La croissance économique, avantageuse pour l’environnement
Point examinant comment à long terme, la croissance s’avère un outil puissant pour améliorer l’environnement, surtout dans les sociétés économiquement libres
La croissance du revenu moyen des habitants d’une société tend à être liée à la croissance du couvert forestier, explique ce Point publié par l’IEDM. « Une société plus prospère a tendance à devenir une société plus verte », affirme Vincent Geloso, économiste senior à l’IEDM et auteur de l’étude.
En lien avec cette publication
La croissance économique a le pouce vert (Le Devoir, 17 juillet 2023) | Entrevue avec Vincent Geloso (Alexandre Dubé, QUB Radio, 13 juillet 2023) |
Ce Point a été préparé par Vincent Geloso, professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason et économiste senior à l’IEDM. La Collection Environnement de l’IEDM vise à explorer les aspects économiques des politiques de protection de la nature dans le but d’encourager des réponses à nos défis environnementaux qui présentent le meilleur rapport coût-efficacité.
Dans certains cercles, il est de bon ton d’attaquer le concept même de croissance économique. Cette série(1) de brèves études vise à déconstruire quelques-uns des grands mythes qui sous-tendent ces attaques.
On entend parfois dire que la croissance économique nuit à l’environnement. Pourtant, à bien des égards, la croissance s’avère un outil puissant pour améliorer l’environnement, surtout dans les sociétés économiquement libres.
Lorsqu’il est question de croissance économique et de ses effets sur l’environnement, on constate une tendance à tomber dans la caricature et à réduire le concept à une consommation sans fin produisant des déchets sur une planète aux ressources limitées. Cette vision pessimiste comporte toutefois deux failles majeures.
D’abord, elle part du principe que la majorité des gens n’accordent pas la moindre valeur à un environnement sain et n’ajustent jamais leur comportement pour s’assurer de vivre dans un tel environnement. Cela est contredit à la fois par l’observation et par les données économiques. Parce que les gens lui accordent en fait une valeur, vient un temps où les revenus sont suffisamment élevés pour qu’ils se mettent à envisager qu’il vaut la peine d’investir dans un environnement sain(2). Lorsque cela survient, ils exigent des biens et services respectueux de l’environnement.
Ensuite, cette vision suppose que la croissance économique s’appuie sur une augmentation constante de l’activité et de la quantité de ressources utilisées. C’est faux. La croissance économique consiste plutôt à augmenter la productivité, ce qui implique de libérer des ressources pour mieux les utiliser ailleurs. Par exemple, grâce à l’augmentation de la productivité en agriculture depuis 1960, on réussit à nourrir trois fois plus de personnes, avec un apport plus élevé en calories, pour une superficie de champ comparable(3). En fait, depuis 1998, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture remarque que la superficie totale des terres agricoles exploitées a diminué, en dépit de l’augmentation de la production alimentaire(4). Autrement dit, la productivité a progressé si vite qu’elle a permis de libérer des terres. Dans les pays riches qui ont profité d’une croissance rapide au 20e siècle, la tendance est encore plus marquée(5).
La courbe environnementale de Kuznets
Il résulte de ces deux facteurs une courbe en forme de U inversé, la courbe environnementale de Kuznets, qui doit son nom à Simon Kuznets, lauréat d’un Prix Nobel(6). Son interprétation repose sur l’idée que l’environnement risque de se dégrader à mesure que les revenus augmentent, mais jusqu’à un certain point. Passé ce point, l’accélération de la croissance économique serait bénéfique pour l’environnement. Cette relation s’observe pour les pêcheries, la production de déchets, la biodiversité et diverses formes de pollution de l’air(7). On remarque même des signes de ce phénomène, dans certaines conditions, pour les gaz à effet de serre(8).
L’exemple du couvert forestier au 20e siècle est particulièrement frappant. Avec l’industrialisation en Occident et la croissance de la population, il a d’abord connu une régression(9). Toutefois, la superficie agricole a par la suite diminué grâce aux gains de productivité en agriculture. Les innovations dans le secteur des transports ont également permis de concentrer la production dans les régions où les terres étaient les plus fertiles même si elles se trouvaient éloignées des centres de consommation(10). L’automobile et le tracteur ont permis de délaisser les millions d’acres qui servaient autrefois à élever des chevaux et des mules(11). Entre-temps, les milieux naturels non perturbés, la vie sauvage et les activités de plein air ont graduellement été davantage valorisés. Bref, une fois un certain point critique dans le développement économique atteint, les forêts ont regagné du terrain.
C’est encore vrai aujourd’hui. Comme on le constate dans la Figure 1, les pays riches ont eu tendance à enregistrer des gains au chapitre du couvert forestier alors que les pays pauvres, eux, se déboisent. Ainsi, une hausse de 10 % des revenus se traduit par une augmentation nette du couvert forestier de 0,02 point de pourcentage. Cela semble peu, mais, en y regardant de plus près, on constate qu’il s’agit du cinquième des changements moyens dans les 103 pays inclus dans le graphique.
Conditions dans les institutions
La courbe environnementale de Kuznets comporte des limites, comme l’ont souligné bon nombre de chercheurs(12). De façon générale, ses détracteurs font valoir que la courbe représente mal certaines catégories d’indicateurs environnementaux, comme les émissions de gaz à effet de serre, ou que l’existence de la courbe dépend de certaines conditions. Cependant, une catégorie de critiques demeure sous-étudiée : celles des économistes qui affirment que les avantages de la croissance économique dépendent de la liberté économique (réglementation gouvernementale limitée, État de petite taille, droits de propriété bien établis, libre-échange et monnaie stable)(13).
L’importance de la liberté économique par rapport à l’effet de la courbe environnementale de Kuznets tient à trois facteurs. D’abord, la liberté économique stimule la croissance et le développement économique(14). Autrement dit, l’économie atteint plus rapidement le tournant décisif à partir duquel l’environnement commence à s’améliorer lorsque les revenus augmentent. Deuxièmement, grâce à des droits de propriété bien établis (une composante de la liberté économique), les innovateurs récoltent plus facilement les fruits des innovations technologiques(15). Ces facteurs stimulent l’innovation qui pourrait être avantageuse sur le plan environnemental, en même temps que le plus petit nombre d’obstacles réglementaires facilite l’adoption de nouvelles technologies par d’autres entreprises. En dernier lieu, grâce à des droits de propriété bien établis, il est facile d’attribuer la responsabilité. Les parties qui évoluent dans des conjonctures environnementales défavorables peuvent alors recourir plus facilement aux tribunaux pour trouver des solutions, et compte tenu de leurs recours juridiques, les entreprises ont intérêt à limiter les activités polluantes dès le début.
De façon générale, les pays qui profitent d’une plus grande liberté économique atteignent le point critique plus rapidement et causent moins de dommages environnementaux. Les études qui essaient de tenir compte de la liberté économique font généralement ressortir des signes évidents de la courbe environnementale de Kuznets dans les pays riches et libres(16).
La réalité, c’est que la croissance économique est avantageuse pour l’environnement à long terme… à condition de se donner des politiques gouvernementales qui protègent les droits de propriété, stimulent l’innovation et favorisent l’entrepreneuriat.
Références
- Pour les deux premières études de la série, voir Vincent Geloso, « Pourquoi la croissance économique est bonne pour la santé », IEDM, Point, avril 2023; Vincent Geloso, « La croissance économique, avantageuse pour les moins nantis », IEDM, Point, juin 2023.
- Julian Lincoln Simon, The Ultimate Resource 2, chapitre 15 : « The Peculiar Theory of Pollution », Princeton University Press, 1996.
- Jesse H. Ausubel, Iddo K. Wernick et Paul E. Waggoner, « Peak Farmland and the Prospect for Land Sparing », Population and Development Review, vol. 38, 2012, p. 227-228 et 231-233.
- Pierre Desrochers, Vincent Geloso et Joanna Szurmak, « Care to Wager Again? An Appraisal of Paul Ehrlich’s Counterbet Offer to Julian Simon », parties 1 et 2, Social Science Quarterly, vol. 102, no 2, 2021, p. 793-794 et 809.
- Jesse H. Ausubel, Iddo K. Wernick et Paul E. Waggoner, op. cit., note 3, p. 224-227.
- Susmita Dasgupta et al., « Confronting the environmental Kuznets curve », Journal of Economic Perspectives, vol. 16, no 1, 2002, p. 147.
- Muhammad Saqib et François Benhmad, « Updated meta-analysis of environmental Kuznets curve: Where do we stand? », Environmental Impact Assessment Review, vol. 86, 2021, p. 9-10.
- Christian Bjørnskov, « Economic freedom and the CO2 Kuznets Curve », document de travail no 1331 de l’IFN, Research Institute of Industrial Economics (IFN), 2020, p. 18.
- Jesus Crespo Cuaresma et al., « Economic development and forest cover: evidence from satellite data », Scientific Reports, vol. 7, no 1, 2017, p. 6; Nicole Caravaggio, « A global empirical re-assessment of the Environmental Kuznets curve for deforestation », Forest Policy and Economics, vol. 119, 2020, p. 9-11.
- Jason M. Beddow et Philiip G. Pardey, « Moving matters: the effect of location on crop production », Journal of Economic History, vol. 75, no 1, 2015, p. 229.
- Alan L. Olmstead et Paul W. Rhode, « Reshaping the landscape: the impact and diffusion of the tractor in American agriculture, 1910–1960 », Journal of Economic History, vol. 61, no 3, 2001, p. 692.
- Leigh Raymond, « Economic growth as environmental policy? Reconsidering the Environmental Kuznets Curve », Journal of Public Policy, vol. 24, no 3, 2004, p. 343-344; William T. Harbaugh, Arik Levinson et David Molloy Wilson, « Re-examining the empirical evidence for an environmental Kuznets curve », Review of Economics and Statistics, vol. 84, no 3, 2002, p. 549.
- Vincent Geloso, « Statogenic climate change? Julian Simon and institutions », Review of Austrian Economics, vol. 35, no 3, 2022, p. 345-355.
- Joshua C. Hall et Robert A. Lawson, « Economic freedom of the world: An accounting of the literature », Contemporary Economic Policy, vol. 32, no 1, 2014, p. 8.
- Pierre Desrochers, « How did the invisible hand handle industrial waste? By-product development before the modern environmental era », Enterprise & Society, vol. 8, no 2, 2007, p. 348-374.
- Ram Pandit et David N. Laband, « Economic freedom, corruption, and species imperilment: a cross-country analysis », Society and Natural Resources, vol. 22, no 9, 2009, pp. 818-820; Christian Bjørnskov, « Do liberalising reforms harm the environment? Evidence from the post‐ communist transition », Economic Affairs, vol. 38, no 1, 2018, p. 29-34.