Patriotisme ou Internet libre : une fausse dichotomie
Le gouvernement fédéral s’attaque petit à petit au monument de la liberté, et ce, prétendument dans l’intérêt des Canadiens. Plus précisément, en vertu du projet de loi C-10, les grandes entreprises seront tenues de financer et de promouvoir du contenu canadien. Bien que cela puisse avoir toute l’apparence d’une bonne idée, les répercussions négatives sont considérables.
D’une part, les entreprises comme Netflix seront peu enclines à intervenir sur le marché canadien en raison des coûts directs liés aux programmes destinés à la production de contenu canadien. L’ambiguïté de la notion de « contenu canadien » constituera également une contrainte procédurale importante pour les entreprises qui souhaitent opérer au Canada et les obligera à engager des conseillers capables de s’y retrouver dans la complexité de ce bourbier.
Cette confusion politique s’explique en partie par une conception des médias et du contenu qui précède l’Internet. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a adopté ses lois en matière de contenu télévisuel et radiophonique à la fin du siècle dernier, à une époque où il était plus facile de faire la distinction entre les contenus canadiens et étrangers.
Par ailleurs, la frontière entre les créateurs et les consommateurs n’est plus aussi clairement définie qu’elle l’était auparavant. Pour cette raison, les exigences du projet de loi C-10 sont particulièrement nuisibles à des entreprises comme YouTube qui, par la nature même de leurs services, brouillent les frontières entre créateurs et consommateurs de contenu. Ces entreprises auront beaucoup de mal à amplifier les voix des créateurs et des utilisateurs canadiens par le biais de leurs algorithmes sans éclipser du même coup les créateurs et les utilisateurs plus modestes et moins connus qui débutent sur le marché.
Cette entrave à la liberté peut sembler banale dans la mesure où ce sont des vidéos de chats qui sont éclipsées par du contenu canadien. Mais si l’on considère que les médias sociaux constituent la source principale de nouvelles pour environ 50 % des millénariaux et des membres de la génération Z, les motivations protectionnistes visant à restreindre les informations auxquelles les utilisateurs ont accès pourraient avoir des répercussions considérables sur la liberté et la démocratie, conférant au gouvernement une influence démesurée sur les cœurs et les esprits.
Selon le gouvernement, il s’agit de choisir entre les entreprises qui démontrent leur patriotisme canadien en naviguant les zones grises du projet de loi C-10 et les partisans d’un Internet libre qui favorise à la fois les utilisateurs et les créateurs de contenu. Mais ce choix est fallacieux, surtout si l’on considère les avantages pour les Canadiens et les Canadiennes de pouvoir accéder à un Internet libre de toute contrainte arbitraire.
Par Éric Seguin, stagiaire de recherche à l’IEDM et étudiant à la maîtrise en philosophie à l’Université Concordia.