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Jusqu’où doit-on décloisonner les métiers de la construction?

Point proposant que le Québec abolisse la certification obligatoire pour de nombreux métiers, avec pour objectif d’au moins combler l’écart avec la province voisine de l’Ontario

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Ce Point a été préparé par Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de diverses lois et dispositions réglementaires qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

Le secteur de la construction au Québec, on le sait, a besoin de devenir plus productif. Le ministre du Travail, Jean Boulet, s’est penché sur cet enjeu en déposant le projet de loi 51, intitulé Loi modernisant l’industrie de la construction(1), qui vise à offrir une plus grande polyvalence aux travailleurs de la construction. Les modifications proposées restent néanmoins trop partielles. Une avenue plus prometteuse serait le retrait de la certification obligatoire pour la majorité des métiers.

Le cadre réglementaire du secteur de la construction, en place depuis plusieurs décennies, prévoit une certification obligatoire pour exercer l’un des 25 métiers de la construction au Québec(2). Un charpentier-menuisier, par exemple, peut uniquement effectuer les tâches que l’État le considère en mesure d’accomplir, même si ses compétences et son savoir-faire pourraient lui permettre d’accomplir d’autres tâches connexes(3). Il ne peut donc pas peindre un mur, une tâche réservée au peintre en bâtiment, ou effectuer d’autres tâches qui ne sont pas comprises dans la définition officielle de son métier(4).

L’encadrement réglementaire strict des métiers par la Commission de la construction du Québec(5) réduit la flexibilité de l’ensemble des travailleurs de la construction et expose les chantiers à des retards, notamment lorsque les professionnels d’un des métiers ne sont pas rapidement disponibles pour effectuer une tâche. Une étude réalisée pour le compte de l’Association de la construction du Québec indique qu’une plus grande flexibilité aurait une incidence positive sur la productivité de la main-d’œuvre(6). Un tel gain de productivité, peu importe son ampleur, aurait une incidence à la baisse sur le nombre d’heures nécessaires à l’exécution des travaux d’un chantier, et donc sur les coûts.

Une approche moins rigide permettant aux entrepreneurs en construction de choisir librement les travailleurs en fonction de leurs compétences réelles, et non de leur certification, serait largement bénéfique, sans pour autant entraîner d’effets délétères sur la santé et la sécurité(7). Cette approche réglementaire plus souple réduirait les coûts liés à l’indisponibilité de la main-d’œuvre, de même que les coûts d’exploitation généraux.

Plus de flexibilité ailleurs au Canada

Le Québec n’est pas la seule province à exiger une certification pour la pratique de certains métiers de la construction. Toutefois, il s’agit de la seule province qui compte plus d’une vingtaine de métiers soumis à cette obligation (voir la Figure 1). Loin derrière en deuxième position du classement, l’Alberta compte moins de la moitié du nombre de métiers à certification obligatoire. Du côté des autres provinces les plus populeuses, le contraste est encore plus important : l’Ontario ne compte que sept métiers où la certification n’est pas optionnelle, tout comme la Colombie-Britannique.

Le Québec est d’ailleurs la seule province canadienne qui impose la certification dans le cas de treize corps de métier (voir l’Annexe). On peut apprendre la plupart de ces métiers en acquérant de l’expérience sur le terrain, sans nécessiter de formation à proprement parler, mais le cadre réglementaire est très rigide à cet égard.

En Ontario, des formations sont proposées pour les métiers de charpentier-menuisier et de peintre, sans qu’elles soient obligatoires(8). Cette approche, si elle était adoptée au Québec, permettrait aux travailleurs de continuer de se spécialiser dans un domaine en particulier. En même temps, elle donnerait davantage de flexibilité aux entrepreneurs, qui pourraient choisir les travailleurs en fonction de leurs compétences réelles, qu’elles soient certifiées par une formation officielle, ou simplement acquises par un apprentissage sur le terrain, et ce, sans devoir se conformer à une longue liste de critères préétablis par l’État pour juger de la validité de l’expérience sur le terrain, comme c’est le cas actuellement(9).

Un changement législatif plus ambitieux est requis

Le projet de loi déposé par le gouvernement prévoit la possibilité pour un travailleur-compagnon d’accomplir des tâches autres que les siennes, telles que définies par l’État, seulement si :

  • ces tâches sont reliées à celles prévues à la définition du métier de ce compagnon;
  • elles s’inscrivent dans une même séquence de travail et permettent l’avancement ainsi que la continuité des travaux, incluant la préparation et la finition;
  • elles sont à la fois de courte durée et effectuée au cours d’une même journée de travail(10).

Ces mesures ont pour objectif d’accroître la polyvalence des travailleurs, mais elles ne permettent pas de décloisonner suffisamment le secteur de la construction.

Le gouvernement devrait être plus ambitieux et viser le retrait du plus grand nombre possible de certifications obligatoires. Une première étape consisterait à abolir l’obligation de certification pour tous les métiers dont la certification n’est obligatoire qu’au Québec, ce qui en éliminerait plus de la moitié. Par la suite, le gouvernement pourrait procéder à l’examen au cas par cas des douze métiers restants avec pour objectif d’au moins combler l’écart avec l’Ontario.

Alors que le Québec manque de logements, on ne doit pas se contenter de demi-mesures lorsqu’il s’agit de permettre une polyvalence accrue des travailleurs de la construction.

* * *

Annexe : Métiers de la construction dont la certification n’est obligatoire qu’au Québec

  1. Calorifugeur : installe l’isolant thermique et l’isolant de systèmes de tuyauterie
  2. Carreleur : prépare les surfaces, taille et pose des carreaux de céramiques ou autre matériau similaire
  3. Charpentier-menuisier : érige les charpentes de mur, de plancher, de toit, etc.
  4. Cimentier-applicateur : prépare, met en place et répare du béton
  5. Couvreur : pose des revêtements de toiture
  6. Ferrailleur : met en place des tiges, des treillis métalliques ou tout autre matériau pour renforcer le béton
  7. Mécanicien de chantier : installe, répare, règle, monte et démonte la machinerie
  8. Monteur-mécanicien (vitrier) : installe et répare des produits verriers ou tout autre ouvrage similaire
  9. Opérateur de pelles mécaniques : opère tout genre de pelles, de rétrocaveuses, etc.
  10. Peintre : prépare et conditionne les surfaces de toute construction, de même que leur revêtement
  11. Plâtrier : tire des joints, couvre ou égalise une surface à l’aide d’outils spécialisés
  12. Poseur de revêtements souples : pose des revêtements souples en vinyle, etc.
  13. Poseur de systèmes intérieurs : érige des murs, des cloisons et des plafonds, etc.

Note : Pour la définition intégrale des métiers de la construction, voir : Commission de la Construction du Québec, Qualification et accès à l’industrie, Métiers, occupations et perspectives d’emploi. Compilé par l’auteur.

Références

  1. Assemblée nationale du Québec, Projet de loi no 51 – Loi modernisant l’industrie de la construction, art. 72, 31 janvier 2024; Geneviève Lajoie, « Révolution en construction: plus besoin de 7 métiers pour changer une porte », Le Journal de Québec, 30 septembre 2023.
  2. Commission de la construction du Québec, Qualification et accès à l’industrie, Métiers, occupations et perspectives d’emploi, consulté le 2 février 2024.
  3. Pour la liste des définitions de tâches des métiers, voir : Gouvernement du Québec, Règlement sur la formation professionnelle de la main-d’œuvre de l’industrie de la construction, Chapitre R-20, r. 8, Annexe A, 12 décembre 2023.
  4. Certaines exceptions sont prévues dans le cadre réglementaire. Commission de la construction du Québec, Application de la Loi R-20, Loi R-20 et champ d’application, Exclusions, consulté le 5 février 2024.
  5. Gouvernement du Québec, Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, art. 123.1, 1er janvier 2024.
  6. Philippe Gougeon et al., Productivité dans le secteur de la construction et impact d’accroître la polyvalence des métiers, APPECO, Remis à Francine Sabourin, directrice générale, Association de la construction du Québec, 30 août 2023, p. 4. Certaines critiques de l’étude se sont fait entendre, qui ne remettaient pas en cause les gains de productivité liés à la plus grande polyvalence des travailleurs, mais plutôt le degré de ces gains de productivité, établi à 10 % dans l’étude d’APPECO. Francis Halin, « Deux fois moins long pour changer des cadres de portes: “Les hôpitaux et les écoles pourront être construits plus vite” », Le Journal de Montréal, 31 janvier 2024.
  7. Selon l’Association des commissions des accidents du travail du Canada, les données ne permettent pas de constater qu’il y a moins d’accidents du travail au Québec, toute proportion gardée. Association des commissions des accidents du travail du Canada, Programme national de statistiques sur les accidents du travail / maladies (PNSAT) – L’année en un coup d’œil, 2022, consulté le 14 février 2024.
  8. Métiers spécialisés de l’Ontario, Renseignement sur les métiers, consulté le 5 février 2024.
  9. La réglementation au Québec prévoit qu’il n’est pas possible pour un individu d’obtenir une certification par l’expérience, sauf s’il y a un manque de travailleurs d’un métier précis dans une région donnée. On parle ici de pourcentage de travailleurs dans le bassin. Cette voie d’accès reste complexe et nécessite en quelque sorte une pénurie de main-d’œuvre pour que des individus non formés puissent travailler sous la supervision d’un compagnon.
  10. Assemblée nationale du Québec, op. cit., note 1.
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