La taxe Chirac ou la dérive de financements opaques
La « taxe Chirac » sur les billets d'avion sera augmentée de 12,7 % en 2014. L'an dernier, 185 millions d'euros ont été prélevés dans les portefeuilles des voyageurs français. La Corée du Sud, le Chili et quelques pays africains appliquent aussi une taxe similaire. L'Allemagne taxe plutôt les émissions de carbone. Il s'agit là d'exemples de ce qu'on nomme poliment des financements innovants pour le développement, ou FID.
Un ensemble complexe de dépenses et organisations disparates
Ces taxes financent un ensemble complexe de dépenses et d'organisations disparates, notamment UNITAID, une organisation internationale présidée par Philippe Douste-Blazy. Ce dernier défendait encore jeudi dans un quotidien l'idée de taxer davantage les Français par ces outils obscurs, alors même qu'un Cahier de recherche de l'Institut économique de Montréal établissait que les taxes FID combinent presque tous les défauts qu'une taxe peut comporter, tant sur le plan politique qu'économique.
Il ne faut pas s'étonner que les bureaucrates internationaux cherchent constamment de nouvelles sources de financement. Toutefois, l'utilisation de ces nouvelles ressources ne s'avère pas toujours optimale. Ainsi, l'Alliance GAVI pour les vaccins et l'immunisation, financée par des taxes FID, a plus que doublé en quatre ans son nombre d'employés, dont la rémunération moyenne atteint 199 000 dollars par an (environ 144 000 euros).
Des taxes compliquées et cachées
Ces taxes FID, actuelles et futures, sont inquiétantes parce qu'elles sont cachées et compliquées. Il n'y a aucune relation entre le service que le contribuable reçoit (transport aérien, dans le cas de la taxe Chirac) et ce que la taxe est censée financer (des programmes de santé dans des pays en développement), rendant tout le processus aussi obscur qu'il puisse l'être. Les contribuables ignorent qu'ils les payent et savent encore moins ce que ces taxes financent.
Le gouvernement français n'a pas accès aux audits internes
Même les gouvernements qui les adoptent n'en sont pas certains. Par exemple, l'OMS et l'UNICEF, qui bénéficient de l'argent provenant de la taxe française sur le billet d'avion, ont refusé aux vérificateurs du gouvernement français l'accès à leurs audits internes. Une telle opacité ne présage rien de bon pour les prochaines taxes qui seraient levées.
De nombreuses conférences aux coûts non identifiés
Les mêmes vérificateurs ont noté que les bureaux que GAVI occupe à Genève et à Washington ont « une apparence confortable en regard de celle d'administrations publiques des pays donateurs, sans évoquer celles des pays bénéficiaires ». Le rapport d'audit mentionne aussi que de grandes conférences ont été organisées par UNITAID à Genève, Boston, Dakar et Nairobi, en précisant que « leur coût et celui des très nombreuses réunions et conférences qu'il organise – ou auxquelles il est représenté – n'est pas identifié ».
Des sommets pour préparer des… sommets
Voilà qui fait étrangement écho à la critique formulée il y a dix ans par William Easterly, ancien économiste de la Banque mondiale, qui déclarait que « les agences de l'ONU qui s'occupent de développement n'ont pas exactement un dossier impeccable; on dirait qu'elles consacrent la plus grande partie de leurs énergies à de gros sommets qui ne donnent pas grand-chose si ce n'est comme préparation à d'autres sommets ». Et M. Douste-Blazy envisage sérieusement de demander aux Français davantage de revenus?
L'inefficacité de la taxe Chirac
Si on ne se surprend pas que le président d'UNITAID souhaite plus de ressources pour nourrir la bureaucratie qu'il dirige, on reste pantois lorsqu'il affirme que ces revenus sont levés « de manière totalement indolore ». Si le patient ne se plaint d'aucune douleur après la première saignée, pourquoi ne pas continuer après tout?
Or, si l'on analyse la taxe Chirac selon les critères d'une « bonne » taxe développés par l'économiste Joseph Stiglitz, lauréat du Prix Nobel d'économie, on doit conclure qu'elle souffre d'une efficacité économique déficiente, de coûts administratifs non négligeables, d'une faible flexibilité et d'une responsabilité politique floue.
Bono est d'accord: mieux vaut favoriser l'entrepreneuriat local
Les taxes FID sont une façon inefficace de venir en aide aux pays en développement car les bénéfices modestes qu'elles génèrent sont moindre que leurs coûts économiques en France et ailleurs. Les débats entre économistes sur l'aide au développement soulèvent de plus en plus de doute sur l'approche reposant sur des transferts financiers vers les pays plus pauvres. De plus en plus d'éléments laissent plutôt entrevoir le rôle crucial joué par l'entrepreneuriat local et le commerce international. Le populaire chanteur du groupe U2, Bono, s'est récemment rallié à cette conclusion. Espérons qu'il saura convaincre de plus en plus de gens pour nous éviter des taxes inutiles, dommageables économiquement et si peu légitimes démocratiquement.
Youri Chassin est économiste à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.