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Textes d'opinion

Les boucs émissaires

C’est toujours plus facile de rejeter la faute sur l’autre que de reconnaître ses torts. Afin d’endiguer la hausse rapide des prix des maisons, le gouvernement fédéral vient d’interdire aux investisseurs étrangers de s’acheter une résidence au Canada. Dans le cas des résidents permanents — ces gens qui vivent déjà ici —, il leur faudra attendre un minimum de deux ans avant de devenir propriétaires.

Selon le ministre fédéral du Logement, Ahmed Hussen, interdire aux étrangers d’acheter des propriétés ici aidera à ce que « tous les résidents du pays aient un logement qui est abordable et qui répond à leurs besoins ». Ce que le ministre tente de faire, c’est de s’attaquer à la demande afin de réduire la pression sur le marché. L’effet risque d’être contre-productif.

En Colombie-Britannique, par exemple, longtemps la tête d’affiche de la pénurie de logements, les résidences détenues exclusivement par des propriétaires étrangers ne comptent que pour 3 % du parc immobilier — 4,1 % dans la région métropolitaine de Vancouver —, soit 53 000 portes. Le chiffre semble peu négligeable, pourtant il l’est lorsqu’on le compare aux 570 000 logements manquants dans la province, selon les estimations du gouvernement fédéral.

Au lieu de montrer du doigt les acheteurs étrangers pour les prix inabordables des résidences, nous devrions plutôt parler de la source du problème : les nombreux obstacles à l’accroissement de l’offre de logements érigés par les provinces, et surtout par les villes.

Ce n’est pas un secret : nos villes sont particulièrement attirantes. La région métropolitaine de Montréal, par exemple, accueille aujourd’hui la demeure de 715 500 Québécois de plus qu’il y a 20 ans. C’est le résultat tant des naissances que de l’immigration et d’une tendance générale à l’urbanisation. La même tendance s’observe à Québec, à Toronto, à Vancouver et dans les autres grandes villes du pays.

Dans la mesure où la croissance de l’offre peut suivre celle de la demande, la croissance de la population ne devrait pas causer de problèmes d’abordabilité. L’Alberta, par exemple, a vu sa population croître de presque 50 % sur la même période, mais a réussi à conserver un marché résidentiel à l’intérieur des barèmes d’abordabilité de la SCHL.

Malheureusement, dans bon nombre d’autres villes canadiennes, dont les grandes villes québécoises, l’offre n’a pas suivi la demande. Cela s’explique par la difficulté à construire de nouveaux logements dans beaucoup d’endroits.

C’est d’ailleurs le constat que font les économistes lorsqu’ils se penchent sur la question du prix : les endroits où il est plus facile de bâtir de nouveaux logements pour répondre à la demande sont ceux où les augmentations de prix sont les plus faibles, voire inexistantes lorsqu’exprimées en pourcentage du revenu moyen des citoyens.

Il peut bien sûr exister des barrières géographiques. Toronto ne peut pas s’étendre dans le lac Ontario, et Montréal dépend de la capacité de ses ponts, par exemple. Dans le contexte canadien réputé pour ses grands espaces, cependant, cet aspect est plutôt minime.

Barrières

Ce qui pèse le plus, c’est l’ensemble des barrières institutionnelles — ces fameux bâtons que nos gouvernements mettent plus ou moins intentionnellement dans les roues des développeurs. On peut penser aux règlements provinciaux sur l’aménagement du territoire, aux règles de zonage sévères des municipalités ou à la panoplie d’exigences bureaucratiques à satisfaire avant la première pelletée de terre.

Chaque réglementation vient avec son coût, soit sous forme de taxe, soit sous forme de temps et de frais de consultants qui y sont associés, ce qui vient complexifier le processus de construction et réduire l’offre de nouveaux logements. Cette relation statistique est bien documentée. Plus l’indice réglementaire est élevé, plus le prix le sera et aura tendance à monter rapidement.

Ce coût réglementaire n’est pas minime non plus. Une étude de l’Institut C.D. Howe montrait que déjà en 2016, le niveau excessif de réglementation en Ontario avait pour effet d’augmenter le prix moyen des maisons de plus de 100 000 $. C’était il y a six ans. Les prix et la réglementation ont eu le temps de croître davantage depuis.

Tenir les étrangers pour responsables ne réglera pas la pénurie de logements. Nos gouvernements doivent reconnaître qu’ils contribuent à la situation actuelle et voir ce qu’ils peuvent faire pour pallier la situation. En quelque sorte, ils doivent arrêter de chercher les boucs émissaires, et ôter les bâtons qu’ils ont mis dans les roues de ceux qui peuvent régler le problème.

Vincent Geloso est économiste senior à l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.

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