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Des hausses de productivité pour répondre à la pénurie de main-d’oeuvre

Note économique proposant des moyens efficaces pour contourner le problème de la rareté de la main-d’œuvre et assurer la prospérité économique

Afin d’amoindrir les besoins en main-d’œuvre, le gouvernement du Québec devrait baisser les impôts des entreprises, ce qui stimulerait les investissements en productivité, selon cette étude publiée par l’Institut économique de Montréal.

En lien avec cette publication

Pénurie de main-d’œuvre: augmenter la productivité comme piste de solution (Le Journal de Québec, 31 janvier 2023)

To alleviate Quebec’s labour shortage, boost productivity (Montreal Gazette, 1er février 2023)

MEI economist says lower taxes would raise productivity and aid labour shortage (The Suburban, 4 février 2023)

 

Cette Note économique a été préparée par Nathalie Elgrably-Lévy, économiste senior à l’IEDM, en collaboration avec Renaud Brossard, directeur principal, Communications à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.

La pénurie de main-d’œuvre figure fort probablement parmi les plus importants défis auxquels les entreprises québécoises sont actuellement confrontées. Tous les secteurs d’activité doivent à présent composer avec la rareté de la main-d’œuvre, et les employeurs doivent redoubler d’efforts et d’imagination pour attirer des employés et les retenir. Cette Note économique propose au lecteur de transcender les solutions habituelles qui gravitent autour du recrutement et d’envisager des hausses de productivité et l’allègement du fardeau fiscal comme moyens efficaces pour contourner le problème de la pénurie de travailleurs et, ultimement, assurer la prospérité économique.

Un taux de postes vacants qui a doublé depuis la pandémie

La rareté de la main-d’œuvre n’est certes pas un phénomène récent, puisque le taux de postes vacants a pratiquement doublé au Québec entre 2015 et 2019, augmentant de 1,8 à 3,45 (voir la Figure 1). Toutefois, il a pris des proportions inattendues et problématiques au lendemain de la pandémie.

Les données les plus récentes de Statistique Canada indiquent qu’il y avait au troisième trimestre de 2022 près d’un million de postes vacants au Canada, dont 246 230 au Québec. Cela correspond à un taux de postes vacants de 6,41 %, soit le double de celui que la province enregistrait au premier trimestre de 2019. Le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale avait d’ailleurs estimé que la province aurait à pourvoir 1,4 million de postes de 2017 à 2026(1). De plus, en raison du vieillissement démographique qui se poursuit, il est légitime de penser que la main-d’œuvre continuera de se raréfier au cours de la prochaine décennie, voire au-delà.

La rareté de la main-d’œuvre occasionne des manques à gagner considérables pour les entreprises et, par ricochet, pour l’ensemble de la société. Entre autres, en 2021-2022, les PME québécoises ont perdu des contrats de vente pour environ 11 milliards de dollars, faute de personnel(2). Le secteur manufacturier indique également avoir été contraint de renoncer à près de 18 milliards de dollars de revenus au cours des deux dernières années(3), pour les mêmes raisons. Or, sacrifier des occasions d’affaires, c’est ralentir la croissance économique et donc limiter les hausses potentielles du niveau de vie de tous les Québécois.

La rareté de la main-d’œuvre occasionne des manques à gagner considérables pour les entreprises et, par ricochet, pour l’ensemble de la société.

Les solutions proposées sont nombreuses : augmenter les seuils d’immigration, faciliter l’embauche de travailleurs étrangers temporaires, favoriser le retour des retraités sur le marché du travail, hausser l’âge de la retraite, ajouter des places en garderie, offrir des subventions aux entreprises pour les aider à bonifier les salaires, etc.

Trouver des moyens de pourvoir les postes a d’ailleurs été au cœur de la dernière campagne électorale provinciale. Par exemple, afin d’inciter les retraités à retourner sur le marché du travail, le Parti libéral du Québec proposait d’augmenter l’exemption d’impôt de 15 000 $ à 30 000 $ pour les travailleurs âgés de plus de 65 ans(4). De son côté, le Parti québécois promettait des rabais d’imposition aux 60 ans et plus et s’engageait à permettre l’arrêt des cotisations à la Régie des rentes du Québec pour les 65 ans et plus(5).

Les solutions mentionnées ci-dessus peuvent présenter un certain intérêt, car si elles sont appliquées avec justesse et précision, elles peuvent éventuellement contribuer à pourvoir des emplois et à favoriser la production. En revanche, l’histoire a montré que l’enrichissement des sociétés ne dépend pas uniquement de l’élargissement de leur bassin de travailleurs. Si c’était le cas, les pays les plus peuplés devraient également être les plus prospères. Or, ce n’est pas ce que l’on observe. Pour bénéficier de toutes les occasions de développement économique, il faut donc cesser de miser uniquement sur le recrutement. Il existe d’autres moyens pour pallier la pénurie de main-d’œuvre et assurer la prospérité économique.

Les déterminants de la croissance économique

Pour privilégier les politiques qui favorisent la croissance du niveau de vie, il faut d’abord identifier les déterminants de celle-ci. L’équation ci-dessous présente les trois variables qui déterminent le niveau de richesse par personne :

Ainsi, le niveau de vie (PIB/population) dépend de la productivité des travailleurs (PIB/heures travaillées), de l’intensité au travail (heures travaillées/nombre d’emplois) et du taux d’emploi (proportion de la population qui occupe un emploi). En théorie, toute hausse de l’une de ces trois variables, toutes choses étant égales par ailleurs, enrichit la société. En pratique, les leviers de croissance ne sont pas tous équivalents.

Par exemple, l’intensité au travail ne cesse de diminuer depuis plus d’un siècle et il est peu envisageable qu’elle augmente de manière considérable dans l’avenir. De plus, il s’agit d’une variable dite « bornée », car même si elle augmente, elle atteindra une limite supérieure difficile, sinon carrément impossible à repousser.

Quant au taux d’emploi, bien qu’il ait augmenté au cours des cinquante dernières années, il s’agit également d’une variable « bornée », car il restera toujours une fraction de la population non disponible pour occuper un emploi.

Pour assurer une croissance économique durable et stable, et donc relativement insensible à la pénurie de main-d’œuvre, il faut miser sur une variable non bornée et dont l’efficacité est vérifiée : le ratio du PIB par heures travaillées, soit la productivité des travailleurs. Il s’agit d’une variable importante, car elle mesure l’efficacité avec laquelle le travailleur utilise son temps pour produire des biens et services. On s’en doute, un travailleur qui produit trois unités à l’heure permet à la société d’atteindre un meilleur niveau de vie que deux travailleurs qui produisent chacun une unité à l’heure.

L’intérêt que présente la productivité repose donc sur un principe simple : peu de travailleurs qui produisent beaucoup valent mieux que beaucoup de travailleurs qui produisent relativement moins. C’est la prévalence de l’efficacité des travailleurs sur le nombre.

Si les travailleurs se font rares, faisons en sorte d’augmenter la productivité des travailleurs disponibles.

De plus, contrairement aux autres leviers de croissance, la productivité ne se laisse imposer aucune limite supérieure infranchissable. Si certaines conditions sont remplies, elle peut augmenter indéfiniment, comme en témoigne son évolution depuis la Révolution industrielle.

Ainsi, les hausses de productivité étant reconnues comme le principal vecteur de création de richesse à long terme, elles devraient être envisagées comme une solution puissante pour pallier l’actuel déficit de travailleurs. Autrement dit, si les travailleurs se font rares et qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre, faisons en sorte d’augmenter la productivité des travailleurs disponibles.

Une productivité à la traîne au Québec

Au chapitre de la productivité, le Québec fait piètre figure. Depuis 1997, il accuse un retard substantiel par rapport à l’Ontario, à l’Alberta et à la moyenne canadienne (voir la Figure 2). Notons que l’écart avec l’Alberta s’est très modestement rétréci, tandis qu’il s’est creusé avec l’Ontario et l’ensemble du Canada. Le lecteur notera la baisse notable enregistrée en 2020 en raison de la pandémie et des mesures de confinement.

Aujourd’hui, la productivité du Québec atteint 88,6 % de celle de l’ensemble du Canada, 91,8 % de celle de l’Ontario et à peine 67,2 % de celle de l’Alberta. Si le taux de croissance annuel moyen actuel de la productivité canadienne (soit 1,19 %) devait se maintenir, il faudrait que la productivité du Québec augmente à un rythme annuel moyen de 2,42 %, soit plus du double de son niveau actuel de 1,1 %, pour rattraper le niveau national dans une décennie.

Soulignons que ce retard de productivité n’est pas propre au dernier quart de siècle. Au contraire, le Québec tire de l’arrière depuis le début de la Confédération canadienne(6).

Selon une étude(7), l’écart de productivité entre le Québec et la moyenne de 19 pays de l’OCDE(8) s’est considérablement accru depuis 1981. Les chercheurs précisent que « la totalité de l’écart de niveau de vie entre le Québec et la moyenne OCDE19 est désormais expliquée par la faiblesse relative de la productivité de la province. […] La productivité sera alors le seul levier à la disposition de la province pour appuyer la croissance de son économie ».

Combler le déficit de productivité n’est pas un défi impossible à relever. En revanche, il exige des politiques publiques qui offrent les incitations appropriées.

La fiscalité à la rescousse de la pénurie de main-d’œuvre

Pendant longtemps, les administrations publiques, les décideurs ainsi que les entreprises évoluaient dans un contexte de chômage élevé. Des mesures et des programmes axés sur la création d’emplois étaient alors proposés. Toutefois, la rareté actuelle de la main-d’œuvre exige que l’on change de paradigme. Pour assurer les activités de production dans un contexte de manque de travailleurs, il devient impératif d’orienter les politiques publiques vers les gains de productivité plutôt que vers le recrutement.

Les gains de productivité étant le fruit de la modernisation des techniques de production, ils exigent des efforts sur deux plans. Ils requièrent évidemment des investissements soutenus en technologies de pointe, en machinerie, en équipement de fabrication et de transformation, en infrastructures et en propriété intellectuelle. Mais ils reposent également sur l’innovation des procédés et des produits. Or, de telles initiatives étant évidemment accompagnées d’une facture, la question du financement devient matière à considération.

Juguler la pénurie de main-d’œuvre passe donc par la création d’un terrain propice à l’investissement et aux activités de recherche et développement. C’est dans cette optique qu’il importe que le gouvernement réévalue son système d’aide de manière à l’harmoniser avec la réalité des besoins des entreprises et de la conjoncture économique. Pour augmenter la marge de manœuvre financière des entreprises, il faut envisager un allègement du fardeau fiscal, notamment par une réduction de l’impôt des sociétés.

Il faut envisager un allègement du fardeau fiscal, notamment par une réduction de l’impôt des sociétés.

La recherche empirique a établi l’existence d’une relation inverse entre la fiscalité des entreprises et le niveau d’investissement et d’entrepreneuriat. En l’occurrence, une étude portant sur 85 pays, y compris des pays en voie de développement, a noté la présence d’un « effet négatif constant et important des impôts sur les sociétés à la fois sur l’investissement et sur l’entrepreneuriat(9) ». Une étude datant de 2019 a également confirmé l’incidence dépressive de l’impôt des sociétés sur l’investissement et la productivité et, ultimement, sur la croissance économique(10). Une autre étude, publiée en 2022, conclut qu’une baisse de l’impôt sur les sociétés entraîne une augmentation soutenue du PIB et de la productivité, avec un effet maximal au bout de cinq à huit ans(11).

Par souci d’intégrité intellectuelle, soulignons également l’existence d’études ne corroborant pas l’incidence positive d’une réduction de l’impôt des sociétés. En l’occurrence, une étude de 2021 a conclu que d’apporter des changements à l’impôt sur les sociétés n’a pas d’effet statistiquement significatif sur la croissance économique. De tels résultats demeurent toutefois marginaux dans la littérature(12).

C’est dans cette logique que s’inscrit un effort d’allègement du fardeau fiscal, car les fonds non ponctionnés par l’État offriraient aux entreprises la latitude nécessaire pour l’acquisition de capital productif. La hausse de la productivité qui en découlerait permettrait ensuite aux entreprises d’offrir aux travailleurs des salaires supérieurs ou de meilleures conditions de travail sans dépendre des subsides de l’État. Notons également que cet allègement du fardeau fiscal procurera un bénéfice collatéral, soit celui de permettre aux entreprises d’améliorer leur compétitivité sur les marchés extérieurs, ce qui contribuera d’autant plus à la croissance du niveau de vie.

Toujours par souci de déjouer les limites imposées à la pénurie de main-d’œuvre, l’État devrait étudier les options qui permettent d’augmenter l’efficacité des dépenses publiques, notamment en ciblant les activités porteuses de croissance plutôt que l’embauche de travailleurs. Alors que le gouvernement du Québec déclare vouloir inciter les entreprises à privilégier les gains de productivité, une étude a montré que la politique fiscale « est demeurée résolument axée vers l’emploi alors que la pression sur le marché du travail s’accentuait(13) ». Dans le contexte actuel, il devient donc pertinent de transformer les crédits d’impôt sur la base de la masse salariale en crédits d’impôt qui favorisent l’investissement et l’innovation.

Conclusion

Le marché de la main-d’œuvre subit une pression considérable. Outre les mesures qui favorisent l’élargissement du bassin de travailleurs, il importe plus que jamais de miser sur les gains de productivité. Cette avenue est d’autant plus pertinente que le Québec accuse un retard de productivité qui plombe la croissance du niveau de vie de ses citoyens. Comme ces gains de productivité passent nécessairement par l’investissement et l’innovation, c’est dans l’optique de favoriser ces variables que les politiques publiques doivent être conçues et déployées. Or, les politiques en vigueur datent d’une période où le chômage dominait la conjoncture. La donne ayant complètement changé, une refonte des politiques publiques s’impose en faveur d’un allègement du fardeau fiscal des entreprises, telle la baisse de l’impôt des sociétés. Et le plus tôt sera le mieux!

Références

  1. Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, « En action pour la main-d’œuvre », Gouvernement du Québec, 2019.
  2. Laure-Anna Bomal, « Impact financier des pénuries de main- d’œuvre au Québec : estimation des pertes de revenus subies par les PME dans la dernière année », Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, août 2022, p. 3.
  3. Véronique Proulx, « Les manufacturiers sous pression », Manufacturiers et Exportateurs du Québec, 29 juin 2022.
  4. Nicolas Lachance, « Pénurie de main-d’œuvre : le PLQ promet 500 M$ pour convaincre les personnes plus âgées à retourner sur le marché du travail », Le Journal de Québec, 3 septembre 2022.
  5. Fanny Lévesque, « Le PQ veut ramener 150 000 travailleurs expérimentés à l’emploi », La Presse, 7 septembre 2022.
  6. Vincent Geloso, Une perspective historique sur la productivité et le niveau de vie des Québécois : de 1870 à nos jours, Centre sur la productivité et la prospérité, HEC Montréal, septembre 2013, p. 3.
  7. Jonathan Deslauriers, Robert Gagné et Jonathan Paré, Productivité et prospérité au Québec : bilan 2021, Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, mars 2022, p. 13.
  8. Vu la performance exceptionnelle de l’économie irlandaise, les chercheurs du Centre sur la productivité et la prospérité ont choisi d’exclure l’Irlande des 20 pays de l’OCDE qu’ils évaluaient auparavant.
  9. Traduction de l’auteure. Simeon Djankov et al., « The Effect of Corporate Taxes on Investment and Entrepreneurship », American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 2, no 3, juillet 2010, p. 33.
  10. Ergete Ferede et Bev Dahlby, The Effect of Corporate Income Tax on the Economic Growth Rates of the Canadian Provinces, The School of Public Policy, University of Calgary, septembre 2019, p. 4.
  11. James Cloyne et al., Short Term Tax Cuts, Long Term Stimulus, NBER, Working Paper 30246, juillet 2022. p. 1.
  12. Sebastian Gechert et Philipp Heimberger, Do Corporate Tax Cuts Boost Economic Growth?, The Vienna Institute for International Economic Studies, Working Paper 201, juin 2021, p. 30.
  13. Jonathan Deslauriers, Robert Gagné et Jonathan Paré, op. cit., note 8, p. 5.
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