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Les leçons à tirer des pandémies antérieures

Point montrant que les coûts à court terme de la pandémie actuelle seront importants et que l’ampleur des coûts à long terme dépendra des politiques publiques mises en place pour répondre à la crise

En plus d’une crise sanitaire, la pandémie de coronavirus soulève des craintes de crise économique. Alors que plusieurs commentateurs dressent des parallèles avec la grippe espagnole, cette publication de l’IEDM analyse les leçons économiques que l’on doit tirer de cet épisode historique.

En lien avec cette publication

Entrevue avec Vincent Geloso (Le Bilan, BLVD 102.1, 7 avril 2020)

Entrevue avec Vincent Geloso (Duhaime le midi, FM93, 7 avril 2020)

 

Ce Point a été préparé par Vincent Geloso, professeur adjoint d’économie au King’s University College et chercheur associé à l’IEDM. La Collection santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

La pandémie de coronavirus soulève la crainte d’une possible récession. En réponse, certains commentateurs ont souligné que les pandémies antérieures de grippe pouvaient nous éclairer sur les dommages économiques potentiels. Une épidémie fréquemment évoquée est celle de la grippe espagnole, qui s’est propagée à la fin de la Première Guerre mondiale (1914-1918). Cette grippe a infecté un demi-milliard de personnes et en a tué au moins 50 millions(1).

Deux leçons peuvent être tirées de cet épisode : premièrement, les coûts à court terme de la pandémie actuelle seront importants; deuxièmement, l’ampleur des coûts à long terme dépendra des politiques publiques mises en place pour répondre à la crise.

Les coûts à court terme

La grippe espagnole a eu un impact plus important sur la population de jeunes adultes – elle a tué en grande partie des travailleurs dans la fleur de l’âge(2). Avec la mort de ces travailleurs, l’activité économique a fléchi. Les données disponibles suggèrent qu’entre juillet 1918 et mars 1919, la production industrielle aux États-Unis a chuté de près de 25 % (voir la Figure 1). L’activité des entreprises a également chuté de près de 16 % durant ce temps(3). Au Canada, la baisse de la production manufacturière réelle de 1918 à 1919 a été de 13 %, tandis que le PIB réel a chuté de 7 %(4).

Il serait toutefois incorrect de voir ces chiffres comme un indicateur des dommages causés uniquement par la pandémie, car ils coïncident aussi avec la fin de la guerre. Alors que la guerre prend fin, la réorganisation de l’activité industrielle vers une production de temps de paix entraîne des coûts d’ajustement. Certaines études ont tenté de dissocier l’effet de la guerre de celui de la pandémie(5). La plus récente montre, en utilisant un échantillon de 42 pays, que la pandémie de grippe a réduit le PIB réel par habitant de 6 % dans le pays type(6), alors que la guerre a réduit le PIB par habitant de 8,4 %.

Ces résultats nous enseignent une première leçon. Les mesures de distanciation sociale qui sont prises aujourd’hui pour atténuer les risques de contagion impliquent une réduction de la quantité de travail fourni. La magnitude de cette réduction est considérable et pourrait rivaliser avec celle de la grippe espagnole. Cependant, dans ce dernier cas la reprise était bien amorcée au cours de l’année : la production industrielle a rebondi de plus de 25 % entre mars 1919 et janvier 1920 aux États-Unis et l’activité des entreprises a rebondi de 22 %. Cette tendance se serait poursuivie s’il n’y avait pas eu de changements drastiques dans la politique monétaire(7).

La principale différence entre la situation actuelle et l’épisode de la grippe espagnole est que le nombre de décès présentement projeté est loin de celui observé en 1918. Le choc, bien que coûteux, est temporaire et la reprise pourrait donc être rapide puisque les travailleurs retourneront au travail une fois que la contagion s’estompera.

Les coûts à long terme

Le compte-rendu relativement optimiste ci-dessus dépend de l’impact à long terme des mesures prises pour répondre à la pandémie.

De nombreuses études ont mesuré à quel point la grippe de 1918 a affecté la croissance économique future en réduisant le potentiel de croissance de la productivité à long terme. Par exemple, une étude portant sur le Japon a montré que les femmes enceintes exposées à la maladie ont affecté négativement les perspectives de santé de leurs enfants(8). De façon générale, les effets sur la santé ont des conséquences de long-terme sous la forme d’un ralentissement de la croissance économique(9).

Or, les ralentissements de la croissance économique potentielle sont plus dommageables qu’on ne le croit généralement. Un pays qui connaît une croissance du revenu par habitant de 2 % par an verra son revenu par habitant doubler plus ou moins tous les 36 ans. Si cette croissance est réduite à 1,5 %, il faudra 48 ans pour que le revenu double. Ces ralentissements devraient donc être ceux qui nous préoccupent le plus. Les réductions des revenus réels moyens, par rapport à ce qui aurait pu être, ont des effets négatifs sur l’espérance de vie, la mortalité infantile et d’autres indicateurs du bien-être humain(10).

Bien que non négligeables, les dommages causés au potentiel de croissance à long terme par la grippe espagnole sont relativement limités selon les études disponibles. En combinaison avec les projections des dommages (même dans les scénarios extrêmes) que le coronavirus générera, cette comparaison suggère des dommages limités au potentiel économique à long terme. Cependant, des réponses politiques démesurées pourraient affecter négativement cette croissance économique à long terme.

Ici, la leçon tirée de la littérature sur l’adaptation à d’autres formes de catastrophes extrêmes est que les choix de politique publique ont des effets importants sur les coûts à long terme attribuables à une diminution de l’offre de biens et services lorsque la réglementation crée de la rigidité dans le marché(11).

Les politiques qui créent de la rigidité et limitent l’ensemble des options disponibles pour les acteurs économiques, comme l’ajout de réglementation par exemple, affectent la capacité de retrouver la croissance économique d’avant la crise. En fait, la reprise après les crises économiques est nettement plus rapide dans les pays où la liberté économique et la flexibilité institutionnelle sont plus importantes(12). À ce titre, l’annonce de mesures d’allègement pour les plus touchés pourrait être combinée à celle de l’assouplissement de certains obstacles réglementaires.

La limitation de ces coûts à long terme est une étape cruciale, et c’est sur cette dimension que les décideurs politiques ont le plus d’influence. La littérature nous enseigne que la reprise économique pourra être plus rapide si les interventions de l’État diminuent, au lieu d’augmenter, la réglementation et les obstacles à la liberté des échanges pour les individus et les entreprises.

Références

  1. Niall P.A.S. Johnson et Juergen Mueller, « Updating the Accounts: Global Mortality of the 1918-1920 Spanish Influenza Pandemic », Bulletin of the History of Medicine, vol. 76, no 1, 2002, p. 105-115.
  2. Anton Erkoreka, « The Spanish influenza pandemic in occidental Europe (1918–1920) and victim age », Influenza and other respiratory viruses, vol. 4, no 2, 2010, p. 81-89.
  3. Leonard P. Ayres, « Turning Points in Business Cycles », New York: MacMillan Company, 1940, Appendice A.
  4. Malcolm Urquhart, Gross National Product, Canada 1870-1926. McGill-Queen’s University Press, 1993.
  5. Thomas A. Garrett, « Pandemic economics: The 1918 influenza and its modern-day implications », Federal Reserve Bank of St. Louis Review 90, mars/avril 2008; Elizabeth Brainerd et Mark Siegler, The Economic Effects of the 1918 Influenza Epidemic, Centre for Economic Policy Research, 2003.
  6. Robert Barro, Jose Ursua et Joanna Weng, The Coronavirus and the Great Influenza epidemic: Lessons from the “Spanish Flu” for the Coronavirus’ potential effects on mortality and economic activity. American Enterprise Institute, 16 mars 2020.
  7. J. R. Vernon, « The 1920-21 Deflation: The Role of Aggregate Supply », Economic Inquiry, vol. 29, no 3, 1991, p. 572-80; James Grant, The forgotten depression: 1921: the crash that cured itself. Simon and Schuster, 2014; Benjamin W. Anderson, Economics and the Public Welfare: A Financial and Economic History of the United States, 1914-1946, Liberty Press, 1979, p. 61-69.
  8. Kota Ogasawara, « The long-run effects of pandemic influenza on the development of children from elite backgrounds: Evidence from industrializing Japan », Economics & Human Biology, vol. 31, 2018, p. 125-137.
  9. Des études similaires menées en Suède et aux États-Unis ont montré qu’en raison d’une baisse des perspectives de santé, les revenus à l’âge adulte des personnes dont la mère était exposée à la maladie pendant la grossesse étaient réduits. Voir Tommy Bengtsson et Jonas Helgertz, « Long-term income effects from early-life exposure to the 1918/1919 influenza pandemic: the case of southern Sweden », Seminar paper 103, Lund University, Department of Economic History, 2013; Douglas Almond et Bhashkar Mazumder, « The 1918 influenza pandemic and subsequent health outcomes: an analysis of SIPP data », American Economic Review: Papers & Proceedings, vol. 95, no 2, 2005, p. 258-262; Douglas Almond, « Is the 1918 influenza pandemic over? Long-term effects of in utero influenza exposure in the post-1940 US population », Journal of Political Economy, vol. 114, no 4, 2006, p. 672-712.
  10. Samuel H. Preston, « The changing relation between mortality and level of economic development », Population Studies, vol. 29, no 2, 1975, p. 231-248; Robert W. Fogel, « Economic Growth, Population Theory, and Physiology: The Bearing of Long-Term Processes on the Making of Economic Policy », American Economic Review, vol. 84, no 3, 1994, p. 369-395.
  11. Russell S. Sobel et Peter T. Leeson, « Government’s response to Hurricane Katrina: A public choice analysis », Public Choice, vol. 127, no 1-2, 2006, p. 55-73; Richard E. Wagner, « Katrina and the social organization of disaster recovery: dissolving a theoretical antinomy », Journal of Public Finance and Public Choice, vol. 24, no 2-3, 2006, p. 143-162.
  12. Christian Bjørnskov, « Economic freedom and economic crises », European Journal of Political Economy, vol. 45, 2016, p. 11-23.
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