Urgences : le déni du ministre Barrette
Si vous faites partie des quelque 212 000 personnes qui ont passé plus de 24 heures à l’urgence d’un hôpital l’an dernier, il semble que vous avez rêvé. En tout cas, c’est la prétention du ministre de la Santé, Gaétan Barrette.
D’ailleurs, selon le ministre, on « n’attend » pas à l’urgence. On y est simplement « activement observé ». Les patients québécois doivent être des individus particulièrement compliqués sur le plan anatomique, puisque le Québec est probablement l’endroit parmi les pays développés où les patients sont « activement observés » le plus longtemps avant d’être hospitalisés ou de recevoir leur congé…
Bref, l’attente à l’urgence n’a pas baissé cette année, et le ministre de la Santé n’est pas content. Il a même laissé entendre que l’Institut économique de Montréal (IEDM) avait tripoté des chiffres pour arriver à ses conclusions. Pour un institut de recherche comme le nôtre, il s’agit d’une accusation assez grave. Pourquoi le ministre est-il fâché?
Vous attendez toujours autant
Le ministère de la Santé avait publié ce printemps des chiffres montrant que la durée de séjour moyenne à l’urgence pour un patient sur civière avait baissé de presque deux heures l’an dernier (de 15,6 à 13,7 heures), et d’une demi-heure pour l’ensemble des patients séjournant à l’urgence (de 7,8 à 7,3 heures). À première vue, c’était impressionnant.
Par contre, lorsque l’on prend la durée médiane de séjour sur civière, celle-ci n’a baissé que d’une vingtaine de minutes (de 9,5 à 9,2 heures), tandis qu’elle a légèrement augmenté pour l’ensemble des patients (de 4,4 à 4,5 heures). En somme, les Québécois attendent autant. Il n’y a pas eu de baisse.
Les statistiques que nous avons publiées proviennent du ministère de la Santé. Pourquoi nos conclusions sont-elles différentes? Parce que nous avons utilisé la durée de séjour médiane, plutôt que la durée de séjour moyenne. Pourquoi? Parce que la médiane, qui est le point milieu des données – où il y a autant de patients qui ont attendu moins qu’il y a de patients qui ont attendu plus – est plus représentative de ce que les patients vivent à l’urgence. N’importe quel statisticien vous le confirmera. D’autres systèmes de santé utilisent aussi la médiane pour mesurer ce genre de donnée.
Le problème avec la durée moyenne
La durée moyenne de séjour n’est pas en soi un mauvais indicateur; le problème est qu’elle est très sensible aux valeurs extrêmes. L’an dernier, à la suite de l’ultimatum lancé par le ministre de la Santé, visant à interdire les séjours de 48 heures à l’urgence, les gestionnaires d’hôpitaux ont fait des pieds et des mains pour atteindre les cibles ministérielles.
Cependant, en l’absence de ressources ou d’incitations additionnelles, les patients qui attendaient deux jours ou plus à l’urgence ne sont pas disparus par magie dans bien des cas, ils ont simplement été déplacés ailleurs. On sait entre autres qu’il y a eu un recours important à des unités de débordement, qui sont essentiellement des « extensions » de l’urgence où l’on envoie les patients sur civière en attendant qu’ils soient hospitalisés (envoyés aux étages) ou qu’ils reçoivent leur congé. Ces patients attendent donc toujours sur une civière, mais ne sont plus comptabilisés.
Ainsi, l’an dernier, le nombre de patients qui a séjourné plus de 48 heures à l’urgence était d’environ 30 000, contre 60 000 l’année précédente. Même s’il y a sans doute eu des améliorations à la marge, cette baisse est vraisemblablement artificielle, même si elle a eu un impact important sur la durée moyenne de séjour. Et ça n’a rien changé pour les patients qui attendent 5, 10 ou 15 heures à l’urgence.
Même mesure, même méthodologie, mêmes chiffres
Contrairement à ce que le ministre a prétendu dans un reportage, nous n’avons pas changé de méthodologie : il s’agit des mêmes chiffres qui mesurent la même chose de la même façon, colligés par son propre ministère, que nous avons obtenus via une demande d’accès à l’information et qui sont maintenant disponibles publiquement.
Nous avons simplement utilisé un autre indicateur statistique, soit la durée médiane de séjour à l’urgence, afin de valider l’hypothèse suivante: se peut-il que la baisse, réelle ou artificielle, du nombre de séjours de 48 heures ait affecté la durée de séjour moyenne, mais que l’expérience vécue par la grande majorité des Québécois à l’urgence n’ait pas beaucoup changé?
Il semble que ce soit le cas. Au lieu de se fâcher contre les lois de la statistique, le ministre devrait s’occuper de ses urgences.
Patrick Déry est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal et l’auteur de « Les hôpitaux du Québec ont besoin d’entrepreneuriat ». Il signe ce texte à titre personnel.
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