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Textes d'opinion

Téléphonie: la réglementation anticoncurrentielle du CRTC

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) soutient qu’il n’y a pas assez de concurrence dans les télécommunications. Dans un avis public émis en décembre dernier, il a proposé d’imposer des handicaps aux anciens monopoles téléphoniques (tels Bell et Telus) de façon à favoriser artificiellement l’entrée de nouveaux concurrents. De plus, il propose maintenant d’étendre ces handicaps au nouveau domaine de la téléphonie Internet. Cependant, dans l’optique d’une conception réaliste de la concurrence, une telle réglementation, contrairement aux intentions du CRTC, a bel et bien des conséquences anticompétitives.

Il existe en économie deux conceptions de la concurrence. L’une se fonde sur le modèle irréaliste de la «concurrence parfaite», qui implique, entre autres, un nombre tellement grand de petits concurrents qu’aucun d’entre eux n’exerce d’influence sur le prix. La réglementation antitrust traditionnelle a pour mandat précisément d’assurer que ce nombre reste élevé et qu’aucune entreprise dans un secteur donné ne bénéficie d’une «position dominante».

La seconde conception de la concurrence, plus réaliste, occupe une place centrale dans l’analyse économique contemporaine. La concurrence y est analysée non pas comme un état du monde déterminé, mais plutôt comme un processus de rivalité dans lequel des entrepreneurs doivent parier sur l’avenir et faire des investissements risqués. Dans cette perspective, il n’est plus question de nombre d’entreprises mais de « règles de jeu » permettant la libre entrée dans le marché. Ainsi, même si un secteur semble très concentré et même si la venue d’un nouveau concurrent exige parfois de celui-ci des investissements coûteux, la concurrence demeure néanmoins présente et continue d’exercer ses effets, à condition bien sûr qu’aucune barrière légale n’interdise la libre entrée…

La téléphonie est justement un secteur où cette seconde conception de la concurrence nécessite d’être pleinement considérée parce que des technologies différentes de communications, dans des secteurs connexes, sont en mesure de satisfaire les besoins en télécommunication des consommateurs. Ainsi, même si le nombre d’opérateurs peut sembler restreint, la concurrence reste très présente: les anciens monopoles régionaux sont non seulement contestés par des concurrents qui rentrent dans leur secteur de téléphonie traditionnelle, mais aussi par des entreprises dans des secteurs voisins comme, par exemple, les câblodistributeurs. De même, la nouvelle technologie de téléphonie par Internet permet aux fournisseurs d’Internet d’offrir des gammes de services de télécommunications et télédiffusion concurrents.

Tout récemment, par exemple, Rogers Communications, dont la filiale Rogers Cable est le plus important câblodistributeur au Canada, annonçait son intention de se lancer dans la téléphonie Internet. Vonage et Groupe Télécom viennent de lancer un service de téléphonie résidentielle par Internet sur le marché canadien. AOL Canada a annoncé qu’elle se lançait également dans ce domaine.

Malheureusement, la réglementation publique des télécommunications a toujours ignoré cette conception de la concurrence. Jusqu’aux années 1990, le CRTC a protégé les monopoles téléphoniques régionaux supposés «naturels». À l’heure actuelle, même avec l’arrivée de la concurrence, ces anciens monopoles régionaux restent toujours assujettis à des contrôles de prix et sont obligés, à des tarifs fixés réglementairement, de mettre leurs installations à la disposition de nouveaux concurrents moins réglementés. À la suite de cette déréglementation partielle, le CRTC soutient qu’il n’y a pas assez de «concurrence» parce que les anciens monopoles détiendraient 95% des parts de marché des lignes terrestres.

La réglementation du CRTC ignore la véritable nature du processus de concurrence. Pendant longtemps elle a été anticoncurrentielle en interdisant l’entrée dans l’industrie quand cela n’aurait pas dû être le cas. Aujourd’hui, elle reste anticoncurrentielle en accordant des privilèges artificiels aux concurrents. Quand donc le CRTC se mettra-t-il à l’heure de l’analyse économique contemporaine en procédant enfin à une déréglementation réelle et complète des télécommunications canadiennes?

Valentin Petkantchin est directeur de la recherche à l’IEDM et auteur de la Note économique intitulée A-t-on encore besoin de réglementer la téléphonie?

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