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L’impôt à taux unique: équitable et créateur de richesse

Nous n’avons pas pour mission de défendre le programme fiscal de l’Alliance canadienne ni de quelqu’autre parti politique, mais lorsque l’argumentation invoquée par certains économistes conventionnels font violence à la fois à la théorie économique et à l’observation empirique, comme ce fut le cas dans l’article de Pierre Fortin du 14 octobre dernier dans La Presse «Un programme fiscal bien intentionné, mais excessif et régressif», nous estimons faire oeuvre utile en rappelant les enseignements orthodoxes.

Allons d’abord à l’essentiel. L’économiste Pierre Fortin affirme que «… les gains envisageables (du programme d’allégement fiscal de l’Alliance) sur le plan de l’efficacité économique et du niveau de vie sont plutôt spéculatifs». Il pousse même la négation des faits jusqu’à poser péremptoirement que «l’affirmation qu’une réduction régressive des impôts et massive de l’impôt personnel dynamiserait la croissance économique ne bénéficie d’aucune crédibilité historique et scientifique». Ces énoncés traduisent une ignorance impardonnable du dossier factuel et théorique sur la question.

La relation qui relie croissance et fiscalité est l’un des phénomènes les plus solidement établis, dans une longue suite de travaux d’organismes officiels et non officiels, dont ceux de l’Institut économique de Montréal. Cette relation révèle en gros qu’une hausse de 10 points (% du PIB) des taxes s’accompagne d’une baisse approximative de un point (%) de la croissance annuelle à long terme. Au total la taille des budgets publics expliquent 42% des variations de croissance observées dans les pays de l’OCDE. On estime qu’au Québec, une augmentation de un dollar du fardeau fiscal entraîne une baisse de 99 cents de la production et donc des revenus de l’économie privée.

Et s’il fallait être plus concret encore, on n’aurait qu’à rappeler comment le niveau de vie du Canada recule (à la suite du dollar canadien) depuis des décennies vis-à-vis ses partenaires commerciaux qui ont choisi d’alléger fortement leur fiscalité, dont en particulier les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Irlande et la Hollande. La période d’explosion fiscale, de 1970 à 1982, a été marquée au Canada par la stagflation, et l’arrêt presque complet de la productivité. Or le fardeau fiscal total se gonflait durant ces années de 35% du PIB à près de 44%, pendant qu’il gagnait moins de cinq points aux États-Unis, de 30% à moins de 35% du PIB. Nonobstant l’épisode de prospérité récente que connaît le Canada depuis deux ans en conséquence du débordement de la prospérité américaine, la relation négative entre progrès et fiscalité est illustrée au Canada par la prospérité relative de l’Ontario et de l’Alberta, et négativement par le dépérissement du Québec et de la Colombie-Britannique.

Si les faits sont incontestables, la logique économique qui les sous-tend n’est pas moins solidement ancrée dans la tradition analytique. Toutes les taxes exercent des effets dépressifs sur l’économie (les unes, dont en particulier les taxes progressives, plus que les autres), parce que toutes affectent de façon négative les incitations des agents économiques à travailler (chômage durable), à épargner, à investir, à prendre des risques et à innover. Cet impact des taxes est si réel qu’il a donné lieu à la courbe Laffer. À partir d’un certain poids fiscal, que le Québec a peut-être atteint, il se peut que les rentrées fiscales y perdent à l’évasion fiscale, et au refus des gens de s’engager dans des activités productives. En dépit des baisses de taxes que l’Ontario a votées depuis 1995, le revenu du gouvernement est en hausse.

L’observation d’une économie souterraine florissante, les multiples détours empruntés pour éviter les taxes de vente, l’hésitation à faire du surtemps déclaré, la faible attraction du Canada pour les capitaux nationaux et étrangers, ainsi que la fuite des capitaux vers les paradis fiscaux quand ce n’est pas l’émigration des citoyens les plus riches et les plus talentueux, tout tend à suggérer qu’au Canada, au Québec en particulier, la baisse des taxes élèverait initialement les rentrées fiscales. Rappelons-nous qu’en dépit des baisses de taxes que l’Ontario a votées depuis 1995, le revenu du gouvernement est en hausse. (…)

Fiscalité et équité

Par ailleurs, l’économiste Pierre Fortin s’émeut de ce que le projet fiscal de l’Alliance canadienne pèche contre l’inéquité de taxes moins progressives. De deux choses l’une: Ou bien M. Fortin énonce une vérité de la Palice, dans la mesure où le régime d’impôt personnel étant «progressif», les mieux nantis ne peuvent que bénéficier davantage d’une atténuation de la progressivité ou d’une réduction des taux marginaux, tout simplement parce qu’ils ont des revenus supérieurs. Ce qu’il omet de souligner par contre, c’est qu’en vertu de la relation entre fiscalité et prospérité, la masse des impôts que les revenus élevés paieront et la part du budget fiscal qu’ils porteront s’élèvera.

L’analyse statistique démontre universellement et pour des périodes couvrant les deux dernières décennies qu’en abaissant les taux marginaux, on augmente sensiblement l’assiette fiscale, c’est-à-dire le revenu imposable. Pour ne citer qu’une récente étude du US Treasury Department, en abaissant les taux d’imposition pour hausser de 10% la part du revenu qu’il reste après impôt, on augmente le revenu imposable de 4 à 12%, ce dernier taux s’appliquant aux revenus élevés. La démonstration est faite: Les gens à revenu élevé réagissent nettement plus fort aux variations de taux marginaux que les membres de la classe moyenne.

Cette relation a même amené certains analystes à prôner l’implantation de taxes régressives, au nom de l’équité. Les Américains qui ont pris l’initiative d’abaisser les taux marginaux depuis le début des années 80 ont vu la part de l’impôt sur le revenu assumée par la tranche de 1% des revenus supérieurs passer de 25% en 1986 à 34% en 1997. C’est en vertu de cette même logique que les travaux de la Banque Mondiale établissent que la meilleure façon d’aider les pauvres de tous les pays, développés ou non, est de favoriser la croissance.

Lorsque les économistes conventionnels s’avisent d’aborder la question de l’équité, de la justice sociale et de la redistribution par l’État, les interlocuteurs ont tout lieu d’être sur leur garde. L’économiste honnête ne retient qu’un critère philosophique dans son évaluation des institutions et des politiques: la souveraineté et l’égalité des individus. La tragédie de la morale politique à la mode est d’avoir accrédité l’erreur que la justice sociale repose sur la violation des droits de propriété. La richesse produite par les individus devient dans ce schéma un ensemble de biens qui appartiennent à la «communauté», qu’un certain nombre de «sages» redistribuent au gré de leurs préjugés et des forces politiques courantes. Ce sont ces sages qui ont inventé par ricochet la notion «d’entitlement», de droits statutaires, conférés aux uns par la vertu de leur membership dans un groupe. Or ces privilèges n’ont aucun fondement ni en droit, ni en morale. Personne n’a de droit à la richesse des autres sans leur consentement. Ils suscitent les antagonismes et perpétuent le sous-développement. La justice sociale ainsi entendue ne peut jamais servir de fondements à une société stable. Seuls les individus ont des droits, parce que seuls les individus peuvent être responsables et libres. Le droit de propriété est le seul fondement, non seulement de la richesse, mais de la justice.

Allègement fiscal et compression de la dette

Pierre Fortin, à l’instar des politiciens en place, a récemment découvert que la dette publique peut affecter la croissance et qu’elle constitue un transfert du fardeau fiscal aux contribuables de demain. Soit dit en passant, après 25 ans d’explosion de la dette fédérale, nous sommes aujourd’hui les contribuables de demain.

Cet argument aurait plus de poids si le seul choix se posait entre le fardeau à la génération présente et le fardeau à la génération future. En fait, compte tenu de l’effet dépressif énorme sur la croissance du régime fiscal écrasant que portent les Canadiens (Le Québec est le territoire le plus lourdement taxé d’Amérique du Nord), le plus sûr moyen de léguer un fardeau allégé aux futures générations est encore de leur garantir un revenu accru par la croissance, qui abaissera le poids relatif de la dette et leur conférera les moyens de mieux l’assumer. Le ratio dette/PIB décline déjà au Canada à moins de 60% du PIB et il diminuera d’autant plus que la prospérité sera grande. Comme le disait le monologuiste, il vaut mieux pour nos descendants être riches et en santé que pauvres et malades.

Et de toute façon, la question ne se pose plus désormais en terme de choix entre compression de la dette et allègement fiscal. Par suite du débordement de la prospérité américaine au Canada, les surplus prévisibles sont si énormes (près de 100 milliards d’ici cinq ans) qu’on peut s’attaquer aux deux fléaux sans pécher contre la responsabilité. Mais, dans les conditions présentes d’écrasement fiscal des individus et des entreprises au Canada, l’allégement fiscal s’avère de loin la consigne à suivre en priorité.

 

Jean-Luc Migué and Michel Boucher are Associate Researchers at the MEI.

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