Quand les syndicats veulent punir leurs membres
S’il y a un trou dans un mur de votre maison, allez-vous boucher ce trou ou reconstruire la maison? Dans le dossier de l’assurance médicaments, des syndicats préfèrent étrangement la deuxième option. Ce qui est encore plus étrange est qu’ils vont ainsi punir des millions de Québécois parmi leurs membres et les familles de ceux-ci.
Tous les Québécois bénéficient d’une assurance médicaments, depuis une vingtaine d’années maintenant. Si votre employeur ou celui de votre conjoint offre une assurance, vous devez y adhérer, de même que vos enfants; sinon vous êtes couvert d’office par le régime public.
L’avantage d’un tel système est que plusieurs compagnies d’assurance sont en concurrence entre elles pour vendre leurs services et offrir une meilleure couverture aux entreprises et à leurs employés. Le régime public établit le minimum à respecter, mais rien n’interdit aux assureurs privés d’offrir plus; la concurrence produisant ses effets, plusieurs le font.
L’assurance « futée »
Des compagnies d’assurance décident ainsi de rembourser des médicaments qui ne sont pas couverts par le régime public, ou à tout le moins les approuvent plus rapidement. Les assureurs privés peuvent aussi décider de rembourser un montant plus élevé que le régime public, ou encore de couvrir des services que celui-ci n’assure pas, par exemple des soins reçus à l’étranger ou des soins paramédicaux, comme ceux donnés par un physiothérapeute, un chiropraticien ou un psychologue, les soins dentaires pour les adultes ou même l’achat de lunettes.
Le régime québécois n’est pas parfait. Même si tous les Québécois sont couverts par une forme d’assurance médicaments, quelque 9 % d’entre nous omettent de prendre un médicament au cours d’une année pour des raisons financières. Pourquoi ne pas tout simplement offrir une aide ciblée à cette partie de la population? En cette ère où la cuisine et l’hypothèque peuvent être futées, appelons cette solution « l’assurance universelle futée ».
L’assurance « infiniment moins futée »
Les centrales syndicales proposent de régler le problème des 9 % qui peinent parfois à payer leurs médicaments en rasant le système qui fonctionne pour les 91 % autres; c’est l’équivalent de démolir la maison plutôt que de boucher le trou dans le mur. C’est le modèle « infiniment moins futé ».
Le résultat serait la réduction de la couverture des médicaments et d’autres traitements pour des millions de Québécois, sans compter les coûts immenses que cela entraînerait pour le trésor public, et les hausses d’impôt qui s’ensuivraient (pour l’ensemble du Canada, l’ex-directeur parlementaire du budget a estimé ces coûts à 20 milliards par année). Et, bien sûr, on tomberait dans une logique de contrôle des coûts, plutôt que de concurrence pour les services.
La Nouvelle-Zélande, un pays cher aux avocats d’un monopole étatique, est dix ans en retard pour l’accès à certains médicaments pour combattre le diabète, le cholestérol ou le cancer; l’Angleterre, un autre « modèle », a aussi contrôlé ses coûts en limitant l’accès à des traitements anticancéreux, ce qui a eu un impact sur les taux de survie dans ce pays. Est-ce qu’on souhaite ça ici?
Ce désir des syndicats de passer notre régime mixte actuel sous le rouleau compresseur est d’autant plus incompréhensible que les grandes entreprises syndiquées – donc celles qui emploient leurs membres – sont souvent celles qui offrent les régimes d’assurance les plus luxueux.
S’assurer que chacun puisse recevoir les soins dont il a besoin est une préoccupation absolument légitime, et les syndicats peuvent très bien faire la promotion d’un système qui ne laisse personne derrière, sans bousiller la couverture plus avantageuse dont bénéficient actuellement la plupart de leurs membres. Mais, comme le montre l’expérience internationale, ils font erreur s’ils croient qu’un régime d’assurance médicaments entièrement étatique offrira une couverture plus généreuse que celle actuellement offerte par un bon nombre de régimes d’assurance privée au Canada.
Pénaliser des millions de travailleurs dans le but d’en aider une petite minorité n’est pas la solution.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal, Patrick Déry est analyste en politiques publiques à l’IEDM. Ils signent ce texte à titre personnel.