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Médicaments : des bénéfices pour la santé qui se paient d’eux-mêmes

Note économique expliquant les bénéfices sous-estimés de l’innovation pharmaceutique et le rôle clé que jouent les prix pour la favoriser

Ottawa a le prix des médicaments dans sa mire. D’une part, des modifications ont été apportées à la méthode de calcul du prix plafond des médicaments vendus au pays. D’autre part, l’idée d’une assurance gouvernementale nationale visant à remplacer les régimes mixtes provinciaux est toujours dans l’air. Ces politiques publiques malavisées pourraient en fait entraîner une augmentation des dépenses de santé, tout en mettant en péril l’accès des Canadiens aux meilleurs traitements disponibles pour les soigner, montre cette publication de l’IEDM.

En lien avec cette publication

To save money and lives, make drug approval easier (National Post, 5 février 2020) Entrevue (en anglais) avec Peter St. Onge (Afternoons with Rob Breakenridge, Newstalk 770 CHQR, 5 février 2020) Entrevue (en anglais) avec Peter St. Onge (Bloomberg Markets, BNN, 5 février 2020)

Entrevue (en anglais) avec Peter Germain Belzile (CTV News Montreal at Noon, CFCF-TV, 17 février 2020)

 

Cette Note économique a été préparée par Peter St. Onge, économiste senior à l’IEDM, avec la collaboration de Germain Belzile, chercheur associé senior à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Le gouvernement fédéral a présentement le prix des médicaments dans sa mire. Des modifications ont été apportées à la méthode de calcul du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB) afin d’abaisser le prix plafond imposé aux médicaments d’ordonnance(1).

Le même objectif explique aussi en partie le désir de plusieurs politiciens d’imposer une assurance gouvernementale nationale afin de remplacer les régimes mixtes provinciaux(2). Ces politiques publiques malavisées s’appuient sur une incompréhension du marché des médicaments, des bénéfices sous-estimés que ceux-ci engendrent et du rôle clé que jouent les prix pour favoriser l’arrivée de nouveaux traitements.

L’innovation pharmaceutique se paie d’elle-même

Le fait de se concentrer exclusivement sur les coûts fait oublier les importantes économies que l’innovation pharmaceutique permet de réaliser, puisque les médicaments remplacent souvent des traitements médicaux encore plus coûteux – un phénomène connu sous le nom d’« effet de compensation ».

La contribution de l’innovation pharmaceutique à la santé et au bien-être dans le monde moderne est considérable. Entre 1995 et 2012, l’espérance de vie à la naissance au Canada a augmenté de 3,6 ans, passant de 78,0 à 81,6 ans, tandis que l’utilisation des hôpitaux, mesurée par le nombre de congés par habitant, a diminué de 25 %, en grande partie grâce aux nouveaux médicaments(3).

Une étude de 30 pays portant sur la période de 2000 à 2009 a conclu que l’innovation pharmaceutique est responsable de 73 % de l’augmentation de l’espérance de vie pendant cette période, soit un gain de 1,27 année en seulement dix ans(4).

Ces bénéfices sont beaucoup moins coûteux que d’autres traitements comme la chirurgie, avec un coût par année de vie gagnée grâce à l’innovation pharmaceutique aussi bas que 2730 $ US(5). À titre d’exemple, le coût moyen d’une année de dialyse (un coût de référence pour les médicaments) est de 61 000 $ ou plus(6).

Il existe une littérature croissante sur ces effets compensatoires. Une étude américaine a estimé que si un médicament vieux de quinze ans est remplacé par un médicament datant de 5,5 ans, les autres dépenses de santé baissent en moyenne de 72 $ US par habitant, soit quatre fois plus que le coût du nouveau médicament, qui est de 18 $ US par habitant(7). Ainsi, une augmentation des dépenses en médicaments réduit en fait le total des dépenses de santé en comparaison de ce qu’elles auraient été, par exemple en raison du vieillissement de la population. Cependant, le prix du nouveau médicament est plus visible, et il devient une cible attrayante pour les bureaucrates et les politiciens.

Cet effet de compensation est présent pour tous les médicaments et pour toutes les conditions, allant du double du coût des médicaments pour les seuls soins hospitaliers, jusqu’à huit fois le coût des médicaments une fois que l’on a tenu compte de toutes les compensations dans le système de santé(8). Des avantages supplémentaires découlent de la diminution du nombre de personnes âgées dans les résidences et les CHSLD, et du nombre de travailleurs forcés à dépendre d’une assurance invalidité, entre autres(9).

D’autres recherches ont documenté ces effets de compensation. Une étude canadienne a calculé que les nouveaux médicaments permettent d’économiser en moyenne 4,7 fois leur coût en réduction des dépenses médicales(10). Même aux États-Unis, où les médicaments coûtent beaucoup plus cher, une étude gouvernementale a évalué qu’une augmentation de 1 % du nombre d’ordonnances entraînait une baisse de 0,2 % des dépenses de santé, soit une économie de 94 $ US par ordonnance(11).

Une étude portant sur sept pays de l’OCDE a révélé que les économies liées aux effets compensatoires augmentent avec le temps, de sorte que chaque nouveau médicament produit 5,90 $ US en bénéfices nets pour chaque personne aux États-Unis, et que ce total double à long terme, atteignant 11,40 $ US(12).

Au-delà de la réduction des coûts, les effets de compensation peuvent aider à compenser la pénurie de médecins. Une étude néerlandaise a conclu que dix nouveaux médicaments introduits de 1995 à 2007 pour soigner trois catégories de maladies avait permis d’économiser dans l’utilisation des ressources en santé à un point tel que l’introduction de chacun de ces médicaments équivalait à l’embauche de 720 professionnels de la santé à temps plein(13).

La tendance constante est que l’innovation pharmaceutique, outre ses bénéfices pour la santé en général en vies sauvées et en amélioration de la qualité de vie, est également plus que rentable du point de vue économique, tant sur le plan des dépenses de santé que des retombées globales.

Cela place la hausse des coûts pharmaceutiques dans une perspective différente et suggère que l’on devrait utiliser plus, et non moins de médicaments, pour remplacer d’autres traitements. En particulier, on devrait chercher à éliminer tous les obstacles à l’augmentation de la recherche pharmaceutique, afin de profiter au maximum des effets de compensation.

Le coût élevé de la recherche

Malgré leurs bénéfices importants, l’utilisation croissante des médicaments a conduit les politiciens à les considérer comme une ponction sur les fonds publics et à cibler l’industrie qui les produit pour ses profits prétendument déraisonnables(14). En réalité, l’industrie elle-même n’est pas aussi rentable que ce que plusieurs croient.

La marge bénéficiaire nette – soit le profit par dollar de revenu – de l’industrie pharmaceutique américaine est, à 15 %, plus élevée que la moyenne de l’ensemble des industries américaines, mais moindre que celles d’autres industries à haut risque comme l’immobilier général (16 %) ou le jeu vidéo (16,6 %)(15).

L’une des raisons pour ce niveau de rentabilité moins élevé est le coût important de la recherche. Le ratio de recherche par rapport aux ventes est de 18,7 % pour l’industrie pharmaceutique aux États-Unis, contre un ratio moyen de 2,9 % pour l’ensemble des entreprises américaines(16).

Ce ratio six fois plus élevé est dû à des coûts énormes et croissants pour la recherche et le développement des médicaments – coûts qui sont eux-mêmes en grande partie le résultat de politiques gouvernementales mal avisées. Selon une étude de 2016, le coût total d’introduction d’un nouveau médicament s’élève à près de 3 milliards $ US. L’ensemble du processus prend en moyenne quinze ans et on doit ajouter une somme de 300 millions $ US en recherche et développement une fois le médicament approuvé. Au cours des vingt dernières années, ce coût a grimpé de 8,5 % par an en moyenne, soit une croissance plus rapide que celle du prix des médicaments, et beaucoup plus rapide que celle de l’économie dans son ensemble(17).

La recherche pharmaceutique est devenue très coûteuse en partie parce que de nombreux médicaments testés ne sont jamais commercialisés. La même étude de 2016 a révélé que de tous les médicaments qui sont soumis à des essais cliniques, 40 % échouent à la phase I, 64 % des médicaments restants échouent à la phase II, 38 % de ces survivants échouent à la phase III, et enfin 10 % de ces derniers n’obtiennent pas l’approbation finale. La probabilité totale de succès clinique à travers toutes ces étapes est d’un peu moins de 12 % (voir la Figure 1)(18).

Si sept médicaments sur huit ne se rendent pas sur le marché, ces sept échecs doivent être payés par les profits du seul médicament qui y arrive. Cela facilite les accusations de prix abusifs, mais ne change rien au fait que plusieurs médicaments demeurent très précieux pour les patients, et que ceux qui défraient la facture sont prêts à payer pour les obtenir.​

Une menace pour la recherche de demain

Dans les pays où le gouvernement intervient de façon significative dans le marché du médicament, les politiciens ont systématiquement fait baisser les prix sous leurs coûts totaux. Cela laisse un seul pays, les États-Unis, payer la facture pour les autres.

À titre d’illustration, les prix imposés par le gouvernement canadien pour les produits pharmaceutiques, s’ils étaient appliqués aux États-Unis, signifieraient non seulement la fin de la recherche, mais ils mettraient en faillite toute l’industrie. La recherche pharmaceutique est particulièrement sensible à la baisse des prix. Une étude récente estime qu’une baisse de 100 $ des revenus est associée à une baisse de 58 $ des dépenses de recherche(19).

Étant donné que la recherche accapare 18,7 % des revenus des fabricants de médicaments, une telle relation suggère qu’une baisse des prix de seulement 16 % pourrait réduire de moitié la recherche pharmaceutique, tandis qu’une baisse du tiers pourrait – en théorie – l’effacer complètement. Bien sûr, l’industrie réagirait dynamiquement à une telle baisse, s’éloignant des nouveaux produits les plus ambitieux, et se concentrant sur les médicaments les moins chers ou les moins innovants.

Présentement, les prix canadiens pour les médicaments brevetés sont inférieurs de 70 % aux prix américains. Cet écart s’est accentué considérablement, passant de 57 cents au Canada pour un dollar aux États-Unis en 2008, à seulement 30 cents neuf ans plus tard(20). Les changements récents au CEPMB vont réduire encore plus – et artificiellement – les prix des médicaments au Canada(21).

L’Europe ne fait pas mieux. Au Royaume-Uni, par exemple, on paie 28 cents pour chaque dollar dépensé aux États-Unis. En Allemagne et en Suisse, on n’atteint que 33 cents, et seulement 22 cents en France (voir la Figure 2)(22).

En invitant les Américains à copier son « dîner gratuit », le Canada risque d’affaiblir le seul marché qui soutienne réellement la recherche et le développement des médicaments tels qu’on les connaît actuellement.

Laissez le marché des médicaments faire son travail

L’innovation pharmaceutique a considérablement amélioré nos vies en guérissant des maladies et en nous aidant à gérer des symptômes d’une façon qui aurait stupéfié nos ancêtres. De plus, elle a accompli ces progrès tout en générant des économies ailleurs dans le système de santé, qui ont plus que compensé son coût.

Le besoin pour des médicaments innovants et pour de meilleures versions des médicaments existants n’a cependant pas disparu. Les maladies cardiaques, le cancer, le diabète et de nombreuses autres maladies privent encore les gens d’années de vie et de santé, même dans les pays les plus riches. Pendant ce temps, la recherche et le développement demeurent risqués et coûteux, ce qui rend la disponibilité de nouveaux médicaments plus performants ou traitant de nouvelles conditions vulnérable à l’ingérence gouvernementale.

Le Canada pourrait favoriser des prix viables en laissant simplement les assureurs privés négocier les prix du marché avec les fabricants de médicaments, ce qui leur permettrait d’évaluer les prix des nouveaux médicaments en fonction de leurs avantages, tout en se faisant concurrence pour la clientèle. Le Canada pourrait ensuite fixer ses propres prix de référence en établissant la moyenne des prix consentis aux assureurs privés afin de s’assurer que ceux-ci obtiennent un prix équitable. Les prix déboursés pour les médicaments auraient alors tendance à engendrer des profits suffisants pour que les assureurs continuent à mettre les nouveaux médicaments à la disposition des Canadiens en temps opportun, ce qui encouragerait la recherche et profiterait à nous et à nos enfants dans l’avenir.

Une meilleure façon de réduire les prix serait d’alléger la surréglementation qui augmente inutilement le coût pour les fabricants de médicaments. Avec des coûts moins élevés, de la recherche et du développement viables pourraient avoir lieu à des prix possiblement très inférieurs à ceux d’aujourd’hui. Au minimum, le gouvernement devrait s’abstenir d’aggraver la situation actuelle, ce qu’il ferait en nationalisant l’assurance médicaments ou en empêchant davantage les prix canadiens de refléter la réalité de ce marché essentiel pour le bien-être de tous et chacun.

Références

  1. Mathieu Bédard, « Trop réduire les prix des médicaments les rendra moins accessibles », Le Point, IEDM, 18 avril 2019; Kelsey Rolfe, « Pharma companies launching challenge to PMPRB changes », Benefits Canada, 27 août 2019.
  2. Michel Kelly-Gagnon, « Reasons to resist a national pharmacare monopoly », National Post, 8 octobre 2019.
  3. Frank R. Lichtenberg, The Benefits of Pharmaceutical Innovation: Health, Longevity, and Savings, Cahier de recherche, IEDM, 15 juin 2016, p. 5 et 9-10.
  4. Frank R. Lichtenberg, « Pharmaceutical Innovation and Longevity Growth in 30 Developing and High-Income Countries, 2000-2009 », Health Policy and Technology, vol. 3, no 1, mars 2014, p. 36-58.
  5. Frank R. Lichtenberg, op. cit., note 3, p. 11.
  6. Chris P. Lee, Glenn M. Chertow et Stefanos A. Zenios, « An Empiric Estimate of the Value of Life: Updating the Renal Dialysis Cost-Effectiveness Standard », Value in Health, vol. 12, no 1, 2009; Steven Ross Johnson, « Home dialysis grows despite cost and logistical hurdles », Modern Healthcare, 11 octobre 2014; W. Kip Viscusi, « The Value of Risks to Life and Health », Journal of Economic Literature, vol. 31, no 4, décembre 1993.
  7. Frank R. Lichtenberg, « Are the Benefits of Newer Drugs Worth Their Cost? Evidence from the 1996 MEPS », Health Affairs, vol. 20, no 5, septembre 2001, p. 241-251.
  8. Idem.
  9. Frank R. Lichtenberg, op. cit., note 3, p. 14, 15 et 17.
  10. La médiane du ratio est de 1,5, ce qui indique que certains médicaments génèrent de très grandes économies, tandis que d’autres sont relativement modestes. Pierre-Yves Crémieux, Pierre Ouellette et Patrick Petit, « Do Drugs Reduce Utilisation of Other Healthcare Resources? », Pharmaco Economics, vol. 25, no 3, mars 2007.
  11. Darius Lakdawalla et al., « What Do Pharmaceuticals Really Cost in the Long Run? », American Journal of Managed Care, vol. 23, no 8, août 2017.
  12. Rexford Santerre, « National and International Tests of the New Drug Cost Offset Theory », Southern Economic Journal, vol. 77, no 4, 2011, p. 1033-1043.
  13. Apostolos Tsiachristas et al., Medical innovations and labor savings in health care: An exploratory study, Maastricht University, janvier 2009.
  14. Peter Loftus, « Drugmakers, Worried about Losing Pricing Power, Are Lobbying Hard », The Wall Street Journal, 24 septembre 2019.
  15. Aswath Damodaran, Margins by Sector (US), Stern School of Business at New York University, 2016 à 2020.
  16. Idem.
  17. Joseph A. DiMasi et al., « Innovation in the pharmaceutical industry: New estimates of R&D costs », Journal of Health Economics, vol. 47, mai 2016, p. 20-33. Les dollars de 2013 ont été convertis en dollars de 2019 à l’aide de l’outil de calcul de l’inflation de l’indice des prix à la consommation du Bureau of Labour Statistics. Un débat est toujours en cours quant à la méthodologie utilisée dans cette estimation largement citée; voir par exemple James Love, « The 2016 Tufts estimates of the risk adjusted out-of-pocket costs to develop a new drug », Knowledge Ecology International, 12 avril 2016.
  18. Idem.
  19. Carmelo Giaccotto et al., « Drug Prices and Research and Development Investment Behavior in the Pharmaceutical Industry », Journal of Law and Economics, vol. 48, no 1, avril 2005, p. 195-214, cité dans Frank R. Lichtenberg, op. cit., note 3, p. 26.
  20. Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, Rapport annuel 2017, Figure 20, p. 41.
  21. Kelsey Rolfe, op. cit., note 1.
  22. Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, op. cit., note 20.
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