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La liberté économique réduit la pauvreté: l’expérience canadienne

Note économique montrant que moins de réglementation et des impôts moins élevés peuvent atténuer la pauvreté persistante et améliorer la résistance à la pauvreté

En lien avec cette publication

Poverty study concludes Quebec should imitate Alberta (Western Standard, 26 mai 2024)

Un fardeau fiscal et réglementaire plus souple aiderait à réduire la pauvreté (Le Journal de Montréal, 30 mai 2024)

Lower Taxes, Flexible Regulation Could Have Prevented 140K Poverty Cases in Quebec: Report (The Epoch Times, 4 juin 2024)

Entrevue avec Vincent Geloso (Richard Martineau, QUB Radio, 30 mai 2024)

 

Cette Note économique a été préparée par James Dean, professeur adjoint en économie à la Western Carolina University (Cullowhee, Caroline du Nord), et Vincent Geloso, professeur adjoint en économie à la George Mason University (Fairfax, Virginie) et économiste senior à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.

Vivre dans la pauvreté peut avoir des conséquences dévastatrices. Les problèmes de santé subis pendant une période de pauvreté ont parfois des effets à long terme. Les enfants nés dans la pauvreté ont tendance à éprouver des échecs scolaires qui se traduisent souvent par des revenus plus faibles et un état de santé inférieur au cours de leur vie. Au-delà de ces effets directs, la pauvreté s’accompagne souvent d’une forme d’exclusion sociale qui restreint la participation aux activités sociales et démocratiques. L’effet cumulatif de ces facteurs peut sérieusement limiter la capacité d’un individu à améliorer sa situation, affectant non seulement sa propre vie, mais aussi potentiellement celle des générations futures(1).

Les discussions portant sur les politiques destinées à remédier à la pauvreté s’articulent généralement autour des mesures de redistribution que les gouvernements peuvent mettre en œuvre. Le rôle des politiques de marché qui renforcent la liberté économique des pauvres (c’est-à-dire la protection des droits de propriété, un cadre réglementaire limité, l’ouverture du commerce, des impôts moins élevés et la réduction des dépenses publiques) est moins fréquemment abordé. La présente étude met en lumière les résultats d’une nouvelle recherche qui démontre l’importance de la liberté économique dans la réduction de la pauvreté.

Liberté économique et pauvreté persistante

Bon nombre de publications traitent de la manière dont la liberté économique favorise la croissance économique et le développement en général(2). Parce qu’elle est source de croissance économique, on peut raisonnablement s’attendre à ce que la liberté économique réduise également la pauvreté, ce que confirme le petit sous-ensemble de ces publications consacré à l’analyse de la répartition des fruits de la croissance économique en fonction du statut socio-économique. Il s’avère que les sociétés économiquement plus libres bénéficient de gains de revenus plus importants pour l’ensemble des segments de la population et tendent donc à afficher des taux de pauvreté plus faibles(3).

Les sociétés économiquement plus libres bénéficient de gains de revenus plus importants pour l’ensemble des segments de la population.

Cette littérature n’est cependant pas en mesure d’aborder certaines des questions qui nous intéressent normalement lorsque nous parlons de pauvreté, plus précisément les aspects liés à la « dynamique de la pauvreté ». De manière générale, il serait utile de savoir si, et dans quelle mesure, la pauvreté persiste(4). Les pauvres peuvent-ils se sortir de la pauvreté ou y sont-ils piégés pour toujours? S’ils parviennent à s’en sortir, se maintiennent-ils ensuite près du seuil de pauvreté, à jamais vulnérables au moindre soubresaut économique susceptible de les faire retomber dans la misère? La pauvreté persistante laisse souvent des traces durables, mais la précarité économique peut elle aussi avoir des effets à long terme.

Cette question est directement liée à notre compréhension de l’importance de la liberté économique. En effet, nous voulons savoir si la suppression des obstacles à l’entrepreneuriat favorise une sortie de la pauvreté; si la déréglementation de certains services réduit le coût de la vie de manière à augmenter les revenus réels; si la baisse des impôts encourage l’acquisition de compétences tout en récompensant l’effort et l’épargne; si la déréglementation des professions permet de changer plus facilement de secteur, etc. Ce qui importe, c’est de savoir exactement comment la liberté économique permet aux gens de sortir de la pauvreté. Quelles sont donc les preuves empiriques à cet égard?

L’expérience canadienne

Rares sont les données internationales continues qui permettent de suivre la dynamique de la pauvreté (durée des périodes de pauvreté, taux d’entrée et de sortie de la pauvreté, etc.). Heureusement, il existe une base de données sous-nationale qui nous permet d’examiner ces statistiques pour les provinces canadiennes, et qui remontent à 1992.

Statistique Canada compile de vastes données relatives à la « situation de faible revenu », un terme qui peut être considéré comme synonyme de « pauvreté ». Ces données comprennent les taux d’entrée et de sortie du faible revenu pour les déclarants chaque année, ainsi que la persistance du faible revenu des déclarants sur des périodes de huit ans(5). Les taux d’entrée et de sortie sont mesurés sur une période d’une année complète afin d’indiquer, par exemple, si une personne donnée est entrée/sortie au cours de l’année 2020. Les données relatives à la persistance permettent de suivre les mêmes personnes pendant une période de huit ans. Par exemple, un groupe est suivi du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2017, un autre du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2018, et ainsi de suite.

Dans l’ensemble, nous pouvons générer un total de 11 variables relatives à l’expérience de la pauvreté au Canada : la durée moyenne d’une période de pauvreté, la proportion de la population qui n’a connu aucune année de pauvreté, la proportion de la population qui a connu huit années complètes de pauvreté, le taux d’entrée, le taux de sortie et les probabilités respectives de sortie après 1, 2, 3, 4, 5 et 6 années de pauvreté(6). Toutes ces variables sont disponibles de 1992 à aujourd’hui(7).

Si le Québec avait bénéficié du niveau de liberté économique de l’Alberta, le taux de pauvreté extrêmement persistante aurait été presque divisé par deux.

Ces données pouvant être ventilées par province, elles peuvent également être comparées au rapport Economic Freedom of North America (EFNA) produit par l’Institut Fraser. L’EFNA classe la liberté économique sur une échelle de zéro à dix (de la pire à la meilleure) et s’appuie sur trois paramètres : i) les dépenses publiques par type; ii) les niveaux d’imposition; et iii) la réglementation du marché de l’emploi(8).

Dans le cadre de notre étude, nous avons combiné ces deux ensembles de données et testé l’importance de la liberté économique pour chacune des 11 variables relatives à la pauvreté dans les provinces canadiennes au cours de la période allant de 1992 à aujourd’hui(9). Par l’ajout d’un certain nombre de variables de contrôle économiques pertinentes pour que tout soit égal par ailleurs(10), nous avons testé si l’EFNA prédit des résultats normativement supérieurs en ce qui concerne les statistiques relatives à la pauvreté(11).

Le rapport entre la liberté économique et les statistiques sur la pauvreté est tel que nous n’avons pu trouver aucun cas où une plus grande liberté économique nuirait aux pauvres(12). Inversement, lorsque nous nous appuyons sur l’indice global, nous constatons que la liberté économique aide les pauvres de manière statistiquement significative (voir le Tableau 1 pour un aperçu des cinq premières statistiques de pauvreté susmentionnées). Lorsque nous examinons la réglementation du marché du travail et les niveaux d’imposition, nous constatons que moins de réglementation et des impôts moins élevés entraînent toujours une réduction de la pauvreté.

Pour mieux saisir l’importance de ces résultats, il suffit d’imaginer ce qu’il adviendrait des indicateurs de pauvreté dans la province où la liberté économique est la plus faible si elle devenait, d’une manière ou d’une autre, aussi libre que la province la plus libre. Pour la période allant de 1992 à 2020, les provinces concernées sont respectivement le Québec et l’Alberta. Au cours de la dernière période de référence (2013 à 2020), le pointage du Québec selon l’indice EFNA était inférieur de 4,44 points (sur 10) à celui de l’Alberta. Le résultat est illustré à la Figure 1, où le « Québec plus libre » correspond à un Québec qui serait aussi libre que l’Alberta sur le plan économique.

Si le Québec avait bénéficié du niveau de liberté économique de l’Alberta, le taux de pauvreté extrêmement persistante (soit huit années de pauvreté) aurait été de 2,3 % au cours de la période allant de 2013 à 2020. Cela signifie que le taux effectif de 4,4 % du Québec (soit 223 440 personnes) au cours de cette période aurait été presque divisé par deux, permettant ainsi de sortir près de 107 000 personnes de la pauvreté extrêmement persistante.

Les gouvernements multiplient les obstacles qui empêchent les gens de se sortir de la spirale de la pauvreté.

Une démarche semblable peut être suivie en utilisant le taux de résistance à la pauvreté (soit zéro année de pauvreté au cours de la période). S’ils avaient bénéficié des mêmes niveaux de liberté économique que les Albertains, 77,2 % des Québécois n’auraient connu aucune période de pauvreté entre 2013 et 2020. Comparé au taux réel de 74,4 %, on constate qu’un 2,8 % supplémentaire de Québécois n’aurait pas eu à vivre l’expérience de la pauvreté. Cela représente près d’un quart du taux de pauvreté annuel pour la période, ce qui indique qu’environ 140 000 personnes supplémentaires auraient échappé à la pauvreté entre 2013 et 2020.

Déréglementer la certification professionnelle et le logement pour favoriser l’autonomie des pauvres

En privilégiant la distribution d’argent aux pauvres, on a négligé une solution de rechange importante. Les gouvernements multiplient les obstacles qui empêchent les gens de se sortir de la spirale de la pauvreté. La suppression de ces obstacles, qui se traduirait par une plus grande liberté économique, permettrait aux pauvres de jouir d’une autonomie qui ne nécessiterait que peu ou pas de dépenses de la part de l’État. Trois exemples devraient suffire à démontrer comment.

  • Premièrement, les provinces canadiennes (y compris le Québec) ont adopté un large éventail de réglementations en matière de certification professionnelle — des mesures particulièrement régressives puisqu’elles limitent la capacité des individus à accéder à de nouvelles professions (et pas seulement à celles qui sont hautement qualifiées)(13).
  • Deuxièmement, plusieurs gouvernements au Canada (fédéral, provinciaux et municipaux) créent des obstacles à la concurrence, par exemple par des monopoles d’État ou des restrictions imposées aux intervenants étrangers sur le marché, de sorte qu’entre 25,2 % et 35,1 % de l’économie canadienne est protégée de la concurrence(14). Ces obstacles à la concurrence font baisser les salaires réels en augmentant le coût de la vie et en ralentissant la croissance de la productivité (qui pousse les salaires à la hausse).
  • Troisièmement, les réglementations en matière de logement qui limitent la construction dans les villes ont tendance à être très régressives. Les villes ont le potentiel d’offrir de grandes possibilités de mobilité ascendante dans la mesure où elles offrent plus d’opportunités d’emploi (et des emplois mieux rémunérés)(15), mais en augmentant les prix des logements et des loyers, les réglementations en matière de logement empêchent les gens d’accéder à ces opportunités(16). En outre, le fait que les loyers représentent une part plus importante du budget des pauvres amplifie le caractère régressif de ces réglementations en matière de logement(17). En réduisant les prix des loyers, la suppression des réglementations en matière de logement augmenterait l’accès aux opportunités et réduirait le coût de la vie pour les pauvres.

Des réformes menées sur ces trois fronts permettraient aux gouvernements de s’attaquer rapidement au problème de pauvreté persistante et d’empêcher, dès le départ, les cicatrices de la pauvreté de se former. Même des mesures plus modestes en ce sens pourraient faire une différence considérable pour les pauvres du Québec et de l’ensemble du Canada.

Références

  1. Chiara Mussida et Dario Sciulli, « The dynamics of poverty in Europe: What has changed after the great recession? », Journal of Economic Inequality, vol. 20, no 4, décembre 2022, p. 934.
  2. Joshua C. Hall et Robert A. Lawson, « Economic freedom of the world: An accounting of the literature », Contemporary Economic Policy, vol. 32, no 1, janvier 2014, p. 1-19.
  3. Justin T. Callais et Andrew T. Young, « A rising tide that lifts all boats: An analysis of economic freedom and inequality using matching methods », Journal of Comparative Economics, vol. 51, no 3, septembre 2023, p. 775; Colin Doran et Thomas Stratmann, « The Relationship between Economic Freedom and Poverty Rates: Cross-Country Evidence », Journal of Institutional and Theoretical Economics, vol. 176, no 4, 2020, p. 686-707; Robert Lawson et James Dean, « Who gains from economic freedom? A panel analysis on decile income levels », Economics and Business Letters, vol. 10, no 2, juin 2021, p. 102-106.
  4. Mary Jo Bane and David T. Ellwood, « Slipping into and out of Poverty: The Dynamics of Spells », Journal of Human Resources, vol. 21, no 1, hiver 1986, p. 1-23; Ann Huff Stevens, « The Dynamics of Poverty Spells: Updating Bane and Ellwood », American Economic Review, vol. 84, no 2, mai 1994, p. 34-37.
  5. Statistique Canada, Tableau 11-10-0024-01 : Les taux d’entrée et de sortie du faible revenu des déclarants au Canada, 10 novembre 2023; Statistique Canada, Tableau 11-10-0026-01 : La durée du faible revenu des déclarants au Canada, 10 novembre 2023; Statistique Canada, Tableau 11-10-0025-01 : La persistance du faible revenu des déclarants au Canada, 10 novembre 2023.
  6. La probabilité de sortie après un certain nombre d’années est définie comme suit : « La probabilité conditionnelle qu’une période de pauvreté dure pendant un nombre d’années donné, à condition qu’elle n’ait pas pris fin plus tôt. »
  7. Nous avons toutefois choisi de nous arrêter à 2020 pour éviter les complications liées à la pandémie de COVID-19.
  8. Dean Stansel et al., Economic Freedom of North America 2023, Institut Fraser, 9 novembre 2023.
  9. James Dean et Vincent Geloso, Poverty Spells and Economic Freedom: Canadian Evidence, Document de travail no 24-05, George Mason University Department of Economics, 2023.
  10. Notre choix de variables visait également à créer une évaluation qui ne soit pas influencée par la découverte de liens étroits avec la liberté économique. Par exemple, nous avons inclus le taux de chômage moyen pour chaque période de huit ans afin de contrôler les fluctuations économiques qui pourraient affecter les pauvres plus que d’autres groupes de revenus. Cela signifie que les données présentées dans le Tableau 1 illustrent l’effet direct de la liberté économique sur la pauvreté, indépendamment des effets du chômage. Toutefois, s’il existe un lien indirect positif entre la liberté économique et la pauvreté par le biais des taux de chômage (c’est-à-dire que les taux de chômage sont plus faibles dans les provinces où la liberté économique est élevée), les données présentées seront sous-estimées. Il existe des preuves d’un tel lien indirect (voir Horst Feldmann, « Economic Freedom and Unemployment around the World », Southern Economic Journal, vol. 74, no 1, juillet 2007, p. 171) de sorte que les données ci-dessus sont prudentes.
  11. Nous avons utilisé une approche de régression de donnée de panel.
  12. Une plus grande liberté économique est toujours associée à de meilleurs résultats en ce qui concerne la pauvreté, mais pour certains indicateurs (par exemple, zéro année de pauvreté, le taux d’entrée ou la probabilité de sortie après 1, 2, 3, 4, 5 et 6 ans), les liens ne sont pas statistiquement significatifs.
  13. Tingting Zhang, « Effects of Occupational Licensing and Unions on Labour Market Earnings in Canada », British Journal of Industrial Relations, vol. 57, no 4, décembre 2019, p. 791-817; Tingting Zhang et Morley Gunderson, « Impact of Occupational Licensing on Wages and Wage Inequality: Canadian Evidence 1998–2018 », Journal of Labor Research, vol. 41, no 4, décembre 2020, p. 338-351.
  14. Vincent Geloso, Walled from Competition: Measuring Protected Industries in Canada, Institut Fraser, 2019, p. 15.
  15. Jonathan Rothwell et Douglas S. Massey, « Geographic Effects on Intergenerational Income Mobility », Economic Geography, vol. 91, no 1, janvier 2015, p. 83-106.
  16. Justin Callais et Vincent Geloso, Wealth Generation: How to Boost Income Mobility in the UK, Institute for Economic Affairs, mars 2024.
  17. Kristian Niemietz, A New Understanding of Poverty, Institute for Economic Affairs, janvier 2011, p. 196; Institut de la statistique du Québec, Coefficients budgétaires des ménages, selon le poste de dépenses, ménages du quintile inférieur de revenu total, Québec, 2010-2017, Gouvernement du Québec, 31 octobre 2019; Institut de la statistique du Québec, Coefficients budgétaires des ménages, selon le poste de dépenses, ensemble des ménages, Québec, 2010-2017, Gouvernement du Québec, 31 octobre 2019.
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