Budget fédéral 2024: l’art de se tirer dans le pied
L’ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, avait eu un mot d’esprit intéressant lorsqu’il avait conçu le verbe « s’autopeluredebananiser », afin de parler d’un comportement autodestructeur. S’il était toujours parmi nous, il n’est pas impossible qu’il estime que cette expression fasse comme un gant à l’actuel gouvernement fédéral.
Le gouvernement Trudeau nous avait promis un budget mémorable. Il a bien raison. En temps de paix et à l’abri de l’urgence sanitaire, on aura beaucoup de difficulté à se souvenir d’un pire budget.
Le gouvernement identifie plusieurs des maux qui nous affligent. Puis il propose des mesures qui vont les empirer plutôt que de les estomper.
On pourra prendre l’exemple du dossier du logement. Ce n’est plus un secret pour personne, les prix du logement ont beaucoup augmenté au cours des dernières années. Le coupable: une croissance de l’offre beaucoup plus faible que celle de la demande au cours des dernières années.
La situation est telle qu’aujourd’hui, selon les estimations de la Société canadienne d’hypothèque et de logement, le Canada devrait bâtir 5,1 millions de logements d’ici 2030 afin que les prix reviennent à des niveaux qu’elle qualifie d’abordables. Soyons clairs, les chances d’y arriver sont extrêmement faibles, mais toutes mesures qui aident à s’en approcher seront les bienvenues.
À ce sujet, le budget 2024 ne manque pas de mesures en lien avec le logement, le terme apparaissant 564 fois dans le document budgétaire. Ce que nous propose le gouvernement Trudeau, en revanche, est d’augmenter le montant pouvant être prélevé à même les REER pour financer un premier achat, puis encore avec un amortissement plus long des hypothèques.
Augmenter les prix
Sans se prononcer sur le mérite de ces mesures, on peut tout de même immédiatement entrevoir qu’elles vont faire augmenter la demande plutôt que l’offre et qu’elles contribueront donc à faire augmenter les prix.
On ne pourra pas reprocher au gouvernement d’être divorcé du réel lorsqu’il souligne l’importance d’augmenter la productivité et l’investissement. La mesure qu’il propose ayant le plus grand effet sur ceux-ci, cependant, risque plutôt de ralentir les investissements dans notre économie en augmentant le taux d’inclusion pour le gain en capital.
Essentiellement, passé 250 000$, le pourcentage des gains en capitaux considérés pour fins d’impôt passera de 50% à 66%. Bien qu’on se doute que ceux et celles qui sont dans cette situation ne mangeront pas leurs chaussettes, on devine bien que cette mesure aura un effet délétère sur l’investissement.
Pour parler en termes simples: les taxes les plus efficaces sont celles qui visent les choses que l’on souhaite voir diminuer. Il est facile de concevoir que le contraire de cela est ce à quoi on aspirait sur le plan des investissements en capitaux.
Pompier pyromane
On s’était habitué à voir le gouvernement jouer aux apprentis sorciers avec des budgets déficitaires, des dépenses contre-productives dans certains secteurs de l’économie, ou encore des cadres réglementaires trop contraignants. Mais cette fois-ci, c’est un véritable pompier pyromane qui se révèle au grand jour.
Cette nouvelle mesure des libéraux a également ceci d’ironique qu’elle nous propose de renflouer le gouvernement pour ses dépenses qui augmentent d’année en année par l’entremise d’une taxe qui générera des revenus décroissants. C’est le monde à l’envers.
En effet, alors que le gouvernement s’attend à ce que ce rehaussement du taux d’inclusion du gain en capital lui rapporte 19,4 milliards de dollars sur cinq ans, ses prévisions de revenus pour la première année sont de 6,9 milliards. Il n’est pas prévu que ce sommet de revenus soit atteint pour une seule des quatre années subséquentes.
Cela s’explique notamment par le fait que les contribuables sont des gens rationnels, modifiant leurs comportements en réponse aux changements de politiques publiques. En taxant davantage les revenus d’investissement, le gouvernement fédéral réduit le rendement net obtenu par les investisseurs, et ce sans modifier le risque de leurs investissements.
Le résultat est donc que certains investissements ici n’en valent plus nécessairement le risque, lorsqu’on considère le retour net plus faible qu’ils obtiendront.
Comme nous vivons dans un monde interconnecté, il faut aussi comprendre que toute politique publique contribuant à rendre le Canada moins attirant pour les investisseurs rend de facto l’investissement plus attirant à l’étranger pour nos investisseurs locaux.
Ultimement, il ne faut pas avoir la tête à Papineau pour comprendre que ce changement fiscal aura pour effet de réduire les mêmes investissements que le gouvernement cherche pourtant à attirer.
Que ce soit en matière de logement ou en matière de productivité et d’investissement, le gouvernement Trudeau sait bien identifier les problèmes. Malheureusement, avec les solutions proposées dans le plus récent budget, il risque fort de les exacerber.
Daniel Dufort est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.