Deux obstacles à la libéralisation du secteur de l’électricité
Point proposant des réformes législatives pour combler le besoin croissant de l’économie québécoise en matière d’énergie au cours des prochaines années
Libéraliser le marché de l’électricité aiderait le Québec à faire face à la fin anticipée des surplus d’énergie d’Hydro-Québec, selon cette étude publiée par l’Institut économique de Montréal.
En lien avec cette publication
Il faut ouvrir le marché de l’électricité, selon une étude (La Presse, 6 juillet 2023)
Le monopole d’Hydro-Québec est «un frein» au développement économique, selon l’IEDM (Les Affaires, 6 juillet 2023) Hydro ne doit pas devenir un frein au développement (Le Soleil, 9 juillet 2023) Les producteurs indépendants à la rescousse d’Hydro (Le Devoir, 25 septembre 2023) |
Entrevue avec Gabriel Giguère (Alexandre Dubé, QUB Radio, 6 juillet 2023)
Entrevue avec Gabriel Giguère (Ça vaut le retour, ICI Radio-Canada, 7 juillet 2023) Entrevue avec Gabriel Giguère (Alexandre Dubé, QUB Radio, 10 juillet 2023) |
Ce Point a été préparé par Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Énergie de l’IEDM vise à examiner l’impact économique du développement des diverses sources d’énergie et à réfuter les mythes et les propositions irréalistes qui concernent ce champ d’activité important.
Devant les besoins croissants en électricité, l’économie québécoise pourrait bénéficier d’une plus grande implication des producteurs indépendants afin de garantir une efficacité accrue dans les nouveaux approvisionnements. Pour y arriver, le gouvernement du Québec devra ouvrir davantage le secteur de l’électricité à la concurrence, en assouplissant le cadre réglementaire.
On dénombre deux obstacles majeurs à la libéralisation du secteur de l’électricité : l’interdiction pour un producteur indépendant d’approvisionner directement des entreprises qui proposent de nouveaux projets de développement économique et le plafond de 50 MW pour les projets de barrages détenus par des producteurs indépendants qui vendent leur production à la société d’État.
Le projet de loi sur le fonctionnement d’Hydro-Québec que doit déposer à l’automne 2023 le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, devrait au moins retirer ces deux obstacles afin de permettre une plus grande contribution des producteurs indépendants(1).
Permettre l’approvisionnement direct
L’approche actuelle du « tout à l’État » restreint le potentiel de contribution des producteurs indépendants en les empêchant de vendre leur électricité directement à des entreprises(2). Un décloisonnement stimulerait la concurrence entre les différents fournisseurs et favoriserait une flexibilité pour nos entrepreneurs. Qui plus est, la portée du quasi droit de veto sur le développement économique donné au gouvernement et à Hydro-Québec dans le projet de loi 2 sera réduite(3), car une entreprise pourrait alors s’approvisionner auprès d’un fournisseur différent.
Pour garantir que les entreprises soient libres de s’approvisionner auprès de producteurs indépendants, comme cela se fait ailleurs dans le monde, des changements législatifs sont requis. Il faut permettre aux producteurs indépendants de vendre à d’autres clients qu’Hydro-Québec.
Au sud de la frontière, certains États américains permettent aux producteurs indépendants de fournir directement de l’énergie à des entreprises ayant des besoins énergétiques considérables. C’est notamment le cas d’Innergex, une entreprise québécoise qui alimente en énergie les activités d’Amazon en Ohio. Son parc solaire, composé de plus de 600 000 panneaux, représente une puissance installée de 200 MW(4), équivalent à 20 % de la capacité de puissance actuelle d’Hydro-Québec pour fournir de l’énergie aux nouveaux projets de développement économique(5).
Le cas d’Innergex en Ohio devrait servir de point de référence pour alimenter la réflexion du gouvernement du Québec en ce qui a trait à la possibilité d’autoriser les entreprises à s’approvisionner en électricité auprès de producteurs indépendants.
Ce changement est d’autant plus nécessaire qu’Hydro-Québec pourrait ne plus être en mesure de fournir l’électricité nécessaire au développement de nombreux projets (voir la Figure 1). On observe un écart important entre la capacité de puissance actuelle pour alimenter les entreprises ayant un projet de développement économique (1000 MW) et les multiples demandes qu’a reçues le gouvernement (totalisant 21 000 MW). Le déséquilibre persiste même lorsqu’on compare la capacité actuelle avec la demande des projets sérieusement étudiés par le ministre (à hauteur de 10 000 MW). Cela représente un frein au développement économique de la province.
L’incapacité de la société d’État à satisfaire la demande signifie que des entrepreneurs devront attendre plusieurs années avant de se voir fournir de l’électricité. Cela revient à donner au gouvernement et à la société d’État un droit de vie ou de mort sur les projets. C’est pourquoi il est plus que jamais essentiel de libéraliser la vente de l’électricité.
Éliminer la limite de 50 MW
À l’heure actuelle, le recours à des producteurs indépendants comme nouvelles sources d’approvisionnement pour Hydro-Québec n’est autorisé que pour les barrages d’une capacité égale ou inférieure à 50 MW(6).
Toutefois, compte tenu de l’urgence de développer de nouvelles sources d’approvisionnement, il serait opportun pour le gouvernement de reconsidérer cette limite et de permettre aux producteurs indépendants de jouer un rôle plus important dans les projets hydroélectriques de la province. De cette façon, ceux-ci pourraient vendre de l’électricité produite à partir de barrages de taille moyenne (ou grande) à la société d’État ou directement aux entreprises.
De surcroît, certaines communautés autochtones pourraient contribuer à ce développement, comme elles le font actuellement dans le secteur de l’énergie éolienne(7), puisque certains sites de barrages potentiels pourraient se trouver sur leurs territoires(8).
L’économie du Québec aura besoin de plus d’énergie pour croître au cours des prochaines années. Des réformes législatives s’imposent pour lever ces deux obstacles à la libéralisation du secteur de l’électricité et insuffler un nouveau dynamisme à la production d’électricité, notamment par l’hydroélectrique. Le projet de loi que doit déposer le gouvernement cet automne visant entre autres à moderniser le cadre réglementaire et légal du secteur de l’énergie(9) est l’occasion idéale pour accroître la concurrence et stimuler l’innovation dans ce domaine.
Références
- Hugo Prévost, « Filière batteries au Québec : Fitzgibbon évoque “deux annonces” prochainement », Radio-Canada, 2 juin 2023.
- LégisQuébec, Loi sur la Régie de l’énergie, art. 60 et 61, consulté le 6 juin 2023.
- La nouvelle loi donne le pouvoir au gouvernement du Québec, en collaboration avec Hydro-Québec, de refuser des projets requérant 5 MW ou plus, tandis qu’auparavant le seuil était établi à 50 MW. Assemblée nationale du Québec, Projet de loi no 2 : Loi visant notamment à plafonner le taux d’indexation des prix des tarifs domestiques de distribution d’Hydro-Québec et à accroître l’encadrement de l’obligation de distribuer de l’électricité, 16 février 2023.
- Innergex, Parc solaire Amazone Ohio – Hillcrest, consulté le 5 juin 2023.
- Calcul de l’auteur. Statistique Canada, Tableau 98-10-0002-02 : Chiffres de population et des logements : Canada, provinces et territoires, et subdivisions de recensement (municipalités), 2022; Éric Filion, « L’électricité du Québec doit engendrer les meilleures retombées », Le Journal de Montréal, 21 janvier 2022.
- LégisQuébec, Règlement sur la capacité maximale de production visée dans un programme d’achat d’électricité pour des petites centrales hydroélectriques, art. 1, consulté le 6 juin 2023.
- Services aux Autochtones Canada, Un projet éolien de 200 MW : partenariat entre 9 communautés innues et Boralex, sur le territoire traditionnel (Nitassinan) de la Première Nation de Uashat mak Mani-utenam, 20 mars 2023.
- Ulysse Bergeron et Alexis Riopel, « Hydro-Québec et la Nation crie discutent d’avenir », Le Devoir, 4 avril 2023.
- Gouvernement du Québec, Consultation en ligne sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec, communiqué de presse, 7 juin 2023.