Trente-huit ans d’attente à l’urgence
« Hôpitaux : Québec met de l’ordre dans les urgences – Aucun malade ne pourra y rester plus de 48 heures ». La manchette de La Presse pourrait avoir été écrite l’an dernier, comme en témoigne l’ultimatum lancé par le ministre de la Santé au printemps 2017. Elle date en fait du 11 mars… 1980. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Plus tôt cette année, certains se réjouissaient de la diminution du temps d’attente aux urgences. Pour l’année financière 2017-2018, la durée moyenne de séjour dans l’ensemble des urgences du Québec était de 7,3 heures, contre 7,8 heures l’année précédente, une amélioration d’une demi-heure. Pour les patients sur civière, soit les cas les plus lourds, la durée moyenne de séjour est passée de 15,6 à 13,7 heures, une chute à première vue impressionnante de près de deux heures.
Or, le portrait réel, mesuré par la durée médiane de séjour, est moins reluisant. Cette mesure est moins influencée par les extrêmes et donc plus représentative de la situation vécue par les patients. Selon les données du Ministère, la durée médiane est passée de 9,5 à 9,2 heures l’an dernier pour les patients sur civière, une diminution modeste de 18 minutes. Pour l’ensemble des patients, la durée médiane a même légèrement augmenté de 4,4 heures à 4,5 heures.
Bref, rien n’a changé. On stagne.
Même la légère baisse pour les patients sur civière pourrait n’être qu’apparente. Plusieurs intervenants du milieu de la santé ont fait valoir que des patients faisant de très longs séjours à l’urgence ont simplement été déplacés vers des unités de débordement, où ils ne sont plus comptabilisés. Malgré tout, quelque 212 000 patients ont séjourné « officiellement » plus de 24 heures à l’urgence l’an dernier, et 30 000, plus de 48 heures.
Prêt pour un projet-pilote
Le passage au financement à l’activité attendu prochainement encouragera une saine concurrence entre les hôpitaux et récompensera ceux qui attireront plus de patients, au lieu de les punir comme c’est le cas présentement. C’est un bon premier pas.
Un second, tout aussi important, serait de faire appel au secteur privé pour la gestion d’un certain nombre d’hôpitaux, tout en maintenant le financement public. À ceux qui sont déjà en arrêt respiratoire à la lecture de ces lignes, soyez rassurés : cela se fait dans la plupart des pays développés. À peu près tous font mieux que le Québec et le Canada pour l’attente aux urgences.
Concrètement, on pourrait confier la gestion de quelques hôpitaux québécois à des entreprises privées dans le cadre d’un projet-pilote. Des ententes récompenseraient l’atteinte de cibles de performance tout en tenant compte de la qualité et de l’accès aux soins, ainsi que de la satisfaction des patients.
De l’Allemagne au Québec
L’Allemagne a pris le virage vers le privé au début des années 90. La part des hôpitaux privés à but lucratif y a presque doublé en 20 ans. La qualité des soins des anciens hôpitaux publics s’est améliorée après leur privatisation, de même que leur efficacité, sans que l’accès aux soins soit remis en cause.
Seulement 1 % des patients attendent plus de cinq heures à l’urgence en Allemagne.
En Suède également, le recours au secteur privé à but lucratif a produit des effets spectaculaires, le seul hôpital privé du pays doté d’une salle d’urgence, soit Saint Göran, à Stockholm, est celui où les temps d’attente sont les plus bas : moins de 1 % des patients y séjournent plus de huit heures. L’hôpital est considéré comme l’un des meilleurs au pays, et il est parfaitement intégré au système public, financé par l’État. Il coûte lui aussi moins cher.
La capacité de l’entrepreneuriat à livrer des performances supérieures à l’intérieur d’un système de santé universel ne devrait surprendre personne au Québec. L’exemple des CHSLD privés conventionnés, parfaitement intégrés au réseau public, montre qu’ici aussi la recherche du profit incite les entrepreneurs à être plus efficaces, tout en offrant de meilleurs soins.
Toutes les promesses et la bonne volonté du monde seront sans effet si les paramètres fondamentaux de notre système de santé ne changent pas ; c’est simplement une question d’incitations. Après plus de 40 ans de gestion publique qui n’a essentiellement créé que des listes d’attente, puis de multiples réformes qui n’ont jamais réussi à les enrayer, le Québec est mûr pour laisser place à l’innovation et à l’entrepreneuriat dans ses hôpitaux.
Patrick Déry est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal et l’auteur de « Les hôpitaux du Québec ont besoin d’entrepreneuriat ». Il signe ce texte à titre personnel.
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