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Textes d'opinion

Sirop d’érable : le Québec nuit à ses producteurs

Chaque nouvelle saison des sucres apporte son lot de controverses, alors que les histoires de saisies de sirop chez les producteurs font les manchettes. Les règles qui s’appliquent aux acériculteurs du Québec sont en effet extrêmement contraignantes pour ceux-ci, en plus de stimuler la croissance des concurrents dans les provinces et États voisins.

Au Québec, la mise en marché du sirop d’érable est fortement encadrée. C’est la Fédération des producteurs acéricoles du Québec (FPAQ) qui décide des conditions de mise en marché et de production, et elle a le pouvoir d’obliger les producteurs à s’y conformer.

La FPAQ est l’agent de vente exclusif pour la vente en vrac, qui représente 85 % de la production annuelle de sirop d’érable. Les producteurs doivent donc passer par la Fédération ou par quelques vendeurs autorisés pour écouler leur production en contenants de plus de cinq litres, la plupart du temps en barils.

C’est également elle qui fixe les prix pour la vente en vrac, et les producteurs sont payés au prorata de la production annuelle vendue. La dernière récolte complètement vendue remonte à 2009, de sorte que les livraisons subséquentes n’ont toujours pas été payées en entier. Des frais de mise en marché de 5 % sont déduits du montant remis aux producteurs.

En outre, depuis 2004, les acériculteurs doivent se soumettre à un système de contingents qui attribue à chacun un quota de production. Il est possible de produire plus, mais ces volumes additionnels seront payés seulement lorsque le producteur aura une récolte inférieure à son contingent, et toujours en fonction du pourcentage des ventes annuelles.

Une production excédentaire pourrait ainsi prendre des années à être payée. Les acériculteurs qui optent pour la vente par un intermédiaire comme une épicerie ou un restaurant (environ 5 % de la production) doivent eux aussi respecter leur quota de production, indépendamment de la demande pour leurs produits, quitte à refuser des clients et à accumuler des surplus. Seule la vente directe aux consommateurs est permise sans ces contraintes, à condition que le contenant ne dépasse pas cinq litres.

Sans surprise, plusieurs acériculteurs cherchent à vendre leur sirop sans passer par la FPAQ afin d’être payés immédiatement et en totalité, mais aussi pour éviter les frais, les pénalités et les contraintes de production. Ceux qui se font prendre s’exposent à des perquisitions, des saisies et des pénalités qui peuvent atteindre plusieurs centaines de milliers de dollars.

Depuis l’introduction des contingents de production en 2004, le nombre d’entailles exploitées au Québec a augmenté de seulement 17 %, pendant qu’il doublait presque (+89 %) aux États-Unis. Le Québec a en fait connu la plus faible croissance de la production totale de sirop d’érable de toute l’Amérique du Nord pendant cette même période. Les deux États américains les plus importants en termes de production, soit le Vermont et New York, ont connu une croissance de trois à quatre fois plus élevée que celle du Québec.

Cette forte croissance chez nos voisins a eu un impact important sur la part de la production mondiale détenue par le Québec. Cette part, qui augmentait constamment depuis le milieu des années 1970, a commencé à diminuer précisément au moment de la mise en place des contingents de production, en 2004. Elle est ainsi passée d’un sommet de 82 % en 2003 à 72 % en 2017.

D’ailleurs, même si les exportations québécoises ont fortement augmenté depuis une quinzaine d’années, passant de 176 à 362 millions $, les importations québécoises de sirop d’érable, elles, ont atteint 20 millions $ en 2016, la quasi-totalité provenant des États-Unis. Les producteurs américains ont donc doublé leurs exportations grâce au marché québécois depuis la mise en place du système de contingents.

Pendant que la FPAQ s’acharne sur les producteurs qui tentent de se libérer de son emprise et qu’elle décourage les autres à produire davantage, ceux qui sont situés à l’extérieur de la province profitent de la stabilité des prix et d’un marché libre pour soutirer des parts de marché aux producteurs québécois. Il est impératif de redonner aux producteurs québécois leur liberté de produire et de vendre leur sirop d’érable sans avoir à se soumettre aux dictats de la FPAQ. Sans quoi leur part du marché mondial continuera vraisemblablement à diminuer.

Alexandre Moreau est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il est l’auteur de « Sirop d’érable : le Québec nuit à ses producteurs et encourage ses concurrents » et signe ce texte à titre personnel.

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