Pourquoi s’arrêter aux « super-infirmières »?
La ministre de la Santé, Danielle McCann, veut que les infirmières praticiennes spécialisées du Québec (IPS) puissent poser des diagnostics, comme c’est le cas partout au Canada. Le Collège des médecins, après s’être fait tordre un bras, a fini par se faire à l’idée, tandis que le syndicat des médecins omnipraticiens se fait encore tirer l’oreille. Cette résistance est-elle justifiée ?
Comme dans bien d’autres domaines en santé, le Québec traîne la patte par rapport aux autres provinces. On compte à peine 5 infirmières praticiennes par tranche de 100 000 habitants ici, alors que la moyenne canadienne est de 15, et que cette même proportion s’élève à plus de 22 en Ontario. Ainsi, on comptait en tout un peu plus de 3300 infirmières praticiennes en Ontario en 2018, contre à peine 484 pour le Québec. (On peut donc tout de suite mettre une croix sur l’objectif de 2000 infirmières praticiennes en 2024.)
Ce n’est pourtant pas comme si, au Québec, la première ligne arrivait à répondre à la demande de soins.
Le Québec – comme le reste du Canada d’ailleurs – a peu de médecins lorsqu’on le compare avec la plupart des pays développés ; un Québécois sur cinq n’a toujours pas accès à un médecin de famille, et un sur trois sur l’île de Montréal. La Belle Province est aussi en queue de peloton parmi les pays développés pour l’accès à une consultation le jour même ou le lendemain. Quant au temps d’attente dans les urgences du Québec, il est maintenant légendaire. Permettre aux infirmières praticiennes d’en faire plus ne réglerait pas tous les problèmes, mais disons que ça ne nuirait pas.
Il n’y en a pas de problème!
On sait, grâce à plusieurs études réalisées sur le sujet, que les infirmières praticiennes peuvent donner un large éventail de soins de première ligne, qui varie de 60 à 90 % selon les cas. Ces chiffres ont d’ailleurs été confirmés par l’American College of Physicians – un regroupement de médecins. Un avantage évident est de libérer les toubibs de cas relativement plus simples afin qu’ils puissent se concentrer sur ceux pour lesquels ils détiennent une expertise particulière.
Voilà pour la quantité. Et pour la qualité ? Les patients, eux, ne se plaignent pas.
Une recension d’une vingtaine d’études effectuées dans des pays de l’OCDE a noté des taux de satisfaction très élevés de la part de patients ayant consulté des infirmières praticiennes.
Ce sentiment a été corroboré par les indicateurs de santé, qui se sont avérés semblables à celui de patients traités par des médecins. Fait notable, les consultations généralement plus longues accordées par les infirmières praticiennes et l’attention supplémentaire portée à la prévention ont entraîné l’amélioration de certains indicateurs, notamment dans le cas de maladies chroniques comme le diabète. Une diminution de l’attente pour accéder aux soins et aux médicaments a aussi été observée.
Ceux qui s’inquiètent de possibles frictions ou divergences d’opinions peuvent être rassurés : une étude qui a comparé les décisions d’infirmières praticiennes à celles de médecins pour 600 patients au Royaume-Uni a noté qu’ils s’étaient entendus sur 94 % des diagnostics, et sur 96 % des traitements. Bref, il n’y en a pas de problème !
Faire sauter les barrières aux soins
Le cas des diagnostics pour les problèmes de santé courants et certaines maladies chroniques est maintenant réglé, mais des barrières demeurent, et les Québécois n’ont toujours pas accès aux pleines compétences des infirmières praticiennes. Pourquoi ? Sous l’argument de la « protection du public », on trouve en fait une bonne dose de corporatisme. Les restrictions imposées aux infirmières praticiennes du Québec sont un exemple typique de capture réglementaire en faveur d’un petit groupe influent (les médecins, par le truchement de certains des groupes les représentant), au détriment de l’ensemble des Québécois.
La ministre de la Santé a raison de vouloir faire sauter ces verrous. Le même esprit d’ouverture devrait s’appliquer à l’ensemble des professionnels de la santé. On peut penser par exemple aux pharmaciens ou aux hygiénistes dentaires ; le Québec fait encore bande à part en interdisant aux premiers d’administrer des vaccins, et aux secondes d’exercer leur métier sans être supervisées par un dentiste. En somme, l’objectif n’est pas d’opposer un professionnel à un autre, mais bien d’assurer le meilleur accès possible aux soins.
Patrick Déry est analyste senior en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il est l’auteur de « Doit-on permettre aux superinfirmières de poser des diagnostics? » et signe ce texte à titre personnel.
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