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Améliorer l’abordabilité des logements à Montréal en réglementant moins la construction

Note économique montrant comment la Ville de Montréal aggrave le problème d’inabordabilité des logements lorsqu’elle bloque ou retarde les projets de construction ou adopte des règlements coûteux comme le « 20‑20‑20 »

Les politiques d’habitation de la Ville de Montréal font croître les coûts de construction et les coûts du logement sur son territoire, dénonce cette étude de l’IEDM. En particulier, l’étude cible le règlement « 20-20-20 » de la Ville mandatant le type de logement à construire ainsi que certaines contributions financières à l’administration municipale.

En lien avec cette publication

Coût des logements – La Ville de Montréal doit se regarder dans le miroir (La Presse, 24 février 2023)

City of Montreal partly to blame for lack of affordable housing (Montreal Gazette, 24 février 2023)

Montreal regs drive up housing, construction costs: MEI (The Suburban, 1er mars 2023)

Entrevue (en anglais) avec Célia Pinto Moreira (CTV News Montreal at Noon, CFCF-TV, 7 mars 2023)

 

Cette Note économique a été préparée par Célia Pinto Moreira, analyste en politiques publiques à l’IEDM, en collaboration avec Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de diverses lois et dispositions réglementaires qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

La question de l’abordabilité du logement est de plus en plus présente dans le débat public, tant à l’échelle nationale que locale. Les loyers ont augmenté en moyenne de 10,9 % en 2022 à l’échelle du pays(1), et la situation n’est pas bien différente à Montréal. Même en 2016, il était estimé que plus de 260 000 ménages locataires dans la région métropolitaine consacraient plus de 30 % de leur revenu au logement(2).

Il n’y a pas de doute que nous faisons face à une crise du logement. Il faut néanmoins se poser les bonnes questions et bien déterminer la cause du problème pour savoir comment y remédier.

Le cas de Montréal est pertinent, car la Ville joue un rôle direct dans la crise de l’inabordabilité en faisant gonfler les coûts de construction par une multitude de réglementations et de décisions arbitraires, ce qui a pour conséquence de faire bondir le prix de vente des logements – ou leur loyer. Les Montréalais sont malheureusement les premières victimes des entraves que la Ville met à la construction et à l’offre de logements.

Des logements à des prix jugés trop élevés

Lorsqu’on constate que les prix des logements sont trop élevés, il est normal de considérer le rôle de l’offre et de la demande dans le marché. Très souvent, on entendra parler de pénurie de logements(3), soit une situation où la demande excède l’offre.

Or, pour savoir s’il y a une pénurie de logements, on peut généralement se pencher sur le taux d’inoccupation. Cet indicateur « correspond au nombre de logements inoccupés par rapport à l’ensemble du parc locatif dans un secteur résidentiel(4) ». Ainsi, certains considèrent que le marché est déséquilibré lorsque le taux d’inoccupation est en dessous de 3 %(5).

Même en 2016 – quand le taux d’inoccupation était presque 4 % – plus de 260 000 ménages vivaient dans des logements inabordables.

Montréal a connu une telle situation au début des années 2000, avec un taux record de 0,6 % en 2002 (voir la Figure 1). La situation est différente aujourd’hui : on observe récemment une augmentation graduelle. Si on regarde le Grand Montréal, le taux d’inoccupation était estimé à 3 % en 2021, ce qui équivalait à plus de 26 200 logements vacants(6). Ce taux atteignait même 6,3 % dans le centre-ville(7). Cependant, le taux d’inoccupation pour la région métropolitaine a diminué pour atteindre 2 % en 2022 selon les dernières données dont dispose la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL)(8), et elle considère que l’offre est insuffisante à Montréal(9).

Ainsi, les prix demeurent élevés, ce qui aggrave le problème d’abordabilité. La SCHL considère à ce sujet qu’un logement est inabordable lorsqu’il coûte plus de 30 % du revenu d’un ménage(10). Selon ce critère, même en 2016 – quand le taux d’inoccupation était presque 4 % – plus de 260 000 ménages vivaient dans des logements inabordables dans le Grand Montréal(11).

Plusieurs autres facteurs expliquent les prix considérés comme élevés par les autorités, notamment l’inflation des coûts de construction et de maintien des logements observée ces dernières années(12). Rétablir l’abordabilité doit passer par une baisse des coûts de construction, ce qui améliorerait la rentabilité des projets immobiliers et rendrait ensuite possible une baisse des prix. Lorsque les municipalités mettent des bâtons dans les roues des promoteurs en augmentant les coûts réglementaires, il est difficile d’améliorer l’abordabilité.

Pour comprendre les prix actuels du logement, il faut prendre en considération le rôle de la Ville de Montréal, dont les nombreuses réglementations (plans d’urbanisme) et les décisions arbitraires font gonfler les coûts de construction. Ces coûts se répercutent inévitablement sur les prix de vente des logements. Ainsi, la véritable pénurie de logements que connaît Montréal en est une de logements à des prix raisonnables.

Des coûts réglementaires derrière les prix élevés

Le Règlement pour une métropole mixte, appelé communément le « 20‑20‑20 »(13) (20 % de logements sociaux, 20 % de logements abordables et 20 % de logements familiaux), est un plan d’urbanisme de la Ville de Montréal entré en vigueur en 2021(14). L’objectif annoncé par l’administration Plante est d’« assurer une meilleure offre de logements abordables » et de garantir « la mixité » dans la ville(15). Mais qu’en est-il en réalité?

Le Règlement s’applique à toute personne qui réalise un projet de construction de plus de 450 m2, soit l’équivalent de cinq logements(16). Ainsi, le constructeur doit conclure une entente avec la Ville et est obligé d’inclure trois types de logements à sa construction : i) des logements sociaux, ii) des logements abordables, et iii) des logements familiaux(17).

  • i) Un logement est dit social lorsque sa construction est subventionnée par un programme de logement social de la Ville ou du gouvernement du Québec. Le promoteur peut contribuer de trois manières au volet social :
    • en ajoutant directement de tels logements à son projet de construction;
    • en cédant son terrain ou son bâtiment en échange d’une contribution financière de la part de la Ville;
    • en contribuant directement financièrement par une somme calculée par la Ville.
  • ii) Pour le volet du logement abordable, la Ville détermine des « zones de logement abordable » dans lesquelles 10 % ou 20 % de tels logements, en fonction de la zone, doivent être inclus dans tout projet de construction. S’il est en dehors d’une zone de logement abordable et qu’il s’agit d’un projet de plus de 4500 m2, une contribution financière est calculée. Un logement est considéré comme abordable s’il est vendu ou loué à 10 % en dessous de sa valeur sur le marché. Comme pour le logement social, le promoteur peut plutôt choisir de donner une contribution financière.
  • iii) Quant aux logements familiaux, ceux-ci sont définis comme des logements d’au moins cinq pièces et dont la superficie est suffisante pour accueillir une famille – entre 86 m2 et 96 m2 en fonction de l’endroit où il est construit. Tous les projets de 50 logements et plus sont assujettis à cette exigence. Contrairement aux deux autres types de logements, le promoteur ne peut donner une contribution financière et est obligé de les construire.

Ces exigences posent de sérieux problèmes aux promoteurs car, souvent, elles ne répondent pas aux attentes du marché local de construction. Par exemple, inclure des logements familiaux dans un quartier étudiant a peu de chances de répondre à la demande.

Prenons un exemple concret pour calculer le surplus de coûts occasionné par le règlement « 20‑20‑20 », comme un projet de 14 000 m2 au centre-ville de Montréal. Cela correspond par exemple au projet Mansfield(18), actuellement en construction et d’une superficie de 13 979 m2, avec 225 logements au total. Il s’agit d’un exemple pertinent quand on considère que Montréal voit de plus en plus des projets de construction de cette envergure(19).

Il est clair que le règlement « 20 20 20 » engendre des coûts directs pour les promoteurs et que ces coûts se répercutent sur les prix des logements.

Supposons que le promoteur refuse de construire des logements sociaux et abordables et préfère donner une contribution financière. Trois scénarios en découlent(20) (voir la Figure 2) :

  1. Si le projet de construction est en dehors d’une zone de logement abordable (ce qui serait le cas pour l’emplacement du centre-ville), le promoteur doit verser à la Ville 1 185 176 $ pour le volet social et 369 740 $ pour le volet abordable. De plus, le projet doit inclure 11 logements familiaux. Cela fait un total de 1 554 916 $ à verser à la Ville.
  2. Si le projet est en zone abordable 1, le montant s’élève à 1 777 764 $.
  3. S’il est en zone abordable 2, le montant s’élève à 2 370 352 $. (Les deux zones sont établies pour s’adapter au plan d’urbanisme du quartier en question(21).)

Pour 225 logements, cela veut dire qu’un montant additionnel de 6 911 $ (scénario 1), de 7 901 $ (scénario 2) ou de 10 535 $ (scénario 3) se répercutera sur le prix de vente de chaque logement, ou de son loyer. C’est une somme loin d’être négligeable pour un ménage moyen. Si l’on calcule qu’un tel projet représente des coûts de construction moyens d’environ 35 millions à 45 millions de dollars(22), des frais de 2 à 3 millions de dollars représentent une part appréciable du coût total, sans compter les autres réglementations ou encore les coûts associés aux retards potentiels dus à des décisions de la Ville de Montréal.

Il est donc clair que le règlement « 20‑20‑20 » engendre des coûts directs pour les promoteurs et que ces coûts se répercutent en fin de compte sur les prix des logements. Ce règlement fait en sorte que seule une minorité de Montréalais ont accès à des logements sociaux ou abordables, si jamais ils sont effectivement construits, tandis que pour la majorité des Montréalais, les nouveaux logements construits sont plus dispendieux. Un cercle vicieux est ainsi engendré où les nouveaux logements ne sont pas abordables si on les compare au reste du parc locatif(23) et où leur prix ne peut baisser puisque l’offre est limitée.

Des décisions arbitraires et une insécurité juridique accrue

Plusieurs autres exemples bien réels montrent comment le règlement « 20‑20‑20 » empiète sur l’offre de logements.

Le projet du Square Children’s sur le site de l’ancien Hôpital de Montréal pour enfants est l’un de ceux-ci(24). Le projet devait avoir 20 étages et comportait une entente de financement avec la Ville pour les logements sociaux à construire. Or, le promoteur et la Ville ne sont pas parvenus à s’entendre sur les coûts de construction des logements sociaux(25). La Ville est donc revenue sur son entente et a décidé de réduire à 4 étages l’une des tours du projet, allant à l’encontre de la recommandation de l’Office de consultation publique de Montréal(26). En plus d’occasionner plus de coûts, la Ville va ainsi jusqu’à réduire le nombre de logements.

Le projet de construction Proment à l’Île-des-Sœurs(27) est un autre exemple du caractère arbitraire des décisions de la Ville de Montréal qui entravent le marché de la construction. À la suite d’une modification au zonage, la Ville a fait passer la tour de 37 étages à 26, et ce, même si les habitants de l’île étaient d’accord avec la taille originale du projet. La Ville a aussi exigé 2 millions de dollars au promoteur pour financer des logements sociaux, pour un total de 6 millions de dollars en frais de développement, incluant le financement du REM dont une nouvelle station doit ouvrir ses portes dans le quartier en 2024.

Conclusion

Plusieurs facteurs économiques jouent un rôle dans les prix élevés du logement à Montréal comme ailleurs au Canada : on peut penser aux taux d’intérêt longtemps restés bas, ce qui a stimulé la demande, ou encore à l’inflation qui fait augmenter les coûts de construction pour les développeurs, ou de maintien pour les propriétaires.

La Ville aggrave le problème d’inabordabilité des logements lorsqu’elle bloque ou retarde les projets de construction, ou leur rajoute des coûts réglementaires.

Néanmoins, la Ville aggrave le problème d’inabordabilité des logements lorsqu’elle bloque ou retarde les projets de construction, ou leur rajoute des coûts réglementaires. Le règlement « 20‑20‑20 » appliqué à tout nouveau projet de construction à Montréal est un bon exemple : quand les surcoûts réglementaires s’élèvent à des millions de dollars, il n’est pas étonnant que nous fassions face à un problème d’inabordabilité.

Si elle désire véritablement faire baisser les prix des logements, la Ville doit alléger le fardeau réglementaire, car pour l’instant, on ne peut pas dire qu’elle a atteint son objectif d’offrir un logement abordable et convenable à tous et toutes.

Références

  1. Rentals.ca, January 2023 Rent Report, consulté le 31 janvier 2023.
  2. Communauté métropolitaine de Montréal, Portrait de l’habitation dans le Grand Montréal, Cahiers Métropolitains, no 10, mai 2022, p. 94.
  3. Agence QMI, « Pénurie de logement : Montréal représente plus de la moitié du déficit », Le Journal de Montréal, 9 septembre 2022; Zacharie Goudreault, « La pénurie de logements sera encore présente en 2022 », Le Devoir, 8 janvier 2022; La Presse canadienne, « Il manque 100 000 unités d’habitation à l’échelle du Québec, dit l’APCHQ », Radio-Canada, 20 juin 2022.
  4. Philippe Hurteau, « Des loyers toujours en hausse », IRIS, juin 2017, p. 1.
  5. Idem.
  6. Calculs de l’auteure. Ville de Montréal, Profil des ménages et des logements, 2020, p. 31; Statistique Canada, Tableau 34-10- 0130-01 : Société canadienne d’hypothèques et de logement, taux d’inoccupation, logements en bandes et immeubles d’appartements des trois logements et plus, logements d’initiative privée dans les régions métropolitaines du recensement, moyennes pondérées, 21 février 2022.
  7. SCHL, « Enquête sur les logements locatifs, centres urbains : taux d’inoccupation », 16 mars 2022.
  8. SCHL, Rapport sur le marché locatif, janvier 2023, p. 145.
  9. Ibid., p. 140.
  10. SCHL, Rapport sur le marché locatif : Canada et régions métropolitaines, février 2022, p. 10.
  11. Utilisant les données du Recensement de 2016. Communauté métropolitaine de Montréal, op. cit., note 2.
  12. Bob Dugan, « L’avenir de l’économie et du logement », SCHL, 11 juillet 2022.
  13. Dominique Cambron-Goulet, « Règlement “20-20-20” à Montréal : les promoteurs ne veulent pas s’engager à construire des logements abordables », Le Journal de Montréal, 31 janvier 2023.
  14. Ville de Montréal, Règlement pour une métropole mixte, novembre 2020, p. 27.
  15. Ibid., p. 2.
  16. Ibid., p. 15.
  17. Ibid., p. 16, 21 et 26.
  18. Calculs de l’auteure. Mansfieldcondos.com, Plans, consulté le 31 janvier 2023.
  19. Communauté métropolitaine de Montréal, op. cit., note 2, p. 64.
  20. Ville de Montréal, Outil de calcul : contribution pour logements sociaux, abordables et familiaux, mis à jour le 24 janvier 2023.
  21. Ville de Montréal, Métropole mixte : les zones de logement abordable, mis à jour le 4 novembre 2022.
  22. Calculs de l’auteure. Altus Group, « Canadian Cost Guide », 2023, p. 4.
  23. Communauté métropolitaine de Montréal, op. cit., note 2, p. 92.
  24. Zacharie Goudreault, « Une enquête publique réclamée pour le projet immobilier Square Children’s », Le Devoir, 2 juin 2022.
  25. André Dubuc, « Montréal fait fi du rapport de l’Office de consultation publique », La Presse, 21 octobre 2022.
  26. André Dubuc, « L’Office de consultation publique rabroue Montréal », La Presse, 1er septembre 2022.
  27. André Dubuc, « Proment commence la construction d’une tour à L’Île-des-Sœurs », La Presse, 23 novembre 2022.
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