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Textes d'opinion

Québec s’achète des «droits de vantardise» en subventionnant Northvolt

On le sait, les politiciens au pouvoir aiment bien pouvoir dire qu’ils ont un impact concret sur la direction de notre économie. Après tout, vous aurez plus de chances d’être réélu si vous convainquez les électeurs que ce sont vos décisions judicieuses qui ont mené aux développements positifs qui font les manchettes.

Il y a donc une chose que tout gouvernement peut faire très facilement en pointant du doigt des résultats concrets apparents: subventionner les entreprises. Les fonds publics provinciaux et fédéraux promis à des usines de batteries ces dernières semaines au Québec et en Ontario battent des records à cet égard.

Pour rappel, Québec s’est engagé à subventionner la multinationale suédoise Northvolt à hauteur de 1,37 milliard de dollars (G$). Cela équivaut à la totalité des impôts provinciaux payés par 217 480 contribuables québécois sur une année, soit à peu près une fois et demie les habitants de la ville de Saguenay. On peut donc parler d’une somme substantielle.

De son côté, Ottawa a annoncé des subventions allant jusqu’à 1,34G$. Les deux paliers de gouvernement s’engagent également à verser jusqu’à 4,6G$ en subventions à la production. Ces subventions s’ajoutent aux dizaines de milliards déjà annoncés plus tôt à Volkswagen et Stellantis pour le développement de la filière des batteries en Ontario. Des montants gigantesques sans précédent.

Ces fonds ne tombent pas du ciel. Ils sont financés par des impôts sur les autres entreprises et les travailleurs, notamment les travailleurs autonomes et les entrepreneurs qui créent des emplois. Les impôts plus élevés que cela entraîne rendent ces entreprises moins rentables, plus fragiles, et enlèvent le désir de ces entrepreneurs à aller de l’avant.

Dans une étude récente, une de mes collègues estimait que le Canada pourrait aujourd’hui compter 9820 entreprises de plus si Ottawa n’avait pas instauré un nouveau palier d’impôt des particuliers en 2016. Cette hausse d’impôt rapporte un montant annuel équivalent aux subventions à la production consenties sur une base annuelle à Volkswagen et Stellantis.

Si on laissait cet argent dans les poches des contribuables au lieu de le donner à Northvolt, on stimulerait la création de centaines d’autres petites entreprises et d’emplois ailleurs dans l’économie. Mais ça ne ferait pas les manchettes et ce serait évidemment plus difficile à vendre pour les politiciens.

Parlons justement des emplois. Comme ailleurs au Québec, les entreprises de la Mauricie ont déjà de la difficulté à trouver de la main-d’œuvre qualifiée. L’usine de Northvolt, qui offrira des emplois bien payés en partie grâce aux fonds publics, leur fera une concurrence déloyale. Certaines pourraient fermer à cause de cela. Les politiciens tiendront-ils une conférence de presse pour faire leur mea culpa à ce moment ? N’y comptez pas ! Personne n’en entendra parler.

On se retrouve donc plutôt à déplacer des emplois vers un secteur jugé désirable par le gouvernement, plutôt que de réellement créer des emplois et de la valeur. C’est de l’esthétisme politique déguisé en politique économique. L’idée ne devrait pas être de favoriser un secteur plutôt qu’un autre, mais plus de s’assurer que nos entreprises sont vibrantes et en santé. En ce sens, on ne peut que déplorer le taux élevé d’insolvabilité des entreprises québécoises.

De plus, qui sait si cette usine de batterie utilise une technologie d’avenir ou si elle ne deviendra pas un autre éléphant blanc ? Ce secteur évolue à grande vitesse et il est hasardeux de miser sur une seule technologie. Les politiciens et bureaucrates n’ont pas un pif plus fin que vous et moi pour évaluer ce genre de chose. S’enligne-t-on pour créer une nouvelle Gaspésia ou un nouveau Ciment McInnis? Si c’est le cas, ce sont les contribuables québécois qui paieront encore une fois la note.

On pourrait bien sûr mentionner d’autres effets pervers potentiels ou questions qui ont été soulevées depuis l’annonce, mais que les politiciens préfèrent ignorer.

Il y a plus de 20 ans, mon prédécesseur à la tête de l’IEDM, Michel Kelly-Gagnon, avait critiqué d’autres subventions populaires à l’époque dans une chronique aux Affaires. Il y mentionnait le célèbre essai Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas de l’économiste français Frédéric Bastiat publié il y a 175 ans.

Bastiat, sans doute le meilleur vulgarisateur de tous les temps des lois de l’économie, expliquait comment une intervention gouvernementale pour « créer des emplois » n’engendre pas seulement un effet, mais une série d’effets. Seul le premier est visible et semble positif. Les conséquences néfastes, elles, ne viennent qu’ensuite, sans attirer l’attention.

C’est une leçon qui doit malheureusement être réapprise à chaque génération.

Daniel Dufort est président et directeur général de l’IEDM. Il signe cette chronique à titre personnel.

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