L’obésité augmente même si on consomme moins de sucre
Récemment, la ministre déléguée à l’Éducation, Isabelle Charest, a émis des réserves à l’idée de taxer la malbouffe, faisant valoir que « les gens étaient capables de jugement », et disant préférer des « campagnes positives » au « restrictif ». À la confiance exprimée par la ministre envers la liberté de choix de chacun, on pourrait ajouter qu’il existe de forts arguments économiques contre une telle taxation. C’est entre autres le cas pour les boissons sucrées.
Le paradoxe du sucre
Contrairement à ce qu’on est porté à croire et selon de récentes données, notamment celles de Statistique Canada, de l’Organisation mondiale de la Santé et des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, le sucre n’est pas la cause de l’augmentation des taux d’obésité. Les Québécois et les autres Canadiens consomment de moins en moins de boissons sucrées, et celles qu’ils consomment contiennent de moins en moins de sucre. La consommation de sucre en général a elle aussi diminué depuis dix ans. Malgré cela, l’« épidémie » d’obésité poursuit sur sa lancée et touche aujourd’hui près d’un Canadien sur trois.
On observe le même phénomène ailleurs. Aux États-Unis, la consommation de sucre et de ses équivalents (y compris le sirop de maïs riche en fructose utilisé dans les boissons gazeuses) a diminué depuis la fin des années 1990. Le taux d’obésité, lui, continue d’augmenter. Même chose en Australie, où ce paradoxe a été largement commenté.
Toujours selon ces données, non seulement il n’y a pas de causalité, mais il n’y a même pas de corrélation entre la consommation de sucre et le taux d’obésité. Le constat n’est pas que statistique. Plusieurs tests cliniques où les diètes sont contrôlées ont montré qu’à calories égales, le sucre n’a rien de spécial qui causerait directement l’obésité.
Les dangers de taxer le sucre
Taxer le sucre pourrait même avoir des effets néfastes. Pourquoi? Lorsqu’on taxe un produit, les comportements changent, et les gens reportent leur consommation sur d’autres produits. L’effet d’une hypothétique taxe sur les boissons sucrées va dépendre de ce qui les remplacerait dans le régime alimentaire. L’exemple de l’Oregon permet d’illustrer ce point. Lorsque le lait au chocolat y a été banni des écoles primaires, il s’est vendu moins de lait, une grande part du lait vendu a été gaspillé, et beaucoup d’élèves ont cessé d’acheter des repas à l’école. Des chercheurs ont aussi soupçonné une compensation par d’autres aliments et boissons sucrées à l’heure de la collation.
Si, malgré la taxe, les gens continuent à manger trop, non seulement cette politique publique n’aura eu pas l’effet voulu, mais elle aura augmenté le prix de certains produits alimentaires, ce qui affectera davantage les moins aisés. Des gens pourraient être tentés de sacrifier une partie de leur consommation de lait, de fruits ou de légumes pour maintenir leur consommation de sucre. L’effet net sur la santé publique ne serait pas neutre, il serait négatif.
Le même problème se poserait s’il était question de taxer les aliments transformés, parfois aussi accusés d’être responsables de la hausse de l’obésité. Ces aliments contiennent 55 % de l’apport en fibres alimentaires dans l’alimentation des Américains, 48 % du calcium, 43 % du potassium, 34 % de la vitamine D, 64 % du fer, 65 % de l’acide folique et 46 % de la vitamine B-12. Si on taxait les aliments transformés, il n’y a aucune assurance que ce qui prendrait leur place serait aussi riche en ces nutriments, ou même moins calorique. Comme c’est le cas pour les boissons sucrées, taxer ces produits pourrait bien avoir pour effet d’empirer l’alimentation d’une partie de la population.
La nutrition, et la consommation de façon plus générale, sont plus complexes que nous le croyons généralement. Si on tentait de modifier les comportements alimentaires des Québécois avec des taxes, il serait impossible de prévoir avec certitude ce sur quoi ils reporteraient leur consommation. Les solutions simplistes telles que la taxation des boissons sucrées ne traitent pas de problèmes plus fondamentaux, comme une éducation adéquate en matière de saine alimentation et de saines habitudes de vie, qu’une taxe ne peut remplacer.
Mathieu Bédard est économiste à l’Institut économique de Montréal et l’auteur de « Taxer le sucre n’empêchera pas une hausse de l’obésité ». Il signe ce texte à titre personnel.
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