Agriculture et aliments transgéniques
Comme plusieurs Québécois, j’étais, jusqu’à tout récemment, relativement sensible à la croisade des défenseurs autoproclamés de la «bonne bouffe» et des valeurs paysannes traditionnelles contre les aliments transgéniques. Mon directeur de la recherche, un spécialiste de la question, a toutefois corrigé mes préjugés sur les «aliments Frankenstein».
Il a notamment porté à mon attention jusqu’à quel point une fraise des champs est beaucoup plus petite qu’une fraise de supermarché. Et ce n’est pas parce que les fraises de supermarché sont une variété naturelle, mais parce qu’un horticulteur français au XIXe siècle a croisé des variétés de fraises sauvages originaires du Chili et des États-Unis.
Les modifications que les paysans et les horticulteurs d’autrefois ont fait subir au maïs sont encore plus spectaculaires. Selon les spécialistes, les ancêtres des Mayas ont développé notre «blé d’Inde» à partir de deux herbes sauvages il y a près de 7 000 ans. Leurs premiers épis étaient toutefois plus petits qu’une fraise de supermarché! Il faudra par la suite plusieurs milliers d’années pour donner aux épis de maïs la taille que nous leur connaissons aujourd’hui.
Les fraises et le maïs ne sont toutefois que deux cas parmi des centaines d’autres car, comme l’écrivit en 1859 Charles Darwin dans son classique L’origine des espèces, les paysans ont continuellement amélioré leurs productions en cherchant «à cultiver toujours les meilleures variétés connues, à en semer les graines et, quand une variété un peu meilleure vient à se produire, à la cultiver préférablement à toute autre».
Nous comprenons aujourd’hui bien mieux que Darwin et les paysans d’autrefois ce qui cause les mutations des plantes et nous sommes capables grâce au transfert de certains gènes ciblés («transgénèse») de développer en quelques années des récoltes que nos ancêtres auraient mis des millénaires à mettre au point. De plus, contrairement aux variétés traditionnelles de plantes alimentaires, les aliments transgéniques sont soumis à des centaines de tests pour vérifier leur impact sur la santé humaine. Paradoxalement, ils sont beaucoup plus sécuritaires pour la consommation.
Il est vrai que l’on ne peut pas être absolument certain que les aliments transgéniques ne posent aucun risque environnemental, mais il en va de même de toutes les plantes (et de leurs dizaines de milliers de gènes) que l’on a introduites dans de nouveaux écosystèmes au cours des millénaires. On peut ainsi rappeler que la « pomme du Québec », dont nous sommes si fiers, est originaire d’Asie centrale. Il est toutefois fort probable que l’on ne pourrait pas l’introduire aujourd’hui sur les berges du Saint-Laurent si l’on adoptait les critères de sécurité souvent irréalistes des opposants aux aliments transgéniques.
Les variétés issues des nouvelles techniques génétiques doivent certainement être introduites avec précaution et selon des procédures rigoureuses, mais cela ne signifie pas qu’il faut refuser le progrès et devenir la première génération à ne pas léguer à ses descendants des plantes alimentaires de meilleure qualité. Au fond, les grandes entreprises de biotechnologie, avec leurs aliments transgéniques, perpétuent probablement, avec des moyens plus modernes, des pratiques paysannes millénaires qui incarnent l’essence même de l’agriculture.