Quelques mythes sur la banlieue
Pour sauver la ville, faut-il restreindre le développement de la banlieue? C’est ce que soutiennent plusieurs politiciens, urbanistes et écologistes qui considèrent «l’étalement urbain» comme la cause d’une série de calamités allant de la destruction des terres agricoles à l’augmentation des charges publiques. Certains analystes croient cependant que l’expansion de la banlieue ne pose pas de problèmes importants. Il est utile de présenter sommairement leurs arguments, car on ne les entend à peu près jamais au Québec. (Pour une liste détaillée de ces chercheurs et de leurs travaux, voir Quelques références utiles pour situer le débat.)
Le mythe des coûts écologiques
LA DISPARITION DE LA ZONE VERTE – L’agrandissement du périmètre urbanisé autour des grandes villes est indéniable, mais s’agit-il pour autant d’une catastrophe écologique? Non, car l’augmentation soutenue des rendements agricoles au cours des dernières décennies a tellement réduit les besoins en terres que la superficie des forêts d’Amérique du Nord a augmenté depuis les années 1950. Il est vrai que la zone verte diminue autour de Montréal, mais la forêt reprend le dessus dans plusieurs autres régions.
LA POLLUTION – Le nombre de voitures a augmenté substantiellement au cours des dernières décennies, mais l’on a observé simultanément une amélioration continue de la qualité de l’air dans nos villes, qui s’explique en bonne partie par les améliorations techniques importantes qui ont été apportées aux automobiles.
Certains chercheurs notent également qu’un développement urbain plus compact ne génère pas de bénéfices importants à ce chapitre, car les mesures sévères de densification autour de certaines villes américaines n’ont pas amené de diminution du nombre d’automobiles. Le problème est que le niveau de pollution émis par une voiture dépend davantage de la nature des déplacements que de la distance parcourue. Une autoroute achalandée, mais où les véhicules circulent à une vitesse élevée et constante, cause beaucoup moins de pollution qu’un boulevard urbain où les véhicules roulent moins vite et s’arrêtent fréquemment.
De plus, l’augmentation du trafic autoroutier résulterait davantage d’un «drainage» de la circulation des routes secondaires avoisinantes que d’une augmentation importante du nombre de véhicules, ce qui permettrait non seulement de réduire la pollution, mais de rendre ces routes secondaires plus sécuritaires.
Le mythe des coûts économiques
LA CONGESTION ROUTIÈRE – Plusieurs opposants au développement de la banlieue s’attaquent principalement à la congestion routière. Le temps moyen requis par les Nord-Américains pour faire la navette entre leur domicile et leur lieu de travail n’a cependant pas augmenté au cours des dernières années pour deux raisons. Premièrement, plusieurs entreprises se sont relocalisées près du domicile banlieusard de leurs employés.
Deuxièmement – et paradoxalement – bon nombre de personnes utilisent maintenant l’automobile plutôt que le transport en commun pour se rendre à leur lieu de travail banlieusard, ce qui réduit souvent de façon substantielle la durée de leurs déplacements.
LES INFRASTRUCTURES – Le développement de la banlieue entraîne évidemment des dépenses importantes pour la construction de nouvelles infrastructures (routes, égouts, etc.). Il serait toutefois faux de croire qu’à long terme l’étalement urbain entraîne des déboursés supplémentaires substantiels, car les coûts d’opération et d’entretien des infrastructures sont beaucoup plus élevés en milieu urbain qu’en banlieue.
Plusieurs intervenants soutiennent que les banlieusards ne paient pas suffisamment de taxes municipales pour couvrir le coût des services qu’ils consomment en ville. Ceci est par contre tout aussi vrai pour les citadins. Dans les deux cas, la différence est couverte par les taxes sur les commerces et les industries, c’est-à-dire que les propriétaires d’immeubles non résidentiels paient beaucoup plus de taxes que la valeur des services qu’ils consomment. Et une ville comme Montréal a bien plus d’immeubles importants à taxer que les banlieues.
LE TRANSPORT EN COMMUN – Malgré des subventions beaucoup plus importantes par déplacement que le transport automobile, la part du transport en commun ne cesse de décliner. Entre 1987 et 1998, le nombre de déplacements en transport en commun a diminué de près de 14% dans la grande région montréalaise et il ne représente plus que 17% des déplacements.
Le principal problème est que le transport en commun n’est vraiment efficace que pour desservir une zone restreinte au centre-ville, tandis que la majorité des nouveaux emplois sont créés dans les banlieues. De plus, seulement 20% des déplacements seraient directement reliés au travail, le reste étant attribuable aux emplettes et aux activités sociales qui sont bien mieux desservies par les automobiles.
Les données américaines indiquent également que les trains de banlieue ne font jamais leurs frais et qu’UNE nouvelle voie autoroutière (je précise, pas une nouvelle autoroute, mais une voie sur une nouvelle autoroute) transporte en moyenne quatre ou cinq fois plus d’usagers quotidiennement que les trains de banlieue les plus achalandés. Pire encore, la plupart des nouveaux usagers des trains de banlieue ne seraient pas des automobilistes qui ont remisé leur véhicule, mais des individus qui utilisaient auparavant l’autobus! Il serait donc beaucoup plus efficace et moins coûteux d’investir dans la construction de nouvelles routes et dans le transport par autobus que dans les trains de banlieue.
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Certaines villes américaines ont instauré des mesures radicales pour contrer l’expansion de la banlieue depuis suffisamment longtemps pour que l’on soit en mesure d’en évaluer l’impact négatif. Les mesures de densification forcée dans la région de Portland, en Oregon, auraient ainsi causé une congestion routière accrue et une hausse importante du coût de la propriété et des taxes municipales, ce qui aurait mis l’achat d’une propriété hors de la portée de plusieurs familles.
Force est de reconnaître qu’une majorité de nos concitoyens préfèrent utiliser l’automobile et posséder une maison entourée d’un peu de verdure. Si le développement futur de la banlieue semble donc inévitable, il n’aurait cependant rien d’un cauchemar économique et écologique. Il est vrai que le coeur de Montréal fait face à certaines difficultés, mais la solution à ces problèmes passe bien plus par une diminution du fardeau fiscal et réglementaire des Montréalais et par le relâchement des contraintes au développement résidentiel dans l’île que par un train de mesures inutiles et coûteuses pour contrer l’expansion de la banlieue.
Pierre Desrochers est directeur de la recherche à l’IEDM.