Le bouc émissaire
Dans sa chronique du 2 mars dernier, Lise Payette rappelait aux lecteurs les déboires de la SAQ, les hausses de tarifs de la SAAQ et d’Hydro-Québec, le fiasco des garderies, les difficultés financières des écoles et des universités, les problèmes de pollution, l’état des routes et la précarité de l’industrie de la culture.
Sans chercher à comprendre les raisons fondamentales de chacun des problèmes qu’elle soulève, elle se contente de faire porter tout le blâme à Jean Charest, qui semble être son bouc émissaire désigné. Et pourquoi ne pas le rendre responsable de l’épidémie de grippe aviaire qu’on annonce, tant qu’à y être? Plus sérieusement, n’est-il pas absurde de prétendre qu’un homme ait réussi l’exploit de causer autant de problèmes en seulement trois ans? M. Charest a-t-il réellement autant de pouvoir que cela?
L’État interventionniste
Il n’est absolument pas dans mon intention de me faire l’avocate de M. Charest. D’ailleurs, un premier ministre devrait être en mesure d’assurer lui-même sa défense. Je préfère plutôt remonter à la racine des choses et défendre le gros bon sens qui, lui, semble trouver bien peu de supporters.
Le fait de rendre le premier ministre coupable de tous les maux de la société est le résultat direct de la croyance naïve dans les vertus de l’État interventionniste. Pour ses adeptes, il suffit d’un bon dirigeant pour que l’État règle tous les problèmes et assure le bien-être de la population. Le chef est alors perçu comme étant le sauveur de la nation qui saura combler tous nos besoins. Par contre, quand le chef s’avère incapable de répondre à toutes nos attentes, il devient un vulgaire incompétent qu’il faut rapidement remplacer.
Le Père Noël
Et si c’était non pas le chef qui est le problème, mais les attentes qui sont démesurées? Il ne faut pas confondre le gouvernement avec le Père Noël, et il est illusoire de penser qu’il suffit d’exprimer un souhait pour que nos dirigeants le réalisent. Le fait que les soins de santé soient gratuits ne signifie pas qu’ils ne coûtent rien à produire. Les garderies à 7$, les droits de scolarité universitaires artificiellement bas et l’électricité bon marché finissent par coûter très cher. Et malgré l’énorme fardeau fiscal que supportent les contribuables, l’État dispose de ressources limitées qui l’empêchent d’exaucer tous nos voeux.
Avant de torpiller M. Charest ou n’importe quel autre politicien, peut-être devrions-nous d’abord nous demander si nos attentes sont réalistes. Désigner un bouc émissaire est bien pratique, car ça évite de remettre en question l’irrationalité de cette croyance envers l’État omnipuissant. Il est vrai que cette manière de penser peut être réconfortante, car elle permet de se déresponsabiliser. C’est le triomphe du «c’est pas ma faute!». Ça évite également d’être confronté à une réalité parfois douloureuse à accepter.
Les réalités
Par exemple, il est plus facile d’incriminer l’État pour les difficultés que vivent les théâtres ou les compagnies de danse, que d’admettre que peu de Québécois sont disposés à payer pour assister à ce genre de spectacles. Il est également plus simple d’attribuer à l’État le sous-financement des universités que de reconnaître que les étudiants n’assument pas leur juste part des coûts. Quant à la SAQ, c’est le principe même du monopole qu’il faut remettre en question.
Inutile de s’acharner sur M. Charest, car n’importe quel autre chef de gouvernement sera confronté aux mêmes difficultés. C’est l’État interventionniste que nous essayons de maintenir, ainsi que le refus collectif d’assumer nos responsabilités, qui expliquent les lacunes et les échecs du Québec d’aujourd’hui. C’est en acceptant cette réalité que nous pourrons améliorer le Québec de demain.
Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute.