Le mythe des services sans fil les plus chers au monde
Imaginez une comparaison de ce que deux personnes doivent débourser pour la location d’une voiture, qui omet de préciser que la première est une gestionnaire à revenu élevé qui loue une Lexus pour ses déplacements quotidiens, tandis que l’autre est un retraité à bas revenu qui loue une Yaris qu’il utilise une fois par semaine.
La gestionnaire paie sûrement beaucoup plus que le retraité, mais peut-on affirmer qu’elle paie un prix trop élevé pour son service de location? Une comparaison brute des deux prix ne nous révélera pas grand-chose de pertinent. Il faut en effet tenir compte de la qualité de la voiture louée, de la fréquence d’utilisation, du pouvoir d’achat du consommateur, et d’une foule d’autres critères avant de pouvoir tirer une telle conclusion.
C’est pourtant une comparaison brute et simpliste que font systématiquement les critiques des prix des services sans fil canadiens, dont Ariane Krol, sur la base de l’étude annuelle de Nordicity.
Cette étude comporte des failles méthodologiques majeures. Comme l’indique un avertissement, elle ne tient pas compte de la vitesse ou de la qualité des réseaux ni des facteurs géographiques ou socioéconomiques qui pourraient expliquer les différences de prix, tels que la densité de population, le niveau d’utilisation, la capacité de payer des consommateurs et d’autres indicateurs liés à l’abordabilité.
En bref, elle n’est qu’une comparaison brute de prix sans aucune mise en contexte. Le fait d’ignorer tous ces facteurs crée une distorsion systématique qui fait paraître les services canadiens plus chers qu’ils le sont en réalité.
La réalité, c’est notamment que les Canadiens comptent parmi les plus grands consommateurs de données au monde et qu’ils paient pour les services parmi les meilleurs au monde.
Dans son dernier rapport, OpenSignal indique que « le Canada est devenu un véritable leader mondial de la LTE, tout particulièrement en matière de vitesse. Certaines des plus hautes mesures de vitesse que nous relevons à l’échelle mondiale proviennent maintenant de ce pays d’Amérique du Nord. Mais la vitesse brute n’est pas la seule chose dont le Canada peut s’enorgueillir. L’accès aux signaux LTE est excellent et le pays est en train de jeter des bases solides pour la 5G ».
Comment expliquer cette excellente performance? C’est simple : les entreprises canadiennes de télécommunications investissent plus dans leurs réseaux que celles de presque tous les autres pays.
Selon des études internationales, elles se situent au premier rang du G7 pour ce qui est des dépenses en capital par abonné au sans-fil, au cinquième rang sur 35 pays de l’OCDE en ce qui a trait aux investissements par habitant, et au troisième rang sur 35 pour ce qui est des investissements en proportion de leurs recettes.
Nordicity ne tient pas compte non plus des marques dérivées dans sa comparaison de prix et laisse croire que les prix les plus élevés offerts par les trois grandes entreprises sont ceux que tout le monde paie.
Cela masque une réalité fondamentale, qui est que les Canadiens disposent de toute une gamme d’options plus abordables offertes par les marques dérivées, les fournisseurs régionaux et les revendeurs.
L’étude de Nordicity comporte de nombreuses autres limites méthodologiques. L’argument selon lequel on ne devrait pas s’étonner des prix élevés, étant donné que Bell, Telus et Rogers contrôlent 90 % du marché, ne tient pas non plus la route. La majorité des pays développés ne comptent que trois acteurs nationaux. Au Canada, chaque région compte en plus un acteur local solide tout à fait capable de faire concurrence aux gros, comme Vidéotron au Québec.
En bref, les Canadiens paient pour une Lexus, et non pour une Yaris.
Il n’y a pas moins de concurrence au Canada qu’ailleurs, les tarifs correspondent aux services de qualité que les Canadiens demandent et obtiennent, et il n’y a aucune raison pour le gouvernement d’intervenir davantage dans ce secteur. C’est ce qu’on constate quand on analyse l’ensemble des facteurs de façon nuancée, au lieu de se contenter d’une comparaison brute de quelques prix.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal, Martin Masse est rédacteur et réviseur principal à l’IEDM. Ils signent ce texte à titre personnel.