, les congés parentaux, le Mont Orford, le financement des festivals, le soutien aux agriculteurs, le BS corporatif, etc.
Le véritable problème n’est pas le sous-financement du réseau routier, mais le réflexe des Québécois de compter sur l’État pour tout financer au nom des «choix de société». Il ne s’agit pas non plus d’augmenter les impôts, car les Québécois sont non seulement les plus taxés en Amérique du Nord, ils comptent également parmi les contribuables les plus imposés du monde industrialisé.
Il faut réaliser que l’État est incapable de tout fournir gratuitement, à tout le monde, tout le temps. Puisque nous demandons des programmes populistes de tout acabit dans un contexte où le fardeau fiscal ne peut plus être augmenté, nous n’avons pas le droit de nous plaindre de l’état des routes. L’effondrement du viaduc est emblématique d’une société qui préfère compter sur l’État plutôt que d’assumer ses responsabilités.
L’enquête qui a été ouverte réussira à identifier les problèmes techniques. Mais, ultimement, la tragédie du viaduc est le triste produit de nos choix de société et des «valeurs québécoises» dont certains sont si fiers. Par respect pour les victimes, ne nous contentons pas de d’incriminer les problèmes de structure et ayons le courage et la décence d’accepter notre responsabilité collective dans les cinq décès.
* This column was also published in Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.