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Des cliniques dirigées par des pharmaciens pour améliorer l’accès aux soins de première ligne: l’Alberta montre la voie

Point montrant comment ces cliniques peuvent aider les patients à recevoir les soins auxquels ils ont droit en temps voulu, surtout lorsque les pharmaciens jouissent d’un champ d’exercice complet

En lien avec cette publication

Le Québec devrait accroître les soins cliniques en pharmacie (Le Soleil, 10 mai 2024)

Think tank says Alberta’s pharmacist-led clinic model could improve health care access across Canada (Western Standard, 12 mai 2024)

Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (Alexis le matin, 106,9 FM, 10 mai 2024)

Entrevue avec Benoit Morin, de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (Midi actualité, 107,7 FM, 10 mai 2024)

Chronique de Pierre Harvey (Midi actualité, 107,7 FM, 10 mai 2024)

Entrevue (en anglais) avec Krystle Wittevrongel (CHED Afternoons, 630 CHED, 13 mai 2024)

 

Ce Point a été préparé par Krystle Wittevrongel, analyste senior en politiques publiques et leader du Projet Alberta à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Le Canada est aux prises avec une crise des soins de première ligne. En 2022, on estimait que 22 % des Canadiens âgés de plus de 18 ans – soit plus de 6,5 millions de personnes – n’avaient pas accès à un médecin de famille ou à une infirmière praticienne sur une base régulière, et que ceux qui en bénéficient peinaient souvent à recevoir des soins en temps opportun(1). Les cliniques dirigées par des pharmaciens fournissent certains services de soins de première ligne, améliorant ainsi l’accès à ces derniers et libérant des plages de rendez-vous pour les médecins et les infirmières praticiennes, qui peuvent alors prendre en charge des cas plus compliqués.

La première clinique dirigée par des pharmaciens au Canada a vu le jour en 2022 à Lethbridge, en Alberta. D’ici la fin de 2024, la province en comptera 103(2). Disposant du champ d’exercice et du pouvoir de prescription les plus généreux au Canada, les pharmaciens de l’Alberta fournissent aux patients une gamme de services de soins de première ligne tels que la gestion des maladies chroniques, la prescription de médicaments, la demande et l’interprétation d’analyses en laboratoire, l’évaluation de blessures et d’affections mineures, et l’administration de vaccins(3).

En plus d’améliorer l’accès aux soins de première ligne pour les Albertains, ces cliniques devraient réduire les coûts globaux du système de santé, puisque près de 35 % des visites évitables aux urgences peuvent être prises en charge par les pharmaciens(4). La Saskatchewan, l’Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse possèdent également des cliniques dirigées par des pharmaciens(5), mais leur champ d’exercice et leur pouvoir de prescription restreints dans ces provinces limitent leur impact(6) (voir le Tableau 1). Les quatre autres provinces n’ont pas encore mis en place de telles cliniques, en partie pour des raisons de réglementations provinciales qui y font obstacle.

Améliorer l’accès, réduire les coûts

Dans les cliniques dirigées par des pharmaciens, aussi appelées cliniques de soins primaires en pharmacie, les pharmaciens doivent référer les patients au besoin et collaborer avec d’autres professionnels de la santé(7). Bien que les pharmaciens soient des prestataires de soins de première ligne hautement qualifiés et compétents, leur travail est complémentaire à celui des autres prestataires de soins de santé. Par exemple, les problèmes liés aux prescriptions, qui représentent historiquement plus de 10 % des visites aux urgences dans tout le pays(8), peuvent facilement être traités par un pharmacien. D’autres situations, comme les diagnostics médicaux complexes, nécessitent toutefois l’intervention d’un médecin.

Une clinique dirigée par des pharmaciens consacrée à la gestion des prescriptions et des interactions médicamenteuses des patients, selon les besoins, permet de réduire la pression sur l’ensemble du système de santé. De plus, les maladies chroniques déterminent l’utilisation du système de santé, car un plus grand nombre de prescriptions est associé à des taux plus élevés de visites aux urgences(9). Plus le nombre de prescriptions d’un patient est élevé, plus la complexité des interactions médicamenteuses doit être surveillée – une tâche pour laquelle les pharmaciens sont précisément formés.

Dans une enquête réalisée en 2022 auprès de la population canadienne, 24 % des personnes interrogées n’ayant pas accès à un médecin de famille ou à une infirmière praticienne ont déclaré avoir eu recours aux services d’urgence d’un hôpital la dernière fois qu’elles ont eu un problème de santé non urgent(10). Sachant que plus de 6,5 millions de Canadiens sont privés d’un tel accès, cela représente plus de 1,6 million de visites inutiles aux urgences. Or, la clinique dirigée par des pharmaciens de Lethbridge reçoit en moyenne de 40 à 60 patients chaque jour, soit entre 14 600 et 21 900 par an(11). Des références y ont également été faites par d’autres prestataires de soins de première ligne et par du personnel de triage des urgences de Lethbridge, et des pédiatres locaux y ont référé des cas pédiatriques non urgents – ce qui a permis de réduire les temps d’attente pour les autres patients et de diminuer les coûts pour l’ensemble du système de santé.

Des études montrent que les soins et la gestion sous la responsabilité de pharmaciens sont conformes aux lignes directrices, sécuritaires et efficaces, qu’ils permettent d’économiser du temps et de l’argent, et qu’ils suscitent une grande satisfaction chez les patients(12). On remarque également une plus grande conscience de la valeur de ces soins, puisque 14 % des Canadiens interrogés n’ayant pas accès à un médecin de famille ou à une infirmière praticienne se sont tournés vers des pharmaciens lorsque leurs problèmes de santé n’étaient pas urgents(13).

Champ d’exercice et pouvoir de prescription

Dans les autres provinces où l’on retrouve des cliniques dirigées par des pharmaciens, le champ d’exercice plus restrictif et le pouvoir de prescription plus limité diminuent le nombre de soins de première ligne pouvant être administrés par les pharmaciens, bien qu’ils soient formés pour le faire. En Ontario, par exemple, les pharmaciens ne peuvent prescrire et interpréter des analyses en laboratoire. Ainsi, si un pharmacien découvre une interaction négative potentielle entre une nouvelle prescription et un médicament déjà prescrit, le patient doit être renvoyé chez son médecin de famille ou infirmière praticienne pour que des analyses sanguines soient effectuées. En Alberta, un pharmacien aurait pu demander à ce qu’il soit testé directement, évitant ainsi au patient et au système la nécessité d’une rencontre supplémentaire avec un professionnel de la santé.

Bien que la Colombie-Britannique ne possède aucune clinique dirigée par des pharmaciens, le champ d’exercice des pharmaciens s’y élargit graduellement : en 2023, ces professionnels de la santé ont acquis de nouveaux pouvoirs de diagnostic et de prescription pour des affections mineures(14). Leurs conditions se rapprochent ainsi de celles des autres provinces, mais ils restent tout de même moins autonomes que leurs homologues en Alberta(15).

Afin de mettre à profit la formation et l’expertise des pharmaciens, il est essentiel non seulement de leur permettre d’ouvrir des cliniques, mais aussi d’étendre leur champ d’exercice et leur pouvoir de prescription, comme l’a fait l’Alberta. Alors que tant de Canadiens et Canadiennes attendent et souffrent parfois inutilement, ou sont contraints de se rendre aux urgences pour des affections mineures, nous ne pouvons simplement pas nous permettre de sous-utiliser ces ressources précieuses en matière de soins de santé.

Références

  1. NosSoins, NosSoins : Principales conclusions de l’enquête : Rapport sommaire, mai 2023, p. 13.
  2. Ross T. Tsuyuki et Kaitlyn E. Watson, « Taking primary care pharmacy to the next level », Revue des pharmaciens du Canada, vol. 156, no 2, 2023, p. 52; Les Compagnies Loblaw limitée, « Shoppers Drug Mart to hit record milestone: 103 pharmacy care clinics across Alberta by the end of 2024 », communiqué de presse, 25 janvier 2024.
  3. Association des pharmaciens du Canada, Champ d’exercice des pharmaciens au Canada, 2 octobre 2023; Association des pharmaciens du Canada, Pouvoir de prescription des pharmaciens au Canada, 14 décembre 2023.
  4. Wasem Alsabbagh et Sherilyn K.D. Houle, « The proportion, conditions, and predictors of emergency department visits that can be potentially managed by pharmacists with expanded scope of practice », Research in Social and Administrative Pharmacy, vol. 15, 2019, p. 1291.
  5. Stephanie C. Gysel et Ross T. Tsuyuki, « The pharmacist primary care clinic: The evolution of pharmacy practice? » Revue des pharmaciens du Canada, vol. 157, no 2, 2024, p. 48; Massy Forget Langlois relations publiques, « Ouverture d’espaces de soins cliniques novateurs chez Pharmaprix », communiqué de presse, 25 septembre 2023.
  6. Association des pharmaciens du Canada, op. cit., note 3.
  7. Stephanie C. Gysel et Ross T. Tsuyuki, op. cit., note 5, p. 47.
  8. Cara Tannenbaum et Ross T. Tsuyuki, « The expanding scope of pharmacists’ practice: implications for physicians », JAMC, vol. 185, no 14, p. 1229.
  9. M. Terner et al., « Chronic conditions more than age drive health system use in Canadian seniors », Healthcare Quarterly, vol. 14, no 3, 2011, p. 19-22, tel que cité dans Cara Tannenbaum et Ross T. Tsuyuki, ibid., p. 1230.
  10. NosSoins, op. cit., note 1, p. 7.
  11. Ross T. Tsuyuki et Kaitlyn E. Watson, op. cit., note 2, p. 52.
  12. Jonathan C.H. Chan, « The Future of Pharmacy is Now: A Canadian Perspective », Australian Pharmacy Students’ Journal, vol. 3, no 1, 2024, p. 50-51; Ellen Raffety et al., « Costs and savings associated with a pharmacists prescribing for minor ailments program in Saskatchewan », Cost Effectiveness and Resource Allocation, vol. 15, no 3, 2017, p. 6-9; Stephanie C. Gysel et Ross T. Tsuyuki, op. cit., note 5, p. 48.
  13. NosSoins, op. cit., note 1, p. 7.
  14. Elizabeth McSheffrey, « B.C. Pharmacists did 891 patient assessments on first day of new prescribing powers », Global News, 9 juin 2023.
  15. Association des pharmaciens du Canada, Pouvoir de prescription des pharmaciens au Canada, op. cit., note 3.
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