Budget Morneau – Des dépenses politiques, et non économiques
Remettons d’abord les choses en perspective. Depuis trois ans, le budget du gouvernement fédéral est passé de 296,4 à 338,5 milliards de dollars. C’est une augmentation considérable, de 4,5 % par année, de loin supérieure à l’inflation.
Comme ce gouvernement dépense beaucoup, plus que ses revenus, qui eux aussi augmentent rapidement, il engrange des déficits. On est loin des engagements électoraux qui, en 2015, promettaient un déficit maximal de 10 milliards lors des deux premiers budgets, pour retourner à l’équilibre budgétaire en 2019. Non seulement les déficits des deux premières années ont largement dépassé ces cibles, mais cette année encore, le budget prévoit un déficit de plus de 18 milliards (lorsqu’on prend en compte l’ajustement en fonction du risque). L’an prochain, au lieu du déficit zéro, on prévoit toujours d’être dans le rouge pour 17,5 milliards.
Bien sûr, la croissance relativement bonne de l’économie ces dernières années fait en sorte que malgré tout, les déficits prennent une place de moins en moins importante par rapport à la taille de l’économie. C’est aussi vrai pour la dette fédérale, dont le poids relatif continue de diminuer malgré les budgets marqués à l’encre rouge.
Ça ne veut pas dire que ces dépenses croissantes et ces déficits sont insignifiants et qu’on ne devrait pas s’en préoccuper. Au contraire, cela témoigne d’une mauvaise gestion des deniers publics.
Ces déficits récurrents n’ont aucune raison d’être compte tenu de la croissance économique, du taux de chômage inférieur à toutes les prédictions et des taux d’intérêt faibles.
Même la rhétorique keynésienne habituellement utilisée pour justifier les déficits recommande de n’y avoir recours qu’en période de récession, ce qui n’est clairement pas le cas.
Pire encore, ces déficits ne résultent pas de grandes mesures susceptibles de stimuler les investissements et d’assurer la prospérité à plus long terme, ni même pour aider concrètement la classe moyenne, mais de saupoudrages pour des raisons essentiellement électoralistes. Le gouvernement veut donner l’impression qu’il fait quelque chose avec notre argent, alors qu’il ne semble pas avoir d’autre idée claire que de le dépenser, coûte que coûte.
Le retour du balancier
Or, certains facteurs font craindre un retournement de la conjoncture économique qui pourrait mettre à mal les finances publiques, en particulier la renégociation de l’ALENA et la remontée attendue des taux d’intérêt. Qui plus est, l’économie canadienne est devenue beaucoup moins compétitive face à celle de notre voisin américain depuis la diminution importante des impôts des particuliers et des entreprises qui vient d’être adoptée, ainsi que plusieurs mesures de déréglementation qui rendent l’économie des États-Unis plus accueillante aux investissements.
Pendant ce temps, le gouvernement canadien tergiverse, n’annonce aucune mesure pour maintenir notre compétitivité, laisse traîner des dossiers majeurs comme les projets de pipeline, et vient même de faire peur aux entrepreneurs avec son projet de hausser l’imposition des petites et moyennes entreprises.
Ce n’est pas surprenant si Statistique Canada annonçait le jour même du budget un recul de 26 % des investissements directs étrangers au Canada en 2017. Les investisseurs étrangers perdent confiance en notre économie.
Dans ce contexte, il est tout simplement imprudent de ne pas avoir profité de la croissance économique pour se créer une marge de manœuvre et réduire le fardeau fiscal, au lieu de faire exploser les dépenses comme on l’a fait.
Un jour ou l’autre, la croissance va s’essouffler. Lorsque cela arrivera, les recettes vont baisser, ce qui creusera encore davantage ces déficits. Puisque des mesures pour assainir les finances publiques et stimuler l’investissement privé, anémique, n’ont pas été prises lorsqu’elles étaient plus faciles à adopter, il faudra alors le faire lorsqu’elles feront le plus mal.
En somme, il n’y a aucune bonne raison, du point de vue économique, d’accroître les dépenses comme le fait présentement le ministre Morneau. Il y en a peut-être une sur le plan partisan ou politique, mais cette variable ne devrait jamais entrer dans le calcul d’un ministre des Finances qui sert l’intérêt de tous les citoyens.
Mathieu Bédard est économiste à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
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