À Montréal, construisons plus et taxons moins
Une politique publique ne doit pas être jugée en fonction de ses intentions, mais de ses résultats. L’adage « L’enfer est pavé de bonnes intentions » nous le rappelle que trop bien. Pourtant, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, semble insister pour que l’on juge les objectifs de son règlement pour une métropole mixte — aussi connu sous le nom de « règlement 20-20-20 » — plutôt que ses effets observables.
Alors que le règlement nous est encore présenté comme un moyen de promouvoir l’abordabilité en insérant des logements sociaux, abordables et familiaux dans tous les projets de cinq logements ou plus, il s’est plutôt opérationnalisé sous forme de taxe.
Les données recueillies par la Ville de Montréal nous l’indiquent clairement : aucun logement social n’a été bâti dans 97 % des projets visés par ce règlement. En contrepartie, la Ville a pu facturer plus de 38 millions de dollars en taxes aux promoteurs. Ils ont été amassés en imposant une contribution aux promoteurs allant jusqu’à 10 535 $ par logement bâti.
Comme vous vous en doutez bien, ceux-ci ont répondu à cette taxe en augmentant les prix de vente ou de location des nouvelles résidences, refilant la facture aux propriétaires ou aux locataires. L’échec de la mesure est sans équivoque.
On pourrait s’attendre à ce que, devant ce constat, l’administration admette qu’elle a fait fausse route et abroge ce règlement pour le bien des Montréalais et Montréalaises. À la place, elle en rajoute en proposant d’augmenter le niveau de la contribution — lire ici : taxe — imposée aux promoteurs.
Cela s’inscrit dans une dynamique où, plutôt que de considérer les promoteurs comme une part de la solution permettant de développer l’offre, l’administration municipale adopte une approche d’affrontement, les percevant comme un frein à ses solutions et à ses façons de faire.
Depuis que l’administration Plante est entrée en poste, par exemple, on dénombre près de 25 000 logements entravés par les décisions de l’administration municipale. Le développement du secteur Bridge-Bonaventure est un exemple qui montre cette dynamique à l’oeuvre.
Ce secteur, situé à deux pas du centre-ville, entre le bassin Wellington, l’île des Soeurs et le Vieux-Port, avait un potentiel de développement allant jusqu’à 15 000 logements, selon les promoteurs intéressés par le projet.
Après avoir d’abord fixé la limite à 4000 logements, l’administration municipale s’est ravisée et a fait monter sa limite à 7600 logements, soit à peine plus de la moitié du potentiel perçu. D’un coup de crayon, l’administration Plante a ainsi éliminé 7400 potentiels nouveaux logements pour des familles montréalaises.
Il est pourtant clair que la construction de ces logements aurait pu aider à contrecarrer la hausse rapide des loyers que nous avons observée au cours des dernières années.
Chaîne de déplacement
Des études s’étant penchées sur le phénomène montrent que la construction de nouveaux logements, peu importe la gamme de prix, aide à libérer des appartements plus abordables pour ceux et celles qui en ont besoin. C’est la dynamique de la « chaîne de déplacement ».
En effet, lorsqu’une famille emménage dans un nouveau logement, elle libère le logement qu’elle occupait, bien souvent à moindre prix, pour une autre famille. Cette chaîne de déplacement entraîne des effets positifs à tous les niveaux de revenu.
Une étude indique que, pour chaque tranche de 100 logements bâtis, peu importe le prix, ce déplacement rend un minimum de 45 logements disponibles dans les quartiers où le revenu moyen est inférieur au revenu médian, dont 17 pour le quintile le moins nanti.
Autrement dit, les près de 25 000 logements entravés par l’administration Plante depuis son entrée en poste représentent un potentiel manqué de 10 700 logements libérés dans des quartiers populaires, dont 4000 à des prix accessibles au quintile le moins nanti.
Sur le plan de l’abordabilité, il est évident que ces logements en auraient fait bien plus que la mesure phare de l’administration — le règlement 20-20-20 — en a fait jusqu’à présent.
Le fait est que, si se loger coûte aussi cher aujourd’hui à Montréal, c’est parce que la croissance de l’offre n’a pas suivi celle de la demande au cours des dernières années.
C’est le constat que fait la Société canadienne d’hypothèques et de logement lorsqu’elle affirme que le Québec devrait bâtir 1,2 million de logements d’ici 2030 si l’on veut retrouver l’abordabilité d’antan. Ça, ce n’est pas quelque chose qui se fera à coups de taxes ou de règlements, mais bien en déliant les mains des promoteurs.
On ne doute pas de la bonté des intentions de la mairesse, mais ce sont les résultats qui comptent pour tous les Montréalais et Montréalaises qui ont présentement de la difficulté à payer leur logement.
Gabriel Giguère est analyste en politiques publiques à l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.