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Encore l’essence

La hausse récente du prix de l’essence a de nouveau déclenché la grogne des automobilistes. Tout le monde proteste et accuse les pétrolières d’extorquer les consommateurs. À écouter le discours ambiant, nous sommes les victimes impuissantes de pétrolières obsédées par leur rentabilité.

Je comprends qu’on ait besoin de s’acharner sur un coupable pour évacuer ses frustrations, encore faut-il avoir des raisons d’être frustré, et être capable d’identifier correctement le coupable.

Au cours des derniers jours, le prix du brut a frôlé un sommet historique en se rapprochant des 70$US le baril. Ce prix semble exorbitant si on le compare à celui de 1998 alors que le baril coûtait 12$US, soit l’équivalent de 15$US en dollars de 2006. Toutefois, exprimés en dollars de 2006, le même baril coûtait 125$US en1960 et 150$US en 1981. Contrairement au message sensationnaliste souvent véhiculé par les médias et savamment entretenu par les tribunes téléphoniques, non seulement nous ne vivons pas un choc pétrolier, mais nous payons notre pétrole moins cher qu’avant la célèbre crise de 1973! Voilà déjà de quoi mettre les choses en perspective.

Mais comme le pétrole coûte plus cher qu’en 1998, les observateurs croient qu’il est justifié de condamner les pétrolières. Les gouvernements se joignent à la parade et passent pour des héros en demandant aux pétrolières de s’expliquer et en ordonnant des enquêtes pour s’assurer qu’elles ne font pas collusion pour gonfler les prix. Malgré les efforts du Bureau de la concurrence, aucune des nombreuses enquêtes des dernières années n’a conclu à une possible collusion.

Que les profits des pétrolières aient récemment augmenté est indéniable. C’est ce qui se produit chaque fois que la hausse de l’offre ne suit pas celle de la demande. Mais peut-on les qualifier d’indécents? Ces profits étaient beaucoup plus bas à d’autres périodes et sur le long terme, ils n’ont rien d’exceptionnels.

Les «partenaires»

Ce qui est indécent, c’est le fait que les pétrolières aient des «partenaires» qui s’accaparent en moyenne 38% de chaque plein d’essence, soit une proportion 2 à 3 fois supérieure à la marge du détaillant et a celle de la pétrolière réunies. Pourtant, ces «partenaires» ne participent ni à l’exploration, ni au raffinage, ni à la distribution, ni à aucune des activités de production. Ces «partenaires» sont les divers paliers de gouvernements et ils empochent environ 19$ en taxes sur un plein de 50$!

Il n’est donc pas surprenant que les gouvernements prennent les pétrolières à parti. C’est une manoeuvre pour détourner l’attention de l’ampleur des taxes qu’ils prennent. Mais pour une raison mystérieuse, on parle peu des taxes. Chose certaine, elles ne suscitent pas l’indignation des gouvernements dont elles garnissent les coffres!

Et que penser de la hausse de 1,5 cent la taxe d’accise sur l’essence, hausse décrétée par Ottawa en 1995 pour financer son déficit budgétaire? Ottawa patauge dans les surplus depuis 1998, mais la taxe est toujours là. Il faut croire qu’une taxe inutile suscite bien moins de frustrations qu’une pétrolière qui enregistre des profits!

Taxes sur les taxes

De plus, nos bons gouvernements appliquent la TPS et la TVQ sur le prix total de l’essence. Nous payons donc les taxes sur les taxes. Évidemment, ces taxes sont défendues sur la base des services rendus à la population. Pourtant, notre réseau routier rivalise avec ceux du Tiers-Monde.

Les automobilistes sont devenus les mégas vaches à lait des gouvernements. Mais la population trouve tellement plus agréable de se défouler sur les pétrolières qu’elle oublie que ce sont elles qui investissent, prennent des risques, explorent, produisent, etc., et que sans elles, nous n’aurions pas de pétrole.

* This column was also published in Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.

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