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Économie sur demande : détruire des emplois n’aidera pas les petits salariés

Point montrant que les gouvernements devraient faciliter l’embauche des travailleurs à la pige et à temps partiel, au lieu de la rendre plus difficile

Le Canada importera-t-il l’expérience californienne de destruction d’emplois, risquant ainsi de mettre le travail à la pige hors de portée des Canadiens qui en ont besoin? Cette publication de l’IEDM montre qu’obliger les entreprises à considérer les travailleurs autonomes comme des salariés pourrait réduire les revenus de ces derniers et priver nombre d’entre eux de ce premier pas sur le marché de l’emploi.

En lien avec cette publication

Cour suprême – Nouvelle menace pour les travailleurs à la pige (La Presse+, 13 février 2020)

Legislation should help rather than hinder the gig economy(The Globe and Mail, 13 février 2020)

Entrevue (en anglais) avec Peter St. Onge(CTV News Montreal at Noon, CFCF-TV, 24 février 2020)

 

Ce Point a été préparé par Peter St. Onge, économiste senior à l’IEDM, et Daniel Dufort, directeur principal des relations externes, communications et développement à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de divers lois et règlements qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

Le Canada importera-t-il l’expérience californienne de destruction d’emplois, risquant ainsi de mettre le travail à la pige hors de portée des Canadiens qui en ont besoin? Un cas à l’étude devant la Cour suprême, Uber c. Heller(1), concerne les détails d’un contrat de travail individuel, mais la question plus large est de savoir si les travailleurs indépendants doivent être légalement considérés comme des employés s’ils veulent pouvoir travailler.

Le travail occasionnel ou à la pige existe depuis très longtemps, mais l’économie sur demande a mis les travailleurs autonomes à l’avant-plan. Ce type de travail est particulièrement important pour tous ceux qui ne peuvent travailler qu’à temps partiel : les parents seuls, les étudiants, les personnes âgées et les travailleurs saisonniers. Ces groupes ont toujours compté sur la possibilité de travailler à des heures flexibles, qu’ils soient serveurs, nounous, livreurs ou traducteurs.

Ce qui a changé, c’est la création spectaculaire de nouveaux emplois à temps partiel grâce à l’internet et à des applications. Cela a permis d’élargir la gamme de services pour lesquels les gens sont prêts à embaucher, en plus de grandement faciliter tant le fait d’œuvrer que d’embaucher pour du travail occasionnel.

L’économie sur demande a créé en moyenne plus de 60 000 emplois au Canada par année entre 2005 et 2016(2). Ce phénomène a été grandement profitable pour les consommateurs, qui peuvent maintenant embaucher plus facilement quelqu’un pour livrer l’épicerie, pelleter l’entrée, promener le chien, tondre la pelouse ou être raccompagné à leur voiture la nuit en toute sécurité. Et, bien sûr, on peut désormais engager un chauffeur qui arrive à l’heure.

Jusqu’à présent, les lois du travail ont favorisé cet état de choses en protégeant les travailleurs occasionnels de la paperasse, nuisible à l’emploi, et les employeurs des risques inhérents à l’embauche d’employés permanents. Malheureusement, les législateurs sont de plus en plus hostiles à cette nouvelle création d’emplois. Le California Assembly Bill 5 (AB 5), qui est entré en vigueur le 1er janvier 2020, a eu pour effet de transformer les travailleurs autonomes en employés. L’objectif était d’améliorer les conditions des travailleurs à la pige. En pratique, cela a signifié la disparition de leurs emplois. Des licenciements massifs de travailleurs autonomes à temps plein ou à temps partiel ont eu lieu dans les médias et l’industrie du cinéma(3).

Des bonnes intentions qui entraînent des effets néfastes

L’expérience californienne illustre pourquoi les gouvernements devraient éviter de s’ingérer dans l’économie sur demande. Malgré les intentions louables, le fait d’obliger les employeurs à offrir des avantages sociaux aux travailleurs contractuels risque d’évincer des petits salariés de leurs emplois. Des études ont aussi montré que même lorsque l’entreprise assume le coût des avantages sociaux, celui-ci se répercute directement sur la rémunération(4). Ainsi, même les travailleurs qui ne perdent pas leur emploi finissent par payer le coût des avantages sociaux via des salaires réduits.

D’un point de vue empirique, les pertes d’emplois liées aux avantages sociaux obligatoires ciblent de manière disproportionnée les travailleurs à faibles revenus. Un phénomène semblable était à l’œuvre en Ontario lorsque 50 000 jeunes travailleurs ont perdu leur emploi suite à une hausse du salaire minimum de 11,49 $ à 14 $ le 1er janvier 2018(5).

Perdre son travail ne nuit pas seulement au travailleur maintenant; cela peut affecter ses perspectives d’emploi. Une étude a trouvé que le simple fait d’occuper un emploi à temps partiel réduit de plus de 80 % les probabilités d’être sans emploi un an plus tard (de 25 % pour les travailleurs sans emploi à seulement 4 % pour les travailleurs à temps partiel). Travailler à temps partiel augmente aussi considérablement les chances d’avoir la situation d’emploi souhaitée un an plus tard, que cet emploi soit à temps plein ou à temps partiel (de 41 % pour les sans-emploi à 69 % pour les travailleurs à temps partiel, voir le Tableau 1)(6). En d’autres mots, une bonne façon d’obtenir l’emploi que vous souhaitez est d’occuper n’importe quel emploi dès maintenant.​

Statistique Canada estime que seulement un travailleur à temps partiel sur quatre (24 %) y est poussé par les conditions économiques. Près de la moitié (48 %) doivent s’occuper d’enfants ou d’autres membres de la famille, souffrent d’une incapacité ou vont à l’école, tandis que 28 % ont choisi volontairement de travailler à temps partiel(7).

La flexibilité est la clé de l’économie collaborative : pour travailler, pour embaucher, pour acheter et pour vendre. Cela vaut autant pour les employeurs que pour les employés, qui peuvent être des étudiants ou des retraités qui préfèrent ne travailler que quelques heures par semaine. Un sondage effectué aux États-Unis en août 2018 a montré que seulement 7 % des travailleurs contractuels américains préféreraient être considérés comme employés à part entière(8).

La réalité canadienne en est une de grande mobilité ascendante. Une étude de 2012 des données du recensement a divisé les Canadiens en cinq catégories selon leur revenu. En dix ans, 83 % des personnes qui étaient au départ, en 1990, dans les 20 % les plus pauvres étaient passées à une catégorie de revenus plus élevés. En 2009, le pourcentage de ceux qui étaient passés à un échelon supérieur s’élevait à 87 %, 40 % ayant même rejoint les deux premiers quintiles. Cependant, les emplois temporaires ou au bas de l’échelle sont souvent une condition préalable à la pérennité de ce phénomène(9).

Faciliter les choses

Trop souvent, les législateurs proposent des réformes qui peuvent sembler opportunes, mais qui aggravent le problème. Au lieu de rendre l’embauche de pigistes et des travailleurs à temps partiel plus difficile, les gouvernements devraient la faciliter. La liberté de contracter et de travailler à sa guise n’est pas seulement un droit fondamental, c’est aussi l’un des moyens les plus efficaces d’aider les travailleurs marginaux qui ont besoin de ce premier échelon.

Références

  1. Heller v. Uber Technologies Inc., 2019 ONCA 1, porté en appel devant la Cour suprême du Canada. Voir The Canadian Press, « Supreme Court set to hear Uber case with implications for gig economy », CBC News, 6 novembre 2019.
  2. Statistique Canada, Étude : Utiliser des données administratives pour mesurer l’économie à la demande du Canada, 16 décembre 2019.
  3. Allana Akhtar, « ”It feels cold and heartless”: Hundreds of California freelancers have been fired before the holidays over a state law meant to help Uber and Lyft drivers », Business Insider, 18 décembre 2019; Ari Levy et Alex Sherman, « Vox Media to cut hundreds of freelance jobs ahead of changes in California gig economy laws », CNBC.com, 16 décembre 2019.
  4. Michael F. Cannon, « Workers, Not Employers, Bear the (Full) Cost of Health Benefits », Cato Institute, 29 septembre 2019.
  5. Le calcul de la variation est basé sur des données désaisonnalisées. Statistique Canada, Tableau 14-10-0287-01 : Caractéristiques de la population active, données mensuelles désaisonnalisées et la tendance- cycle, 5 derniers mois, décembre 2017 à octobre 2018. Voir aussi Alexandre Moreau, « Salaire minimum : l’Ontario a bien fait d’annuler la hausse à 15 $ », Le Point, IEDM, 20 novembre 2018.
  6. OCDE, Perspectives de l’emploi de l’OCDE 1990, ch. 7, juin 1990.
  7. Martha Peterson, Regard sur les statistiques du travail − Qui travaille à temps partiel et pourquoi? Statistique Canada, 6 novembre 2018.
  8. Alana Samuels, « What Happens When Gig-Economy Workers Become Employees », The Atlantic, 14 septembre 2018.
  9. Charles Lammam, Towards a Better Understanding of Income Inequality in Canada, Institut Fraser, 30 novembre 2017, p. 131.
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