Pour la diversification
Le gouvernement du Québec semble bien décidé à bannir la cigarette dans les «lieux publics» sous prétexte de protéger les non-fumeurs des risques de la fumée secondaire. Au-delà des considérations reliées à santé publique, une telle interdiction est une atteinte directe à notre vie privée et comporte des aspects économiques non négligeables.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’approche économique ne se concentre pas sur les chiffres et les dollars mais sur les choix individuels. Elle étudie dans quelle mesure les consommateurs obtiennent ce qu’ils demandent et ce pour quoi ils sont prêts à payer. Dans chacun de nos gestes, nous sommes amenés à peser le pour et le contre de nos choix. Nous nous engageons dans toutes sortes d’activités même si elles comportent des risques, parce que nous jugeons qu’ils en valent la peine.
De ce point de vue, la fumée secondaire n’est pas une activité à part et son risque est relativement faible. Par exemple, les risques mortels d’accidents de la route, de la grippe et de la pneumonie sont bien plus élevés que ceux liés à la fumée secondaire. Faut-il pour autant qu’on reste chez soi parce que le fait de sortir ou de rencontrer des gens présente des risques? Il serait en effet absurde d’interdire une activité uniquement parce qu’elle est risquée et l’État ne devrait pas bannir la cigarette dans les lieux publics pour une telle raison.
Une telle interdiction est d’autant plus injustifiée que la plupart des endroits que l’on qualifie de «publics» sont en fait des lieux privés que leurs propriétaires ouvrent à des fins commerciales. Or, l’approche économique montre comment les droits de propriété et la liberté contractuelle sont une meilleure solution que l’interdiction mur à mur pour satisfaire tout le monde. Cette dernière ignore complètement les désirs des fumeurs qui représentent pourtant le quart de la population adulte québécoise. Elle risque également de causer une baisse d’activité pour les établissements qu’ils fréquentent, notamment les bars, comme cela a été observé en Ontario.
Au contraire, si on laissait les propriétaires d’établissements décider par eux-mêmes, on retrouverait sans aucun doute des établissements diversifiés: pour non-fumeurs, pour fumeurs, et mixtes. C’est d’ailleurs déjà le cas, car il est possible de trouver sur Internet des listes de plusieurs restaurants sans fumée dans des régions où ils ne sont pas imposés par la loi. Sous la pression des exigences des clients non-fumeurs, des restaurants et d’autres commerces privés ont déjà des politiques volontaires de restriction de la cigarette.
Tout comme les entrepreneurs privés nous offrent des souliers de couleurs et d’apparence différentes pour répondre à tous les goûts, de la même façon ils offriront des commerces et des restaurants pour des consommateurs fumeurs et non-fumeurs. Le marché permet à tout le monde d’exprimer ses préférences et incite les propriétaires d’établissements à les satisfaire s’ils veulent réaliser des profits. L’approche économique suggère que les gens s’organisent entre eux-mêmes et qu’il n’appartient pas à l’État d’imposer à certains individus les choix de vie que préfèrent d’autres individus.
Le marché privé, à la différence de l’interdiction publique, permet de réconcilier les intérêts aussi bien des fumeurs que des non-fumeurs. Si la cigarette doit être interdite dans les «lieux publics», c’est aux propriétaires de ces lieux de le décider et non à l’État.
Valentin Petkantchin est directeur de la recherche à l’IEDM et auteur de la Note économique Devrait-on interdire la cigarette dans les lieux publics? Il est aussi non-fumeur.